mardi 18 novembre 2008 - 07h:30
Gilad Atzmon
La question laissée au pacifiste enthousiaste est : « Quelle chance est laissée à la paix avec une telle identité autodestructrice ? Ou alors, comment pouvez-vous faire la paix avec un sujet qui est obsédé par sa destruction future ? ».
Valse avec Bashir est un nouveau film israélien stupéfiant, un documentaire animé réalisé par Ari Folman.
En 1982, à 19 ans, Folman était soldat dans l’infanterie des Forces de défense israéliennes. Vingt-quatre ans plus tard, en 2006, Folman est surpris de constater qu’il ne se souvient de rien, ni sur la guerre ni sur les massacres à Sabra et Shatila. Le film est un voyage dans le passé perdu de Folman.
Le documentaire est un enchaînement d’interviews et de conversations entre Folman et ses complices de l’armée, des psychologues et Ron Ben Yishai, le journaliste légendaire de la télévision israélienne qui fut parmi les premiers à parler des massacres de Sabra et Shatila. Le cadre cherche à construire une histoire passée personnelle cohérente tirée des mémoires brisées des autres.
Le film suit un mouvement extrêmement sensible et émotionnel. Dans une certaine mesure, il s’agit d’une tentative personnelle très courageuse de traiter le passé collectif accablant des Israéliens, et particulièrement les massacres à Sabra et Shatila. Toutefois, il nous est demandé de ne pas oublier que les massacres dans les camps de réfugiés palestiniens, bien que suscités par l’armée israélienne, ont été matériellement commis par les phalangistes chrétiens du Liban.
Ceci pourrait expliquer pourquoi les Israéliens sont si enthousiastes à propos du film. D’une part, ce ne sont pas eux qui ont commis effectivement les meurtres. D’autre part, le fait d’aimer le film les montre comme de grands humanistes. Ils prétendent ainsi s’arranger avec leur noir passé.
Quand la nouvelle du massacre a éclaté dans les médias israéliens, le Premier ministre, Menachem Begin, cyniquement, a fait cette réponse à ses critiques : « Des Arabes tuent des Arabes, et les Juifs en attribuent la responsabilité aux uns et aux autres ». Je ne sais comment, le Premier ministre a réussi, prophétiquement, à mettre le doigt dessus. Apparemment, si les Israéliens peuvent aisément être confrontés à un film critique sur les massacres de Sabra et Shatila, c’est précisément parce qu’il s’agit « d’Arabes tuant des Arabes ». Par contre, le film Jénine, Jénine (vidéo), de Mohamed Bakri, qui raconte l’histoire du massacre de Jénine, une agression meurtrière perpétrée par les soldats des FDI, n’est pas du tout accepté par le peuple israélien. Il est clair que les Israéliens ne veulent pas en apprendre davantage sur leurs actes assassins par un concitoyen qui se trouve être arabe.
Dans Valse avec Bashir, Folman est à la recherche de son passé perdu. Sa première image est son ami psychologue qui réussit à avancer une idée très utile. « La mémoire », dit ainsi le psychologue, « peut être très créative. Quand c’est nécessaire, elle invente tout simplement un passé. »
Ceci peut nous aider à comprendre les réflexions de Folman et de ses compagnons. Comme on pouvait s’y attendre, dans le film le soldat des FDI est en quelque sorte une victime. Il n’est qu’un rouage d’une grosse machine de guerre, il « exécute les ordres ». Le soldat, à titre individuel, est impuissant, il ne peut pas arrêter le massacre, il peut seulement rendre compte à ses supérieurs. Sinon il peut « tirer et pleurer » après coup ou, comme dans le cas de Folman, il peut s’arranger avec l’amnésie ou la répression.
Intelligemment et admirablement fait, le film entier est animé, ce qui nous laisse supposer que toute mémoire retrouvée, ou histoire passée racontée, peuvent être une mémoire ou une histoire conçues. Cependant, la dernière scène du film est un véritable tableau. Elle nous emmène vers les camps de réfugiés ravagés et les sanglots des Palestiniens. Elle est là pour nous dire : « Mesdames et Messieurs, ce qui suit n’est pas un souvenir personnel. Ce tableau n’est pas une déconstruction animée. C’est celui d’un massacre VERITABLE qui s’est produit sous notre nez. »