Pour terminer ce premier point, je te dirais aussi que cette position que tu défends, et qui est celle de l’Islam classique contemporain, n’a pas toujours été l’unique conception. Elle-même est le fruit d’un rapport de forces historique entre des courants doctrinaux différents. La logique que je t’ai exposée ci-avant avait déjà été tenue aux premiers âges de l’Islam, pour une partie significative, par les mutazilistes, qui défendaient le caractère créé du Coran, pour les mêmes raisons. Mais ceux-ci ont été défaits, après une période ou leur doctrine était dominante en l’Islam, par les acharites et les hanbalites qui, eux, défendaient la thèse du Coran incréé.
Tu vois donc que ce en quoi tu crois n’a pas toujours été une évidence partagée par tous. C’est un courant qui s’est imposé par rapport à un autre, d’une manière qui, du reste, n’a pas relevé que du discours théologique pacifique. Après leur victoire sur les mutazilistes à la fin 9ème siècle sous le calife al-Mutawakkil, les adeptes de la thèse adverse ont détruit les travaux de ceux-ci et verrouillé soigneusement les portes de la contestation théologique. Quiconque niait désormais le caractère créé du Coran était déclaré hérétique. Malgré un certain regain quelques siècles plus tard, le courant mutaziliste a disparu au 13ème siècle, et le sunnisme contemporain, héritier des tendances dominantes, a partagé ces visions sans jamais plus les remettre en cause.
Je t’invite pour mieux comprendre ce que je dis ici à lire l’ouvrage « Penser le Coran », de Bahgat Elnadi et Adel Rifaat. Tu peux aussi visionner cette vidéo, qui est une interview d’un de ses auteurs :
http://oumma.com/spip.php?page=oummatv-article&id_article=3468.
J’en arrive à présent au second point, celui des faits historiques dont tu doutes qu’ils aient été antéislamiques.
Commençons par l’amputation :
Tu en trouveras une preuve dans le lien suivant, section II 1), pp 9-11:
http://www.jurisdoctoria.net/pdf/numero3/aut3_TOUALBI.pdf
Je te cite le passage qui relève de ce dont on discute :
« Dans cette configuration pénale antéislamique, le premier constat qui nous interpelle est l’absence de toute institution carcérale. Les peines pénales se résumaient alors soit à l’exil et à l’amputation, soit à la flagellation et à la vengeance du sang.
(…
Pour ce qui est du vol, c’est sans doute en raison de l’accroissement de la pauvreté au sein de la communauté mecquoise et de l’anéantissement des valeurs tribales, que beaucoup de mendiants commencèrent à s’adonner au brigandage.
L’exégète El-Qurtubî (1268) nous apprend que face à cette situation particulière, c’est El-Mughirat Ibn El-Walid, un notable de la Mecque, qui décida un jour de trancher la main du voleur (19). Cette pratique aura tôt fait de s’enraciner dans les usages des Arabes avant d’être, comme nous le verrons plus loin, confirmée par la Charia"
La source citée est M. QURTUBI, Les Lois du Coran, (el djami’fî ahkêm el qur’ân), Le Caire, Dar-El-Kutûb, 1967, t. 6, p. 160
Si tu veux d’autres historiens affirmant la même chose, en voila une liste bibliographique succincte :
• Mohamed Charfi, Islam et liberté », pp 97-99
• M.M. Bravmann, The spiritual background of early islam, : studies in ancient arab concepts, Leiden, 1972.
• Lammens, Le berceau de l'islam. L'Arabie occidentale à la veille de l'hégire, Beyrouth, 1928,
• CARDASCIA, Guillaume, "La peine dans les droits cunéiformes" dans La peine, Première partie: Antiquité / Punishment - First Part: Antiquity, Bruxelles: De Boeck Université, 1991, 199 p., aux pp. 37-49, (Collection; Recueils de la Société Jean Bodin pour l'histoire comparative des institutions; vol. 55), (series; Transactions of the Jean Bodin Society for Comparative Institutional History; vol. 55), ISBN: 2804115232;
• BONTE (Pierre), La quête des origines, Al-ansâb : anthropologie historique de la société tribale arabe : [mélanges pour Mokhtar Ould Hamidoun] / Pierre Bonte, Édouard Conte, Constant Hamès… [et al.], Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1991, 260 p. Bibliogr. ISBN 2-7351-0426-5.