http://www.reporterre.net/L-enfance-miserable-des-freres
Quelle était l’enfance de Chérif et Saïd Kouachi, les deux hommes qui ont assassiné les journalistes et les policiers à Charlie Hebdo? Une enfance misérable, de père absent et de mère prostituée, dans un immeuble populaire du 19e arrondissement de Paris. Evelyne les a connus, elle témoigne.
(...)
Elle en rêvait, de son logement social. Elle pose donc meubles, enfants, mari, dans un F4 du 156 rue d’Aubervilliers, à Paris. Avec son CAP de comptabilité, Evelyne s’en va chaque matin travailler tout près de la cité, en plein 19e arrondissement. Nous sommes dans les années 1980. La mixité sociale n’est encore qu’une théorie, un concept.
«Ici, nous vivions entre pauvres. Et encore, la plupart des gens, une fois passées quelques années, partaient ailleurs. Le quartier craignait vraiment. Nous avons décidé de rester pour changer notre environnement nous-mêmes, nous les locataires du 156. Nous voulions sauver notre quartier.»
Un enfant comme les autres
Alors, Evelyne crée des associations. L’une d’elles, Jeunes et locataires, voit le jour dans les années 1990. Son but est de sortir les enfants, de leur faire découvrir autre chose «que le ghetto». Son association est une des rares à traverser le temps, elle existe pendant plus de dix ans. Elle parvient à dégoter quelques subventions, alors elle prend la main des gamins du quartier et les emmène ailleurs. Un goûter dans un parc, une sortie dans un beau quartier de Paris, et même un jour : Eurodisney.
On la prévient, dans la bande des enfants, l’un est particulièrement coquin, voire turbulent. Il s’appelle Chérif. Il se balade toujours avec son grand frère Saïd, plus discret. À croire que le plus petit est l’aîné. Saïd pleurniche tout le temps, et suit toujours son cadet. Evelyne surveille le cadet «comme du lait sur le feu».
«J’adorais cet enfant. Il suffisait qu’on le cajole, qu’on le prenne dans les bras pour qu’il se calme. Moi, je l’ai trouvé touchant, ébahi comme tous les autres par la bande à Mickey.» Un enfant comme les autres, qui croit en la magie de Disney, et qui se calme dès qu’on l’apaise. «On les emmenait au cinéma, Chérif adorait y aller.»
Mère en détresse
Sa mère n’a pas d’argent pour payer la cantine, et elle n’est pas du genre à demander de l’aide. Evelyne qui aide tout le monde à faire ses papiers, ne l’a jamais vue dans son bureau. On ne sait rien du père, et peut-être même les enfants ont-ils des pères différents. Ils ont toujours vécu ici, nés en 1980 et 1982. Deux des cinq enfants ont déjà été placés ailleurs par les services sociaux, quand Evelyne suit Cherif et Saïd.
Quelques mois après la sortie à Eurodisney, Chérif rentre de l’école comme chaque midi. Accompagné comme toujours de son grand frère, il découvre ce midi-là, en plein milieu de l’appartement, sa maman morte. Morte de quoi? Elle aurait avalé trop de médicaments. Pour beaucoup, il s’agit d’un suicide.
Finalement, tout le monde connaissait le quotidien de cette mère célibataire. Et les langues des habitants du quartier finissent par se délier. Elle ne parvenait plus à subvenir aux besoins de ses cinq enfants, elle avait fini par faire le trottoir pour arrondir les fins de mois. Elle serait morte, selon la gardienne qui était la seule qui lui parlait, enceinte d’un sixième enfant.
Les enfants sont orphelins, Saïd a douze ans, Chérif a dix ans. Ils quitteront le 156, pour passer leur adolescence, en Corrèze, dans un établissement de la Fondation Claude Pompidou
(...)
Evelyne, elle, qui a pris sa retraite et vit maintenant dans la région Centre, concède : «Je ne devrais pas le dire, vous allez me prendre pour une folle, mais quelque part, moi ces gamins-là, je les plains…»
Quelle était l’enfance de Chérif et Saïd Kouachi, les deux hommes qui ont assassiné les journalistes et les policiers à Charlie Hebdo? Une enfance misérable, de père absent et de mère prostituée, dans un immeuble populaire du 19e arrondissement de Paris. Evelyne les a connus, elle témoigne.
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Elle en rêvait, de son logement social. Elle pose donc meubles, enfants, mari, dans un F4 du 156 rue d’Aubervilliers, à Paris. Avec son CAP de comptabilité, Evelyne s’en va chaque matin travailler tout près de la cité, en plein 19e arrondissement. Nous sommes dans les années 1980. La mixité sociale n’est encore qu’une théorie, un concept.
«Ici, nous vivions entre pauvres. Et encore, la plupart des gens, une fois passées quelques années, partaient ailleurs. Le quartier craignait vraiment. Nous avons décidé de rester pour changer notre environnement nous-mêmes, nous les locataires du 156. Nous voulions sauver notre quartier.»
Un enfant comme les autres
Alors, Evelyne crée des associations. L’une d’elles, Jeunes et locataires, voit le jour dans les années 1990. Son but est de sortir les enfants, de leur faire découvrir autre chose «que le ghetto». Son association est une des rares à traverser le temps, elle existe pendant plus de dix ans. Elle parvient à dégoter quelques subventions, alors elle prend la main des gamins du quartier et les emmène ailleurs. Un goûter dans un parc, une sortie dans un beau quartier de Paris, et même un jour : Eurodisney.
On la prévient, dans la bande des enfants, l’un est particulièrement coquin, voire turbulent. Il s’appelle Chérif. Il se balade toujours avec son grand frère Saïd, plus discret. À croire que le plus petit est l’aîné. Saïd pleurniche tout le temps, et suit toujours son cadet. Evelyne surveille le cadet «comme du lait sur le feu».
«J’adorais cet enfant. Il suffisait qu’on le cajole, qu’on le prenne dans les bras pour qu’il se calme. Moi, je l’ai trouvé touchant, ébahi comme tous les autres par la bande à Mickey.» Un enfant comme les autres, qui croit en la magie de Disney, et qui se calme dès qu’on l’apaise. «On les emmenait au cinéma, Chérif adorait y aller.»
Mère en détresse
Sa mère n’a pas d’argent pour payer la cantine, et elle n’est pas du genre à demander de l’aide. Evelyne qui aide tout le monde à faire ses papiers, ne l’a jamais vue dans son bureau. On ne sait rien du père, et peut-être même les enfants ont-ils des pères différents. Ils ont toujours vécu ici, nés en 1980 et 1982. Deux des cinq enfants ont déjà été placés ailleurs par les services sociaux, quand Evelyne suit Cherif et Saïd.
Quelques mois après la sortie à Eurodisney, Chérif rentre de l’école comme chaque midi. Accompagné comme toujours de son grand frère, il découvre ce midi-là, en plein milieu de l’appartement, sa maman morte. Morte de quoi? Elle aurait avalé trop de médicaments. Pour beaucoup, il s’agit d’un suicide.
Finalement, tout le monde connaissait le quotidien de cette mère célibataire. Et les langues des habitants du quartier finissent par se délier. Elle ne parvenait plus à subvenir aux besoins de ses cinq enfants, elle avait fini par faire le trottoir pour arrondir les fins de mois. Elle serait morte, selon la gardienne qui était la seule qui lui parlait, enceinte d’un sixième enfant.
Les enfants sont orphelins, Saïd a douze ans, Chérif a dix ans. Ils quitteront le 156, pour passer leur adolescence, en Corrèze, dans un établissement de la Fondation Claude Pompidou
(...)
Evelyne, elle, qui a pris sa retraite et vit maintenant dans la région Centre, concède : «Je ne devrais pas le dire, vous allez me prendre pour une folle, mais quelque part, moi ces gamins-là, je les plains…»