Bonsoir,
Je vous rejoins, je ne crois pas pour ma part que l'occident, historiquement, a contribué de façon directe à cette situation...Aujourd'hui, le ressenti est sans doute plus grand car ce conflit même des valeurs n'a eu son effet boule de neige que depuis quelques décennies. Même si on peut y trouver une réponse partielle à date, il est à mon sens, hasardeux de croire que cela puisse justifier cet état de faits dans le passé.
Il est clair que l'Occident n'a pas contribué à l'essor d'un Islam rigoriste. "Contribué" impliquerait une volonté sciemment accomplie de modeler le cours des interprétations dans un sens plus "radical". Il n'en est rien. Ce n'est pas l'occident qui a crée l'Islam "rigoriste". Cfr plus haut, la vision de la cause du retard du monde musulman comme une conséquence d'un détournement de l'Islam des origines, a été une perception d'une partie du monde musulman lui-même suite au choc de la rencontre avec l'Occident colonisateur. Elle ne lui a pas été "soufflée" de l'extérieur. Elle a impliqué, chez les penseurs qui ont suivi Rachid Rida entre autres, une volonté d'instaurer "plus d'Islam" dans la vie quotidienne, dans des domaines où auparavant la religion n'avait pas forcément la main-mise, et un retour aux pratiques des premiers musulmans.
Cette réaction a été l'une des deux formes réactions engendrées par la colonisation. D'une part, un retour à "plus d'islam", de l'autre, une volonté d'introduire de nouveaux éléments dans la pensée religieuse.
Il ne faut bien sûr pas confondre la première évolution avec la naissance de l'Islam "littéraliste", qui, lui, est évidemment bien antérieur à ce contexte historique. Sans répéter ce que j'ai dit plus haut, ce courant exégétique est le produit du débat théologique qui a agité plusieurs siècles durant le monde musulman, bien avant le tournant du 13è siècle. Du reste, même les réformateurs comme Abdou sont toujours resté dépendant des thèses des premières écoles musulmanes, limitant quelque peu l'héritage postérieur de ce courant.
Quant à penser que l'Islam dit "rigoriste" (je préfère "traditionaliste" pour l'époque) peut être crédité de la sauvegarde de la religion au 13ème siècle suite aux invasions mongoles, c'est je pense, une analyse discutable. On peut se demander si c'est vraiment avoir sauvé la religion que d'avoir déclaré que l'interprétation était achevée, et que l'Ijtihad désormais ne concernerait plus que le consensus et l'Ijtihad juridique. Historiquement, c'est une réaction circonstanciée suite aux batailles des invasions tatares et du traumatisme consécutif à la mort d'un grand nombre d'ulémas. C'est un réflexe de défense identitaire et de protection du savoir, qu'on a décidé de "figer" pour ne pas risquer de le perdre si des ulémas venaient encore à disparaître. Il est clair que sans ces invasions, cette décision n'aurait pas eu lieu.
Si un autre courant exégétique avait été dominant à cette période et dans ce contexte, il aurait lui aussi assuré la défense de son savoir théologique d'une manière que les circonstances lui auraient permise ou imposée, sans pour autant le "congeler". Ce choix n'était pas le choix obligé et unique. Mais soit, autre débat.
De nos jours, ceux qui se réclament des "nouveaux penseurs de l'Islam" ne s'inscrivent pas dans la lignée directe des penseurs comme Abdou. Ils remontent en fait beaucoup plus loin dans l'histoire théologique, en étudiant et relativisant le contexte de naissance des interprétations et des dogmes institués, sacralisés, et jamais remis en cause depuis. Ils s'aident ainsi pour la plupart de l'apport des sciences humaines, en contestant globalement le "verrouillage" de l'exégèse imposée à une période donnée, et en proposant de rouvrir les portes de la réflexion théologique.