Mais il n’est pas interdit de parler par exemple des chrétiens, des bouddhistes ou des sud-asiatiques.
Il faut voir dans quel contexte vous vous servez de ces dénominations. Vous n’appelez jamais un Allemand un protestant, un catholique ou un outre-Rhinois. Milan Kundera s’est toujours insurgé contre l’appellation Europe de l’Est, car il sait qu’elle a une connotation méprisante. D’après lui, le terme « pays de l’Est » est une aberration. Il y a des pays qui se situent à l’est du continent européen dont chacun a un nom, une histoire, une culture et une langue. Les individus provenant de ces pays préfèrent être désignés non pas comme les Européens de l’Est mais par leur origine nationale.
L’omission de référence à l’origine nationale d’un Tchèque, d’un Polonais ou d’un Roumain peut être à la limite offensante. Mais dans le cas des supposés musulmans en France, elle pose de vrais problèmes d’ordre politique et sociologique. Le rejet de l’appartenance nationale a été un élément fondamental du projet de Seyyed Qotb, l’un des deux principaux idéologues des Frères musulmans et l’un des inspirateurs du salafisme. Pour lui, «
la nationalité du musulman, c’est sa foi ». En utilisant ce terme fourre-tout de musulman pour se référer sociologiquement ou démographiquement à une population, les hommes politiques, de même que la plupart des sociologues, reprennent à leur compte cette idée de Seyyed Qotb.
Le salafisme prétend restaurer l’islam des premiers siècles en se référant aux sources scripturaires. Le retour à l’islam des origines a toujours été le but ultime de son projet. Si le fait de parler d’un « islam de France » offusque autant certaines personnes, la raison est que cette conception primaire de l’islam a bien conquis les esprits. Ainsi, le directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France n’a pas tort d’être étonné, pour ne pas dire choqué, quand il entend que l’on va «
réformer l’islam de France ». A ses yeux, en prétendant trouver à l’islam une « adaptation » française, on rend l’islam exotique : il n’y a pas, à proprement parler, d’islam de France.
Il y a l’islam, en tant que religion et spiritualité.
Alors, quel islam est à votre avis la source de ce débat enflammé en France?
Il convient d’abord de ne pas confondre l’islam et l’islamisme. Mais il faut reconnaître qu’en France, l’islam irrite quand il envahit sous ses divers aspects l’espace public. Il fait peur quand des illuminés commettent des crimes en son nom. Il faut le dire sans ménagement, ni complexe ni amertume. La discrétion qu’a récemment préconisée Jean-Pierre Chevènement aux populations de confession musulmane ne doit pas être considérée comme un affront. C’est peut-être le seul moyen de réduire la tension qui s’est malencontreusement installée entre ces populations et une partie de la société française et qui s’est transformée pour certains en un fonds de commerce fructueux. La meilleure façon de rétablir le calme, c’est peut-être de laisser ces populations s’approprier sereinement et souverainement leur foi. Un Etat, surtout quand il se veut laïque, n’a pas vocation à réformer une religion venue d’ailleurs qui cherche à trouver une place dans l’harmonie du système. Il peut à la limite aider ces fidèles à mettre en place des institutions nécessaires à la pratique de leur culte dans le respect de la loi du pays.
D’ailleurs, l’islam n’est pas apte à subir une quelconque réforme qui viserait ses fondements doctrinaux. Quelles réformes voulez-vous imposer à l’islam à supposer que nous ayons affaire à un seul islam ? Les réformateurs contemporains de l’islam, de Hassan al-Banna à Khomeiny en passant par Seyyed Qotb ont tous voulu réformer la société selon la doxa islamique et non pas la doxa islamique en fonction des exigences de la société en mouvement. Ils ont d’ailleurs subi « la ruse de l’histoire » en donnant par là-même et à leur insu un coup d’accélérateur au processus de sécularisation qu’ils voulaient endiguer.
En fait, concrètement parlant, le problème c’est l’islamisme qui manipule les musulmans en vue de son projet politique. Il puise certes ses fondements dans le Coran et la Sunna, en d’autres termes dans l’islam des origines, mais le problème est qu’il est assisté par une armada d’intellectuels qui, au nom de la liberté de conscience et se voulant défenseurs des discriminés, essayent de contraindre l’Etat à des concessions de tout genre. L’islamophobie, s’il y a, n’est que réaction à cet islamisme. C’est un bras de fer dans lequel l’Etat a une position malaisée. Par principe, il ne doit céder à aucune contrainte religieuse. Par contre, il peut se doter d’outils intellectuels pour pouvoir discerner et pointer, le cas échéant, l’islamisme qui grignote jour après jour l’espace réservé aux fidèles de l’islam.