Vos fables préférées

Le Loup, la Louve et les Louveteaux
Le loup, l'horrible loup qui fait peur aux enfants,
Le loup maigre et cruel qui guette,
Assassin précis, l'innocent
Et l'emporte poissé de sang,
Rentre au foyer le soir où les siens lui font fête
Et s'écrie : « Vilains garnements,
J'espère qu'aujourd'hui vous avez été sages ?
Quand les petits loups sont méchants
Jésus pleure dans les nuages.
Votre maman n'a pas à se plaindre de vous ? »
« Non, non, s'écrient les petits loups,
Dis-lui, maman, de vraies images.
On s'est même laissé lécher
Sans pleurer!
Que nous apportez-vous, papa, pour recompense ?»
« Un beau petit agneau tout frais.
Vous voyez, il palpite encore... »
« Quelle chance !
Crient les mignons. Papa, laissez-nous l'achever. »
« Ils se portent bien, ils dévorent »
Dit la louve, l'oeil attendri.
Et le couple, comblé, regarde
Le joyeux carnage de ses chers petits.
« Je n'ai jamais vu de loup plus dur, dit le garde.
Pissant le sang partout, dix balles dans le corps
Sur ses pattes brisées il se dressait encor.
La louve près de lui était déjà tuée,
Les louveteaux aussi. Il ne défendait plus
Que des cadavres. À la fin pourtant on l'a eu.
Et savez-vous, en rentrant de cette curée,
Ce que m'a dit la plus petite de mes filles ?
Pour un mot d'enfant, ce n'est pas banal... »
Le garde aussi aime bien sa famille
Un monde d'innocents se tue et se torture.
Ce grouillement géant de meurtres et de mal,
Sous le regard froid de la lune,
C'est ce que l'homme appelle une nuit pure
Pour Monsieur Lazareff, rien à mettre à la une
Dans son journal.

Jean Anouilh, Fables, 1946

Anouilh fait allusion à une émission de télévision de son époque produite par Lazareff, Cinq colonnes à la une.

Moralité : la cruauté ordinaire du monde est devenue si banale qu'elle n'étonne plus personne à commencer par les journalistes.
 
Le chat et l’oiseau

Un village écoute désolé
Le chant d’un oiseau blessé
C’est le seul oiseau du village
Et c’est le seul chat du village
Qui l’a à moitié dévoré
Et l’oiseau cesse de chanter
Le chat cesse de ronronner
Et de se lécher le museau
Et le village fait à l’oiseau
De merveilleuses funérailles
Et le chat qui est invité
Marche derrière le petit cercueil de paille
Où l’oiseau mort est allongé
Porté par une petite fille
Qui n’arrête pas de pleurer
Si j’avais su que cela te fasse tant de peine
Lui dit le chat
Je l’aurais mangé tout entier
Et puis je t’aurais raconté
Que je l’avais vu s’envoler
S’envoler jusqu’au bout du monde
Là-bas où c’est tellement loin
Que jamais on n’en revient
Tu aurais eu moins du chagrin
Simplement de la tristesse et des regrets


Il ne faut jamais faire les choses à moitié.


Jacques PRÉVERT,
 
Un petit chat blanc
qui faisait semblant
d’avoir mal aux dents
disait en miaulant :
"Souris mon amie
J’ai bien du souci
Le docteur m’a dit :
Tu seras guéri
Si entre tes dents
Tu mets un moment
Délicatement
La queue d’une souris"
Très obligeamment
Souris bonne enfant
S’approcha du chat
Qui se la mangea.

Moralité :

Les bons sentiments
Ont l’inconvénient
D’amener souvent
De graves ennuis
Aux petits enfants
Comme-z-au souris.:rouge:


Claude ROY
 
L’allumette et le cigare

La petite allumette
aimant un gros cigare,
rêva d’un rendez-vous,
vit son rêve aboutir


et su en s’éteignant
que l’amour nous égare...
Un seul baiser de feu
peu nous anéantir..." :rouge:


Jean-Luc MOREAU
 
L’affable la Fontaine

Récite ta fa
Récite ta fable.
Pour devenir grand
Il faut qu’on apprend
assis à sa table
sa récitation,
l’ineffable fable,
riche en citations,
de l’affable la
fontaine de fables.

L’heureux nard et le corbeau
Rat Deville et rats Deschamps
le méchant loup Pélagneau
la Chevreuse et le Roseau
L’Assis Gal et la fournie
la quenouille qui veut se faire
aussi rose que le bœuf
les animaux malades de la tête.

Retisse et récite
récite ta fa
ta fable d’enfant.
Quand tu seras grand
il sera bien temps
d’apprendre qu’on n’a
souvent aucun besoin d’un plus petit
que soif
pour boire à la fontaine.


Claude ROY
 
Limerick* des gens excessivement polis

Excusez-moi, je vous en prie
Disait le Monsieur Très Poli
tout ourlé de Bonnes Manières
quand il croisait un dromadaire

Je suis charmé vraiment ravi
Disait le Monsieur Si Gentil
en rencontrant rue de Lisbonne
un pangolin avec sa bonne

Je vous présente mes respects
Disant le Monsieur Circonspect
en dépassant dans l'escalier
un i sans point très essoufflé

Veuillez agréer mes hommages
Disait le Monsieur Tout en Nage
en arrivant très en retard
au bal masqué des nénuphars

Après vous je n'en ferai rien
Disait le Monsieur Vraiment Bien
lorsque la Mort sonnant chez ui
le trouvera toujours poli

L'ennui avec les gens polis
c'est qu'ils n'ont jamais fini
tout en saluts et en courbettes
mais trop polis pour être honnêtes.

* Un limerick est une forme de poème burlesque ou absurde.

Claude Roy
 
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