Et ça, c'est de la faute du Hamas ?
“Si un Palestinien agaçait un soldat, il était enfermé dans une toute petite cellule, raconte-t-elle. Avec toute la pression et le stress du barrage, il était souvent oublié là.”
Ce genre de récit est loin d’être anecdotique. Entre 2006 et 2009, Gil Hillel était en poste à Hébron, ville de Cisjordanie au sud de Jérusalem. Elle garde un souvenir amer de sa première patrouille :
“L’un de mes chefs, le plus expérimenté, a saisi un vieillard palestinien, se souvient-elle. Il l’a entraîné dans une rue, puis l’a roué de coups.”
Face à la scène, Gil est la seule à protester. Son supérieur lui enjoint de se taire. Comme elle insiste, il finit par lâcher, laconique : “C’est lui ou moi“.
Mises l’une à la suite de l’autre, ces chroniques individuelles dressent le portrait d’un Tsahal paranoïaque, qui voit en n’importe quel Palestinien un terroriste en sommeil, refuse de se mêler à l’”ennemi” aux files d’attente des checkpoints, et rase ses maisons, pour le symbole…
Obligation de “rendement”
Certains militaires dénoncent une obligation de rendement, une “prime au résultat” qui les incite à créer le danger de toutes pièces. Ils mentionnent des opérations spéciales, dénommées “Provocation et réaction“, dont le but est d’attiser artificiellement le conflit. C’est ce que rapporte un ancien soldat de la région de Naplouse, la plus grande ville des territoires palestiniens occupés :
“Provocation et réaction”, dit-il “c’est pénétrer un village, faire beaucoup de bruit, attendre qu’on te jette des pierres. Et là, tu les arrêtes, et tu dis : “Ils nous ont jeté des pierres”.
Le sergent Avner Gvaryahu a aussi exercé à Naplouse, entre 2004 et 2007. Il raconte que dans la brigade anti-tanks, son corps d’élite, les soldats étaient classés selon leur “tableau de chasse”.
“J’ai fini par réaliser que si l’un de nous voulait réussir, il fallait lui ramener des morts” [Le message, c'était :] “Vous êtes l’élite, l’armée a investi en vous, maintenant, ramenez-moi des terroristes morts.”
Un ex-sniper de la ville de Jénine raconte avoir tiré sur un Palestinien visiblement inoffensif, sur les ordres d’un supérieur. Dans le rapport des militaires, l’homme devient “un éclaireur”, qui “passait des informations” aux terroristes.
L’autre visage de l’occupation
C’est l’ONG, “Breaking the Silence” (“rompre le silence”), créée par d’ex-soldats israéliens, qui a initié ce projet de lecture publique. Depuis dix ans, elle sillonne l’Etat hébreu pour rencontrer d’ancien militaires et compiler leurs récits. Une opération sur le long terme (elle a déjà donné lieu, notamment, à un livre), qui se positionne clairement contre l’occupation des territoires palestiniens, et représente donc une frange bien circonscrite de l’opinion israélienne.
Son objectif : obtenir une radiographie de l’occupation de la Palestine par ceux qui la vivent au plus près, à hauteur d’homme et loin du discours officiel. C’est ce qu’explique au Guardian Yehuda Shaul, cofondateur de l’ONG et lui-même ex-soldat.
Les Inrocks.