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L’autre judaïsme d’Avraham Burg
L’auteur de Vaincre Hitler croit à un Dieu qui a transmis à l’homme le pouvoir de décision en le rendant responsable de ses actes.
Fils d’un rabbin unanimement respecté, qui fut le chef du Parti national-religieux et son représentant dans presque tous les gouvernements depuis la création d’Israël, Burg — lui-même formé dans une yechiva (école consacrée à l’étude des textes rabbiniques) — cite abondamment la Torah et le Talmud pour démontrer que certains textes saints ont été incompris, mal interprétés, déformés, et sont en tout cas anachroniques.
Burg reproche aux dirigeants sionistes de s’être « approprié » la Shoah — une tragédie qui concerne bien sûr les Juifs, mais aussi l’ensemble de l’humanité — et de l’utiliser à des fins souvent inavouables.
Il leur en veut d’en avoir fait une composante essentielle de l’identité juive, réduisant du coup celle-ci aux persécutions subies dans le passé, occultant des siècles de paix et de bonne entente avec les autres peuples.
Et Burg de rappeler la sollicitude du Perse Cyrus le Grand pour ses sujets juifs, les relations fécondes que ces derniers entretenaient avec leurs compatriotes musulmans dans l’Europe médiévale, en Aragon, en Castille et en Andalousie, la cohabitation séculaire judéo-allemande avant l’avènement du nazisme, la situation privilégiée des Juifs dans les Amériques et dans nombre de pays.
Les Juifs bien intégrés dans leurs patries respectives et qui s’abstiennent d’émigrer en Israël ne devraient pas être stigmatisés, d’autant que la diaspora est un facteur de fécondité de la civilisation universelle, estime-t-il.
Burg s’oppose au choix même du mot Shoah (« catastrophe »), qui donne à l’holocauste hitlérien un caractère unique, incomparable aux génocides subis par d’autres peuples. Cet exclusivisme, selon lui, porte atteinte à la nécessaire compassion ou solidarité envers les victimes non juives.
Il alimente en outre une paranoïa malsaine, qui entretient le dogme sioniste selon lequel l’antisémitisme est un phénomène mondial et éternel :
« Le monde entier est ligué contre les Juifs. »
Les responsables sionistes ont utilisé la Shoah à divers titres. Elle sert, entre autres, à pratiquer un
« chantage affectif », rentable financièrement et politiquement ; elle rappelle aux Allemands leur culpabilité criminelle, aux Américains et aux Européens leur passivité dans le sauvetage des Juifs soumis au joug nazi.
Ainsi, les autorités israéliennes sont assurées de l’impunité, quels que soient leurs violations de l’éthique et de la législation internationale, de même que des droits de l’homme, et leurs crimes de guerre, entre autres les « assassinats ciblés » de Palestiniens.
L’auteur de Vaincre Hitler s’en prend aux livres scolaires israéliens qui ignorent tous les génocides autres que celui subi par les Juifs ; et aussi aux lois qui sanctionnent uniquement les crimes contre le peuple juif, le négationnisme de leur martyre. Il s’élève contre l’octroi automatique de la citoyenneté israélienne aux immigrants juifs sur des critères religieux.
Partisan d’une pleine laïcité, il dénonce encore les « fondamentalistes religieux » qui ne cessent de bafouer la souveraineté nationale. Constatant que ses compatriotes se donnent fréquemment comme dirigeants des généraux de l’armée et des services secrets, il avertit qu’« un Etat des rabbins et des généraux n’est pas un cauchemar impossible ».
Il recommande dès lors que Juifs et Israéliens se libèrent de celui de la Shoah, dont « il faudra, certes, se souvenir éternellement, tout en cessant de se rouler dans la poussière », car il « faut en finir avec l’Etat d’Auschwitz et la culture du traumatisme et de la terreur ».
Burg se considère pas comme antisioniste lorsque les principes établis par Theodor Herzl et les valeurs de la déclaration d’indépendance sont « trahis ».
Ainsi, quand on transforme Israël en « un Etat colonial dirigé par une clique immorale de hors-la-loi corrompus ». Et il se lamente, toujours dans la même interview à Yediot Aharonot :
« La fin du sionisme est à notre porte (...), il se peut qu’un Etat juif subsiste, mais ce sera un Etat d’un autre genre, affreux car étranger à nos valeurs. »
L’auteur de Vaincre Hitler a tout naturellement suscité en Israël un tollé, mais aussi le soutien d’hommes et de femmes qui aspirent à une profonde réforme de leur Etat. Burg, la cinquantaine, peut espérer que son rêve devienne réalité.
Eric Rouleau.