"J'ai voté FN pour la première fois"
Un vote de crise, le vote en faveur de Marine Le Pen ? En tous cas, un vote qui exprime un mal-être pluriel, "à la confluence de malaises", selon le mot de Pascal Perrineau, directeur du Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po. Les nouveaux électeurs du Front national se recrutent dans toutes les couches de la population, sur tout le territoire, et leurs parcours de vote sont souvent divers, comme le montrent les quelque 200 témoignages d'électeurs du Front national recueillis par LeMonde.fr.
C'est d'abord et principalement sur la thématique de l'immigration et de l'islam que Marine Le Pen convainc ces "primo-électeurs". Ils disent se sentir "dépassés", voire "envahis" par les étrangers et estiment que leur angoisse n'est pas prise en compte. Ainsi Nadine P., tenancière de bar à la retraite dans un village de l'Orne, "tracassée par ce problème d'immigration" car ayant une fille "dans la police dans le 93 [Seine-Saint-Denis]", dit avoir "très peur". Il faut "arrêter les entrées [d'étrangers] et redonner la France aux Français, surtout pour les personnes qui ont des enfants et qui ne touchent presque rien !", argumente cette sexagénaire, pour qui "Marine a un programme [qu'elle comprend] bien".
DISCOURS XÉNOPHOBE ASSUMÉ
"J'habite une ville investie par les Arabes, qui affirment de plus en plus, par leurs vêtements, leurs voilages, leurs barbes, leur différence", explique, de son côté, Colette K., graphologue à Nice. Ces électeurs, qui "ne se sent[ent] plus chez [eux]", expriment sans fard un ressentiment anti-immigrés, accusant les "non-Français" de menacer leur mode de vie et leur environnement culturel. Pascal D., pharmacien à Cugnaux (Haute-Garonne), raconte sa "lassitude" de voir dans son officine "des gens d'origine maghrébine, bénéficier de la CMU [couverture maladie universelle] et qui sont beaucoup plus intransigeants que des gens qui payent mutuelle et impôts".
Le discours xénophobe, très nettement islamophobe, est assumé. "Les méfaits en nombre sont perpétrés par des jeunes issus de l'immigration qui préfèrent dealer que travailler", dit-il. L'insécurité, corollaire de l'immigration, revient aussi comme un leitmotiv. "Trop d'immigrés, trop d'insécurité, trop de chômage", titre Laurent F., commissaire aux comptes parisien. "Qui n'a pas été victime d'une agression ou d'un vol ? Tout le monde sait qu'une bonne partie des crimes et délits est le fait des immigrés ou de population d'origine immigrée", assure ce trentenaire. "J'habite les Vosges et, depuis quelques années, il y a de plus en plus de délits et d'agressions, beaucoup de chômage, aussi, et on en a tous ras-le-bol", s'écrie Franck, jeune commercial de 22 ans.
Marine Le Pen a réussi à attirer ceux qui se sentent les laissés pour compte de la mondialisation, en liant la question sociale à la question identitaire. Les petits récits explicatifs disent cette exaspération diffuse mais palpable, qui s'exprime de manière brutale. "On souffre, la vie est dure. Depuis l'arrivée de l'euro, les prix ont explosé, et nous savons que tout ceci vient de l'Europe", témoigne encore Franck, qui, avec ses 1 200 euros de salaire mensuel, vit toujours chez ses parents.