Sepp Blatter : Un dictateur à lancienne
Le grand patron du football mondial a le poids politique dun chef dÉtat, et le poids économique dun président de multinationale.
En est-il digne ? Par Réda Allali
L'homme se présente lui-même comme le président dun État dont le gouvernement sappelle la FIFA, il aime sentourer dun lourd protocole. Il sappelle Joseph S. Blatter, Suisse de nationalité, et 68 ans au compteur. Depuis 1998, il dirige la maison FIFA, sans doute lorganisme international dont les décisions sont le plus craintes dans le monde. En comparaison, les résolutions de lONU font figure de sympathiques conseils de grand-père sénile. Pourtant, celui qui préside aux destinées de 240 millions de footballeurs affiliés nest pas au-dessus de tout soupçon. Retour sur sa trajectoire. Le grand public découvre le Suisse dans les années 90. Il est alors lombre du tout puissant Joao Havelange, qui lui délègue volontiers les tirages au sort des grandes compétitions. Ses talents de polyglotte, son amour des caméras et son goût des calembours transforment ces cérémonies austères en véritable shows. Après seize ans passés comme secrétaire général, il accède enfin au poste de président en 1998. Son premier mandat est marqué par laffaire Zen-Ruffinen. Son propre secrétaire général produit en 2002 un rapport de trente pages où il décrit en détail les pratiques de corruption et de malversation émanant du Suisse. Dans la même période, un journaliste britannique respecté du Daily Mail, Andrew Jennings, publie un livre-enquête dans lequel il éreinte sans équivoque Blatter. Pour combler le tout, le comité exécutif de la FIFA se rebelle et réclame un audit. Bien peu dhommes politiques se seraient remis dun tel tir groupé. Mais Blatter fait face. Il ny aura jamais daudit : le Suisse est réélu en 2002 face à son concurrent direct, le Camerounais Issa Hayatou, vire sans ménagement Zen-Ruffinen et impose le silence dans les rangs. Pour comprendre comment un tel scandale a pu laisser intact lorganigramme de la FIFA, il faut se pencher sur la philosophie des personnalités qui la composent. En grande partie, il sagit danciens dirigeants nationaux, tout heureux daccéder à un pan de pouvoir inespéré et, surtout, aux innombrables avantages financiers qui vont avec. Le tout, sans rendre de compte à personne. Imagine-t-on le votant des îles Tonga, qui siège au comité exécutif avec ses 23 collègues, devoir justifier son vote ? Aucune raison, donc, de soulever le couvercle de la marmite pour y exhiber au grand jour une cuisine douteuse.
Objectif Afrique du Sud
Mais pour battre lAfricain sur son terrain, Blatter a dû composer, promettant enfin lorganisation dune Coupe du monde et des projets à la pelle pour le continent noir. Dans son esprit, cest bien sûr lAfrique du Sud qui doit abriter lédition 2010, une décision claire dans sa tête dès 2002. Pourquoi ce parti pris ? Passons sur les soupçons de corruption, largement alimentés par les révélations de Jennings sur les pratiques du Suisse. Il y a une autre explication : lego surdimensionné de Blatter. On sait que lhomme rêve de marquer lhistoire du football, et il se dit même quil rêve à haute voix dun prix Nobel, rien de moins. Pour y parvenir, il est convaincu que laura de lAfrique du Sud et de ses trois prix Nobel - Desmond Tutu, Nelson Mandela et Frederik De Klerk - le servira. Dès lors que lobjectif est clair, la stratégie qui en découle simpose également. Blatter commence par favoriser une multitude de candidatures arabes, quil écartera plus tard à la veille du scrutin décisif. Il prend lui-même les rendez-vous pour Nelson Mandela, quand il nappelle pas directement les votants pour faire pression. Il coopte de nombreux Sud-Africains dans les commissions de la FIFA, comme celle consacrée à "Organisation de la Coupe du monde de la FIFA " (sic) ou dans la commission "Marketing et télévision".
Ses dons de manipulation nont pas de limite, comme le prouve sa gestion du cas égyptien. Rappelons que le Suisse avait artificiellement gonflé la candidature égyptienne pour contrer la marocaine, qui prenait trop dimportance à son goût. Comble du cynisme, il affirme après le scrutin que la présentation égyptienne était la meilleure, alors quelle na obtenu aucune voix. Par ces propos, il décrédibilise lidée même de présenter les dossiers devant la FIFA, puisquune "excellente présentation" ne sert à rien. Autre exemple, la candidature libyenne, présente depuis six mois sur son bureau, et quil rejette le matin du vote. Lidée de base était déviter de présenter trop tôt le vote comme un duel Maroc-Afrique du Sud -
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Suite : http://www.telquel-online.com/128/couverture_128_1.shtml
Le grand patron du football mondial a le poids politique dun chef dÉtat, et le poids économique dun président de multinationale.
En est-il digne ? Par Réda Allali
L'homme se présente lui-même comme le président dun État dont le gouvernement sappelle la FIFA, il aime sentourer dun lourd protocole. Il sappelle Joseph S. Blatter, Suisse de nationalité, et 68 ans au compteur. Depuis 1998, il dirige la maison FIFA, sans doute lorganisme international dont les décisions sont le plus craintes dans le monde. En comparaison, les résolutions de lONU font figure de sympathiques conseils de grand-père sénile. Pourtant, celui qui préside aux destinées de 240 millions de footballeurs affiliés nest pas au-dessus de tout soupçon. Retour sur sa trajectoire. Le grand public découvre le Suisse dans les années 90. Il est alors lombre du tout puissant Joao Havelange, qui lui délègue volontiers les tirages au sort des grandes compétitions. Ses talents de polyglotte, son amour des caméras et son goût des calembours transforment ces cérémonies austères en véritable shows. Après seize ans passés comme secrétaire général, il accède enfin au poste de président en 1998. Son premier mandat est marqué par laffaire Zen-Ruffinen. Son propre secrétaire général produit en 2002 un rapport de trente pages où il décrit en détail les pratiques de corruption et de malversation émanant du Suisse. Dans la même période, un journaliste britannique respecté du Daily Mail, Andrew Jennings, publie un livre-enquête dans lequel il éreinte sans équivoque Blatter. Pour combler le tout, le comité exécutif de la FIFA se rebelle et réclame un audit. Bien peu dhommes politiques se seraient remis dun tel tir groupé. Mais Blatter fait face. Il ny aura jamais daudit : le Suisse est réélu en 2002 face à son concurrent direct, le Camerounais Issa Hayatou, vire sans ménagement Zen-Ruffinen et impose le silence dans les rangs. Pour comprendre comment un tel scandale a pu laisser intact lorganigramme de la FIFA, il faut se pencher sur la philosophie des personnalités qui la composent. En grande partie, il sagit danciens dirigeants nationaux, tout heureux daccéder à un pan de pouvoir inespéré et, surtout, aux innombrables avantages financiers qui vont avec. Le tout, sans rendre de compte à personne. Imagine-t-on le votant des îles Tonga, qui siège au comité exécutif avec ses 23 collègues, devoir justifier son vote ? Aucune raison, donc, de soulever le couvercle de la marmite pour y exhiber au grand jour une cuisine douteuse.
Objectif Afrique du Sud
Mais pour battre lAfricain sur son terrain, Blatter a dû composer, promettant enfin lorganisation dune Coupe du monde et des projets à la pelle pour le continent noir. Dans son esprit, cest bien sûr lAfrique du Sud qui doit abriter lédition 2010, une décision claire dans sa tête dès 2002. Pourquoi ce parti pris ? Passons sur les soupçons de corruption, largement alimentés par les révélations de Jennings sur les pratiques du Suisse. Il y a une autre explication : lego surdimensionné de Blatter. On sait que lhomme rêve de marquer lhistoire du football, et il se dit même quil rêve à haute voix dun prix Nobel, rien de moins. Pour y parvenir, il est convaincu que laura de lAfrique du Sud et de ses trois prix Nobel - Desmond Tutu, Nelson Mandela et Frederik De Klerk - le servira. Dès lors que lobjectif est clair, la stratégie qui en découle simpose également. Blatter commence par favoriser une multitude de candidatures arabes, quil écartera plus tard à la veille du scrutin décisif. Il prend lui-même les rendez-vous pour Nelson Mandela, quand il nappelle pas directement les votants pour faire pression. Il coopte de nombreux Sud-Africains dans les commissions de la FIFA, comme celle consacrée à "Organisation de la Coupe du monde de la FIFA " (sic) ou dans la commission "Marketing et télévision".
Ses dons de manipulation nont pas de limite, comme le prouve sa gestion du cas égyptien. Rappelons que le Suisse avait artificiellement gonflé la candidature égyptienne pour contrer la marocaine, qui prenait trop dimportance à son goût. Comble du cynisme, il affirme après le scrutin que la présentation égyptienne était la meilleure, alors quelle na obtenu aucune voix. Par ces propos, il décrédibilise lidée même de présenter les dossiers devant la FIFA, puisquune "excellente présentation" ne sert à rien. Autre exemple, la candidature libyenne, présente depuis six mois sur son bureau, et quil rejette le matin du vote. Lidée de base était déviter de présenter trop tôt le vote comme un duel Maroc-Afrique du Sud -
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