Vivre pour voir le travail d'autrui et bien s'instruire, je vous propose une partie de ma recherche sur le théâtre du tunisien Fadhel Jaïbi qui tente dans"Khamsoun" de contourner la question....
Il nest pas si aisé dexplorer lunivers dramatique du metteur en scène tunisien Fadhel Jaibi et de parvenir à une lecture appropriée. Nous avons pu aborder la plupart des pièces du metteur en scène tunisien de manières diverses et à chaque débarquement, laventure est assurée et la couleur subversive quelle soit fade on lumineuse ne cesse de sadosser à luvre dramatique pour en faire jaillir les profondes stylistiques et les arcanes idéologiques.
Nous pourrions énumérer ainsi les formes suivantes de notre entreprise en tant que spectateur virtuel :
 Le spectacle vivant auquel nous avons assisté (il y a longtemps) qui émerge des plis de la mémoire (soirée particulière)
 Le visionnage dun film retraçant le point de vue subjectif de celui qui a enregistré et ne saurait être en mesure de nouer ces rapports si emblématiques entre le regard et la lueur du spectacle, le jeu des comédiens et linstant de réception chez le public avec ses différentes humeurs.
 La lecture dun texte originel qui serait une sorte de quête qui tenterait de sactualiser sur la scène (les Amoureux du café désert)
A travers le personnage incarné de Jaïbi, entre le poète et lhomme, il y a un hiatus, celui qui aime le monde nest pas celui qui traverse lexpérience du vécu. Le visionnage dune pièce diffère de cette réception directe du message scénographique dans la mesure où le « life » transmet les vibrations émotionnelles imprévisibles, non- calculées.
La scénographie, le jeu des acteurs et lespace scénique gravitent autour dune thématique générique : une thématique redondante dans ce théâtre qui se veut universel ;
La liberté. Il sagit dune quête intellectuelle qui a eu pour coloration la petite bourgeoisie éclairée ( en outre lintelligentsia ) mais qui ne cesse déveiller la conscience dun être voué à la folie. Sans doute est-elle une folie féconde.
Le théâtre de Fadhel Jaibi est une quête continuelle qui ne préfigure aucun schéma figé mais tente dinterroger linstant magique de cet être diffus qui nest autre que lacteur. En dessous de cette prolifération iconographique et verbale, lacteur vit hors de la temporalité commune. Lexemple de lincipit de soirée particulière illustre bien le recours à ce langage pictural qui préfigure lacteur en tant quicône au sein dun conflit entre le mâle et la femelle en alliant le corps à lâme dans la figure du sportif en court dhaleine.
Cela nous rappelle lapproche de Jean Rousset à travers le « Fragment dun drame » dans lunivers claudélien, là où liaison se métamorphose en rupture. Pour Jaibi, tout se tisse dans le créneau de la rupture et permet de soffrir une relecture de la subversion au sein même de la dramaturgie. En fait, malgré les diverses manifestations parodiques qui ornent les deux pièces, objet de notre étude, le drame existentiel demeure laxe central autour duquel se tisse la fable et gravitent ces personnages de rêve.
Là, se pose la question de la réception et nous livre lintentionnalité du dramaturge car la communication du message théâtral peut être déroutant et mettre en question cette illusion qui se déploie sur scène. En dautres termes, toute illusion est somme toute trahison.
Fadhel Jaibi injecte dans les séquences mélodramatiques de ses pièces tout un dispositif implicite à travers les lumières, la scénographie, le langage, le jeu des comédiens pour que la réception du spectacle parvienne à son paroxysme.
En vérité, la question de la réception est émise au sein de la création dramaturgique et entre la réception du message littéraire et le message théâtral ; cette analogie sillustre bien et trouve son compte à travers le texte littéraire des « Amoureux du café désert ». Un texte que Jaïbi a tenu de publier et que nous avons comparé avec le manuscrit de Mahmoud Ben Mahmoud , son compagnons en 7ème art.
Comment peut-on concevoir une réception spécifique du texte Jaibien ? Dans quelle mesure le lecteur- spectateur a-t-il tout le potentiel nécessaire de décoder ? Dêtre en mesure de déchiffrer malgré son hétérogénéité ?
Dr. Hbib Salha nous éclaire sur cette problématique et mieux encore approfondit les questions relatives à la réception en tant quacte dans un art proche, celui de la littérature:
« Lacte de production perturbe-t-il ou, au contraire, facilité-t-il la réception du produit ? Que se passe-t-il quand lécrivain refuse cette stratégie du leurre ? On devance le travail du lecteur ; on publie un texte accompagné dun mode demploi, brouillant ainsi la distinction entre écriture et lecture, production et réception. »
La question du mode demploi qui sinsère dans luvre dart et nous livre lintentionnalité du dramaturge- démiurge qui nest pas si neutre et si objective que lon peut croire. En dautres termes, les figures de la subversion qui évoluent dans cette rythmique théâtrale minent de lintérieur tout ce qui a eu recours à sa carapace pour infliger au monde son fanatisme et son idéologie du vide. Ainsi, tout lart du metteur en scène réside dans cette traversée ludique qui charme le spectateur et lui ravit limaginaire symbolique dans ce que DR. Habib Salha appelle le pacte- leurre. Cest toute une stratégie périlleuse de la séduction, la qualification de périlleuse est justifié par labord de lexistence humaine : lexpression dune jouissance primaire lors de la réception et lamère conscience dêtre à limage du personnage aliéné.
La problématique de la subversion nécessite dans notre mémoire une approche conceptuelle et une lecture de lesthétique dramatique car il nest pas évident que Jaibi en soit souvent le détenteur.
Comment parvenir à comprendre non pas le message dramatique mais la réception virtuelle des pièces « soirée particulière » et « les Amoureux de café désert » ? Les deux espaces ne sont-ils pas investis symboliquement au préalable ? Ne serait-on pas amené à méditer sur les pièces précédentes Familia et Junoun ainsi que la dernière Khamsoun.
Pour ce qui est de la thématique de la subversion, notre option part dune simple note dAlfred Simon dans son ouvrage : Jean Vilar, qui êtes- vous ? Une certaine qualification de « Citoyen Subversif » nous a permis de retrouver une quelconque parenté entre le dramaturge français Jean Vilar et le metteur en scène tunisien Jaibi qui ne sest pas trop éloigné de la veine révolutionnaire et de lesthétique du sordide. On peut lire ces notes qui paraissent simples mais qui sont hautement concises :
« Vilar na pas fondé le théâtre en France. Fils de personne, il sest reconnu lhéritier de Gémier, de copeau, de Dullin. Mais aussi pionnier, découvreur despaces immémoriaux, ordonnateurs de fêtes, citoyen subversif et anarchiste fidèle à la loi. Ce qui reste de Vilar ? Lexigence et une esthétique qui passent par une éthique, une morale et une politique de lart du théâtre. » (1987) La manufacture.
Nous devons à cet égard souligner ces trois dimensions déthique, de morale et de politique chez le dramaturge tunisien que nous pourrions qualifier éventuellement de théâtre de la résistance dans la mesure où il cherche par lesthétique et la poétique de secouer ce qui semble hermétique et lui conférer un sens nouveau dans une perspctive révolutionnaire.
Dans quelle mesure la subversion serait-elle dans le théâtre de Jaibi un itinéraire esthétique ? Peut-on dès lors décoder la symbolique dramatique à la lumière de lactuel, du vécu ? Luniversalité serait-elle le garant de la liberté du verbe et du corps ? Comment peut-on concevoir la couleur locale ou la « Tunisienneté » au sein de cette vague franco-arabe qui se déploie dans « Soirée Particulière », dans « Les Amoureux du café désert » et surtout à travers « Khamsoun » (Corps-otages) ? Notre propos tiendra compte des deux pièces en question mais ne perdra pas de vue cette stylistique dramaturgique qui relie la totalité de luvre.