Effectivement, Chebel fait partie de ce qu'on tend à qualifier de "nouveaux penseurs de l'Islam", ou de représentants de l'Islam dit "des lumières". Mais il n'en est cependant pas le contributeur le plus important ni forcément le plus représentatif. Parmi les autres - vivants ou récemment décédés - on dénote Farid Esack, Adbennour Bidar, Adbdelmajid Charfi, Filary-Ansari, Rachid Benzine, Fazlur Rahman, Mohammed Arkoun, Mohamed Charfi, Karim Soroush, Abu Zayd.
Ce dernier a une vision qui synthétise assez bien un élément discursif commun à la plupart de ces penseurs, à savoir le plaidoyer pour le retour à une herméneutique interprétative du Coran qui soit évolutive et non cadenassée. Abu Zayd a largement écrit et recherché sur les mécanismes à l'uvre dans l'interprétation et sur la part inévitable de subjectivité qui la caractérise. Il est rejoint entre autres dans cette idée par Abdelmajid Charfi, qui a démontré l'empreinte de la cognitivité propre aux premières générations de musulmans sur l'exégèse du Coran, qui s'est élaborée et progressivement imposée comme "officielle" et doctrinale. Cette cognitivité englobe les aspects culturel, normatif, éducationnel, social et anthropologique du "moment et du lieu" de l'interprétation, qui conditionnent et influencent la compréhension des textes ainsi que leur instrumentalisation sur la vie sociétale.
Abu Zayd en vient à distinguer deux formes de lecture: le ta'wil (l'interprétation basée sur le caractère intemporel du texte) et le talwîn, la lecture tendancieuse orientée par les aprioris culturels, mentaux et moraux propres à la personne qui lit le texte et qui le comprend à travers la grille de lecture formée par tous les éléments appartenant à son référentiel culturel. Il reproche à la pensée musulmane contemporaine d'être désespérément enlisée dans la seconde forme de lecture.
En soi, la lecture orientée est presque inévitable et, dirais-je, "naturelle" puisque intrinsèque à la nature de l'homme. Mais cela devient un obstacle à l'évolution nécessaire de la pensée religieuse, lorsque l'on décide unilatéralement de sacraliser une forme donnée de compréhension, marquée par un cadre culturel et humain, et de la déclarer "achevée" et inquestionnable. Or c'est précisément ce qui s'est produit dans l'histoire de la pensée musulmane, qui en est encore aujourd'hui à se reposer sur les bases et les formes d'entendement et d'exégèse qui étaient celles élaborées il y a des siècles dans un tout autre cadre cognitif.
Or on ne peut condamner la signification présente d'un texte à se dérouler selon une grille de compréhension et d'analyse sans cesse liée à l'horizon intellectuel et culturel des premières générations.
Charfi écrit ceci sur le même sujet:
En effet, les premiers musulmans qui avaient en charge de mettre en application ce qu'ils comprenaient de l'islam ne pouvaient le faire que dans le cadre des systèmes cognitifs et sociaux à leur disposition. Leurs solutions étaient dictées par des impératifs qui ne sont plus les nôtres. S'y conformer aujourd'hui revient en définitive à couper le lien entre la religion et la vie.
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