Accusé d’aimer son pays,
par Sanaa Elaji, chroniqueuse à "assabah"
Que se passe-t-il donc ? Comment en est-on arrivés à nous accuser avec tant de facilité de trahison ou de « mahkzénisation » ? Depuis quand le fait d’aimer son pays est-il un acte de félonie ? Depuis quand l’adhésion à sa patrie est-il une bassesse ou un motif d’invective contre ceux qui la déclarent ? Dire aujourd’hui que l’on aime son pays est devenu chose suspecte. Mettez donc un t-shirt frappé du drapeau marocain et vous vous attirerez tous les sarcasmes du monde et si, d’aventure, vous soutenez une quelconque initiative prise par une quelconque institution officielle, vous voilà aussitôt taxé de partisan du régime et de profiteur de toutes sortes de rentes. Applaudissez une décision du gouvernement et/ou du palais, même sérieuse, même importante, et on vous accablera tant qu’il vous faudra dissimuler vos idées, et vous avec.
« Makhzénien », « profiteur », « inféodé au régime », « en quête d’un agrément »… autant de qualificatifs gracieusement distribués ici et là pour toute personne qui « ose » exprimer son opinion favorable sur cette nation, son parcours, son cheminement et ses évolutions.
Pour avoir une crédibilité comme « intellectuel » ou « militant » ou encore « politique » ou enfin « journaliste », il convient désormais de mettre en doute l’intégrité territoriale et d’affirmer que nous vivons dans le cadre et à l’ombre d’un régime dictatorial effrayant. Pour disposer d’une bonne crédibilité, il vous faut épouser dorénavant la théorie du complot dans toutes vos analyses et dans tous vos commentaires. Pour éviter d’être taxé de « makhzénien insignifiant », il est bon de critiquer la monarchie, d’accabler les institutions, et d’injurier les partis. Dans le cas contraire, vous êtes cette créature du makhzen qui cherche une fonction, et qui aspire à une bénédiction venue d’en haut.
Au nom des valeurs de liberté, de justice et de démocratie, certains deviennent discriminatoires. « Ou tu es avec nous, ou tu es un soutien du makhzen, docile, soumis et bénéficiaire des rentes du régime ». Ou tu t’en prends aux institutions et tu rejettes en bloc tout ce qu’elles font, ou tu perds ta crédibilité comme intellectuel, comme activiste, comme politique et journaliste.
Cette terre n’est pas un paradis. Elle a son lot de problèmes et elle connaît des travers. Aimer son pays ne signifie pas nécessairement que l’on doive détourner les yeux de ses défauts. Aimer son pays ne veut pas dire qu’il faille nier ses anomalies et autres dysfonctionnements. Aimer son pays n’oblige nullement à chanter à tue-tête que « tout va bien, Madame la marquise ». Mais, dans le même temps, pour disposer de crédibilité,nous ne devons pas dire et répéter inlassablement que rien ne va chez nous. Avoir de la crédibilité ne doit pas être lié au fait d’applaudir à tout ce qui se passe et se fait, même quand ce n’est pas bien, pas plus qu’il ne doit être lié à l’adhésion à toutes les vagues d’opposition, jusques-y compris celles qui ne se fondent sur rien d’objectif. Avoir de la crédibilité ne doit pas mener à soutenir toutes les doléances populaires, même les plus irrationnelles. Avoir de la crédibilité n’oblige pas à éreinter toutes les initiatives et décisions émanant des cercles officiels, pour le simple fait qu’elles sont, justement, officielles, même si elles sont louables et acceptables. Même si elles sont utiles.
On peut aimer son pays et dans le même temps souffrir de ses tares, contester les mauvaises décisions et évaluer les dérapages et autres travers. On peut aimer son pays tout en mettant le doigt sur certaines décisions provenant des institutions officielles et du palais, et aussi en pointant les mauvais comportements des citoyens lambda. Mais, en revanche, être objectif, c’est savoir, quand il le faut, critiquer des revendications non légitimes et indues, critiquer certaines attitudes de l’opposition qui s’oppose seulement pour exister…
Que ne se moque-t-on pas aujourd’hui de cet individu qui déclare aimer son pays et qui affirme que le Maroc peut certes trébucher mais qu’il réussit toujours à se redresser puis à reprendre le droit chemin vers un avenir meilleur… Nous nous en prenons à ceux qui pensent et disent que nous ne sommes certes pas ce pays dont nous avons rêvé, mais qui pensent et disent également que la responsabilité de l’édification d’une nation moderne incombe à tous, qu’elle est collective et qu’elle n’est pas de la seule responsabilité des institutions, mais des citoyens aussi. Aujourd’hui, nous rejetonstoutes les initiatives et nous arborons fièrement notre refus de tout et notre rejet du reste. Aujourd’hui, vouloir s’impliquer dans la construction d’un pays et ne plus accepter d’attendre que tout vienne d’en haut est devenu synonyme d’opportunisme. Toutes les louables initiatives sont désormais douteuses, pour la simple et unique raison qu’elles ne s’appuient pas sur l’opposition systématique et préalable.
Cette nation n’est pas parfaite, pas plus qu’elle n’est un jardin d’Eden. Son parcours, comme partout ailleurs, est émaillé de fautes, de travers et de faiblesses, de revers et de maladresses. Oui, c’est vrai, mais ça bouge quand même. On marche, on avance, on trébuche, on se relève, et on continue, sûrement, résolument. Aimez votre pays, choyez-le, mais pointez ses côtés négatifs. N’ayons pas honte de déclarer haut et fort que nous l’aimons, ce coin de terre. L’insulter, le critiquer, avec ou sans raisons, n’est et ne sera jamais une preuve d’objectivité ni une marque de militantisme, et encore moins une preuve de crédibilité.
par Sanaa Elaji, chroniqueuse à "assabah"
Que se passe-t-il donc ? Comment en est-on arrivés à nous accuser avec tant de facilité de trahison ou de « mahkzénisation » ? Depuis quand le fait d’aimer son pays est-il un acte de félonie ? Depuis quand l’adhésion à sa patrie est-il une bassesse ou un motif d’invective contre ceux qui la déclarent ? Dire aujourd’hui que l’on aime son pays est devenu chose suspecte. Mettez donc un t-shirt frappé du drapeau marocain et vous vous attirerez tous les sarcasmes du monde et si, d’aventure, vous soutenez une quelconque initiative prise par une quelconque institution officielle, vous voilà aussitôt taxé de partisan du régime et de profiteur de toutes sortes de rentes. Applaudissez une décision du gouvernement et/ou du palais, même sérieuse, même importante, et on vous accablera tant qu’il vous faudra dissimuler vos idées, et vous avec.
« Makhzénien », « profiteur », « inféodé au régime », « en quête d’un agrément »… autant de qualificatifs gracieusement distribués ici et là pour toute personne qui « ose » exprimer son opinion favorable sur cette nation, son parcours, son cheminement et ses évolutions.
Pour avoir une crédibilité comme « intellectuel » ou « militant » ou encore « politique » ou enfin « journaliste », il convient désormais de mettre en doute l’intégrité territoriale et d’affirmer que nous vivons dans le cadre et à l’ombre d’un régime dictatorial effrayant. Pour disposer d’une bonne crédibilité, il vous faut épouser dorénavant la théorie du complot dans toutes vos analyses et dans tous vos commentaires. Pour éviter d’être taxé de « makhzénien insignifiant », il est bon de critiquer la monarchie, d’accabler les institutions, et d’injurier les partis. Dans le cas contraire, vous êtes cette créature du makhzen qui cherche une fonction, et qui aspire à une bénédiction venue d’en haut.
Au nom des valeurs de liberté, de justice et de démocratie, certains deviennent discriminatoires. « Ou tu es avec nous, ou tu es un soutien du makhzen, docile, soumis et bénéficiaire des rentes du régime ». Ou tu t’en prends aux institutions et tu rejettes en bloc tout ce qu’elles font, ou tu perds ta crédibilité comme intellectuel, comme activiste, comme politique et journaliste.
Cette terre n’est pas un paradis. Elle a son lot de problèmes et elle connaît des travers. Aimer son pays ne signifie pas nécessairement que l’on doive détourner les yeux de ses défauts. Aimer son pays ne veut pas dire qu’il faille nier ses anomalies et autres dysfonctionnements. Aimer son pays n’oblige nullement à chanter à tue-tête que « tout va bien, Madame la marquise ». Mais, dans le même temps, pour disposer de crédibilité,nous ne devons pas dire et répéter inlassablement que rien ne va chez nous. Avoir de la crédibilité ne doit pas être lié au fait d’applaudir à tout ce qui se passe et se fait, même quand ce n’est pas bien, pas plus qu’il ne doit être lié à l’adhésion à toutes les vagues d’opposition, jusques-y compris celles qui ne se fondent sur rien d’objectif. Avoir de la crédibilité ne doit pas mener à soutenir toutes les doléances populaires, même les plus irrationnelles. Avoir de la crédibilité n’oblige pas à éreinter toutes les initiatives et décisions émanant des cercles officiels, pour le simple fait qu’elles sont, justement, officielles, même si elles sont louables et acceptables. Même si elles sont utiles.
On peut aimer son pays et dans le même temps souffrir de ses tares, contester les mauvaises décisions et évaluer les dérapages et autres travers. On peut aimer son pays tout en mettant le doigt sur certaines décisions provenant des institutions officielles et du palais, et aussi en pointant les mauvais comportements des citoyens lambda. Mais, en revanche, être objectif, c’est savoir, quand il le faut, critiquer des revendications non légitimes et indues, critiquer certaines attitudes de l’opposition qui s’oppose seulement pour exister…
Que ne se moque-t-on pas aujourd’hui de cet individu qui déclare aimer son pays et qui affirme que le Maroc peut certes trébucher mais qu’il réussit toujours à se redresser puis à reprendre le droit chemin vers un avenir meilleur… Nous nous en prenons à ceux qui pensent et disent que nous ne sommes certes pas ce pays dont nous avons rêvé, mais qui pensent et disent également que la responsabilité de l’édification d’une nation moderne incombe à tous, qu’elle est collective et qu’elle n’est pas de la seule responsabilité des institutions, mais des citoyens aussi. Aujourd’hui, nous rejetonstoutes les initiatives et nous arborons fièrement notre refus de tout et notre rejet du reste. Aujourd’hui, vouloir s’impliquer dans la construction d’un pays et ne plus accepter d’attendre que tout vienne d’en haut est devenu synonyme d’opportunisme. Toutes les louables initiatives sont désormais douteuses, pour la simple et unique raison qu’elles ne s’appuient pas sur l’opposition systématique et préalable.
Cette nation n’est pas parfaite, pas plus qu’elle n’est un jardin d’Eden. Son parcours, comme partout ailleurs, est émaillé de fautes, de travers et de faiblesses, de revers et de maladresses. Oui, c’est vrai, mais ça bouge quand même. On marche, on avance, on trébuche, on se relève, et on continue, sûrement, résolument. Aimez votre pays, choyez-le, mais pointez ses côtés négatifs. N’ayons pas honte de déclarer haut et fort que nous l’aimons, ce coin de terre. L’insulter, le critiquer, avec ou sans raisons, n’est et ne sera jamais une preuve d’objectivité ni une marque de militantisme, et encore moins une preuve de crédibilité.