Les Chinois défendent l’idée d’un ordre du monde où l’interaction des participants produit un jeu gagnant-gagnant, et le bloc occidental défend implicitement l’idée d’un monde où les interactions produisent un jeu à somme nulle.
D’un côté, un ordre du monde pacifique, tolérant, fondé sur la coopération, et sans ingérence interne produit un résultat positif pour tous, disent les Chinois.
De l’autre côté, les Occidentaux ne s’expriment pas clairement, mais ils mettent en pratique une philosophie radicalement opposée, qui implique qu’ils ne croient pas à la possibilité de la cohabitation, de la coopération, du co-développement et de la coexistence pacifique.
Ils sont persuadés que le jeu est à somme nulle. Ils sont persuadés que ce que les uns gagnent, les autres le perdent. Ils croient qu’il ne peut y avoir qu’un seul alligator dans le même marigot. Il n’y a pas de la place pour deux !
Les Occidentaux ont été échaudés par leur erreur de la phase de coopération avec la Chine ; ils se sont aperçus que les Chinois en profitaient pour progresser, investir, s’éduquer, monter dans l’échelle de la valeur ajoutée, s’armer. Ils ont donc considéré que le jeu du co-développement leur était défavorable et, à partir de là, ils ont basculé avec Obama, puis avec Trump vers la conception du jeu à somme nulle.
Les Occidentaux ont cru qu’en développant
l’échange inégal avec la Chine qu’ils allaient en fait reproduire la situation coloniale à la faveur de cet échange inégal ; le développement et le décollage des colonies avait été paralysé !
Samir Amin
Mais la Chine a été plus clairvoyante : elle a contourné la situation coloniale et l’a retournée à son avantage grâce au contrôle des changes, au contrôle des investissements étrangers, et grâce au partage obligatoire des savoir-faire, grâce à la gestion du yuan, grâce au maintien d’un système financier fermé et, bien sûr, grâce à la neutralisation politique de la classe des riches compradores.
Si on suit les tribulations occidentales, on y voit se développer la peur de l’avenir généralisée, l’angoisse de rareté, la psychose climatique, la volonté de freiner le développement des masses, la marche vers un monde de plus en plus fermé et élitiste, etc.
Ce qui me frappe, c’est que le soi-disant libéralisme que l’Occident prétend défendre s’est inversé ; il s’est inversé en un farouche conservatisme d’accaparement.
L’Occident veut que le temps s’arrête, il veut retenir la prospérité qui file entre ses doigts, il refuse la destruction de ce qui est mort, périmé. Cet Occident ne croit plus – comme les vrais libéraux le croient – que la marche en avant produit, à chaque fois qu’une rareté se manifeste, des substitutions.
L’Occident croit à l’épuisement des ressources et donc il est persuadé «qu’il n’y en a plus pour tout le monde».
Le vrai libéralisme est positif, progressiste, le faux libéralisme des élites actuel est un recroquevillement de vieillards à la Jacques Brel accrochés à leurs fauteuils roulants.
Le capitalisme est un moment de l’histoire, mais ce n’est pas la fin de l’histoire ; il a ses limites et il sera dépassé. Voilà ce que les classes supérieures occidentales refusent de reconnaître. Elles sont obsédées par l’arrêt du temps et elles ont une volonté d’éternité, une volonté d’immuable. C’est le fameux «ô temps suspend ton vol» de la bourgeoisie et des conservateurs acharnés. Ceux-là ont récupéré l’idéologie du progressisme pour l’inverser.