Tout sauf Dieu
Casanegra ne fait pas tout dire à ses personnages. Si les expressions liées au sexe et à la religion des hommes sont largement employées par les personnages du film, tout ce qui se rapporte à Dieu a été purgé. Autocensure ? “Si vous voulez, mais je préfère parler de rétention. Je n’ai pas voulu tout lâcher à la fois, Casanegra n’est pas un film documentaire avec le catalogue exhaustif des expressions de rue, c’est une fiction avec des partis pris, du dialogue jusqu’aux décors” se défend Noureddine Lakhmari. Avant d’ajouter, lucide : “Vous savez, de mon point de vue personnel, et ceux qui ont vu Casanegra le savent très bien, je suis resté pudique. Ce qu’on voit, ce qu’on dit dans le film, ne représente même pas 10 % de la réalité de tous les jours”.
Même élagués de toute référence à Dieu, tabou suprême s’il en est, même passés par les filtres hyper-fins de l’autocensure, les dialogues crus du film ont posé plus d’un problème. Le cinéaste se rappelle : “Une fois le scénario et les dialogues écrits noir sur blanc, il s’agissait de trouver les acteurs capables de jouer les scènes et de lire le texte. Ce fut assez difficile”, résume le cinéaste. Pendant le tournage, certains acteurs ont régulièrement buté sur des mots-clés, familiers mais totalement inédits au cinéma. Sans parler de ceux, et celles, qui ont refusé de tourner à cause d’un baiser, d’un attouchement… Avant de jeter son dévolu sur Driss Roukhe (Babel, 2006), pour le rôle du beau-père, Noureddine Lakhmari a essuyé sept refus de comédiens connus. “Ils ont tous dit non à cause de la scène de la masturbation. C’est dommage, mais je les comprends. Mais Roukhe, qui joue le rôle, est excellent”. Et Driss Roukhe, justement, qu’en pense-t-il ? “Je pense que c’est un bon plan, dans un bon film.
Je fais mon métier, je suis acteur de composition, je juge mes films d’après la qualité des scénarios, c’est tout. Quant à Casanegra, il ne m’a valu que des compliments, Al Hamdou Lillah”. Les deux scènes de baisers, entre Anas El Baz et Ghita Tazi, mais aussi entre Mohamed Benbrahim et Rawiya, ont également posé problème. Le premier baiser a justifié le refus de nombreuses actrices confirmées, mais c’est surtout le deuxième, un baiser “de vieux”, qui a été le plus cocasse. “J’étais partagé entre mes deux comédiens. Benbrahim n’y arrivait pas, Rawiya s’impatientait”, se souvient Lakhmari, un peu amusé. Au final, c’est Rawiya, comme elle nous l’a raconté, qui a réglé le problème en apposant un baiser “fraternel” sur les lèvres de son complice : “Ou mal’ha, achnou fiha, rah b’hal khouya”, nous commente l’actrice, remarquable de détente et de naturel tout au long du film.