Alain Duménil, accusé par les services secrets extérieurs d'avoir fait fondre leur trésor de guerre, assure avoir été menacé par deux agents. Il a porté plainte.
L'affaire n'aurait jamais dû éclater au grand jour. Si les résultats de la société France Luxury Group – dans laquelle avait investi la Direction générale des services extérieurs – avaient été florissants, le grand public n'aurait jamais su que nos espions disposaient depuis l'après-guerre d'un magot qu'ils faisaient fructifier. Et que certains de leurs agents étaient prêts à s'affranchir de leur légendaire discrétion pour récupérer leur mise, estimée à 25 millions d'euros.
Mais la déconfiture financière de la société dans laquelle ils avaient placé leur argent les a, semble-t-il, poussés à sortir du bois. Comme l'a révélé Le Monde , deux agents auraient ainsi mis la pression sur l'entrepreneur Alain Duménil, gestionnaire malgré lui d'une partie de la cagnotte secrète depuis qu'il avait repris France Luxury Group et ses marques de luxe, Emmanuelle Khanh ou Jean-Louis Scherrer, en 2002. Un guet-apens digne d'un roman d'espionnage qui a conduit l'homme d'affaires franco-suisse à déposer le 17 janvier une plainte pour « détention et séquestration », et « tentative d'extorsion en bande organisée » avec constitution de partie civile.
Passager d'une importance capitale
« Je me souviens que c'était le lundi 7 mars 2016. J'ai été approché par des sous-officiers de la DGSE [la Direction générale des services extérieurs, NDLR] sur une pratique assez habituelle dans le monde du renseignement, témoigne Patrice Bonhaume, le directeur de la police des airs et des frontières de Roissy, entendu dans le cadre des investigations de l'IGPN, la police des polices. On a mis en place un dispositif pour pouvoir contrôler M. Alain Duménil, qui partait pour la Suisse le 12 mars 2016. La DGSE m'a présenté le cas de ce passager comme étant d'une importance capitale pour eux », explique le commissaire selon son PV d'audition, que Le Point.fr a pu consulter.
Le jour J, l'homme d'affaires est effectivement intercepté sur la passerelle d'embarquement par plusieurs policiers en uniforme, sous prétexte que son passeport a été falsifié. Il raconte avoir été conduit dans une petite salle de 2 mètres sur 2, et avoir été séparé de l'amie avocate qui l'accompagnait. « La porte s'est ouverte et deux personnes de sexe masculin en tenue civile sont entrées dans la pièce. L'un des deux a pris la parole et a déclaré : En 2003, vous avez volé l'État de treize millions, ce qui fait aujourd'hui, avec les intérêts, quinze millions. Il faut nous les rendre et je vais vous donner la procédure à suivre . »
Soudaine marche arrière
Qui sont ces deux interlocuteurs mystères ? À en croire l'entrepreneur, l'un des agents aurait refusé de lui montrer sa carte professionnelle et aurait commencé à le menacer. « J'ai vu qu'il avait entre les mains un porte-vue qu'il a ouvert, montrant de nombreuses photos, essentiellement de ma famille et de moi-même avec des amis. Il l'a refermé tout de suite. »
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Manipulation frauduleuse ayant lésé l'État français
Ce dernier est depuis des années en conflit judiciaire avec Alain Duménil, qu'il accuse d'avoir dissimulé des informations sur la santé de la société. Un conflit classique entre actionnaires qui n'intéresserait personne si les services secrets n'y étaient pas mêlés. Mais la présence d'un service d'espionnage au capital en fait une affaire d'État, comme l'atteste cette note du 6 juillet 2016 à la directrice de l'IGPN, Marie-France Monéger. On peut y lire, sous la plume de Bernard Bajolet, patron de la DGSE : « Le 12 mars 2016, à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle, le Service a mené un entretien avec M. Alain Duménil. Cet entretien s'inscrit dans le cadre des missions du Service relevant du secret de la défense nationale. »
L'affaire ayant été rendue publique par l'article du Monde daté du 24 janvier dernier, la défense s'organise du côté de la Piscine, surnom donné au siège de la DGSE. Dans un communiqué transmis à Reuters, le service rappelle qu'« Alain Duménil est un affairiste international et un délinquant qui a déjà été condamné en France ». Et précise que « l'intéressé a été mis en examen au mois de novembre 2016 au sujet d'une manipulation frauduleuse ayant lésé l'État français. C'est dans ce contexte que la DGSE avait souhaité s'entretenir avec lui le 12 mars 2016 à l'occasion d'un de ses passages en France, entretien au cours duquel le service dément avoir exercé la moindre menace, séquestration ou tentative d'extorsion à son encontre.
+ sur
http://www.lepoint.fr/societe/l-hom...C#xtor=EPR-6-[Newsletter-Mi-journee]-20170125
mam