En lisant plusieurs des interventions postées sur ce forum, on voit qu'on retombe toujours dans les mêmes débats infinis opposant les détracteurs de l'Islam et ses adeptes sur la défensive. Les premiers se servent des lois, pratiques, habitudes et modèles sociaux politiques ayant cours dans certains pays pour dénaturer la religion en lui faisant porter la responsabilité de certaines situations certes condamnables, et, au-delà, pour la critiquer dans son essence comme inspiratrice de maux. Les autres s'arc-boutent à l'adage consacré selon lequel l'Islam est innocent des turpitudes faites en son nom, leur leitmotiv se résumant en gros souvent à "Non, ça ce n'est pas l'Islam, mais les hommes qui l'utilisent ou le comprennent mal".
Qu'en est-il ? Il n'y a pas, je pense, de réponse universelle. La principale raison en étant à mon sens la diversité existante des façons possibles qu'il y a de vivre l'Islam, et d'en appréhender la mise en pratique dans le quotidien. Selon les conceptions, l'on considèrera par exemple que les pays qui légalisent l'amputation de la main du voleur le font au nom d'une bonne ou d'une mauvaise compréhension des textes sacrés ou du Fiqh; l'on jugera aussi que le rôle social de la femme se doit de demeurer conforme ou non à la manière dont il était abordé dans le Coran ; ou encore que la mixité des sexes est condamnable ou non selon telle ou telle interprétation des Hadith, etc... . Les exemples sont légion. Chacun parle au nom de sa propre connaissance de la foi ou bien fait référence à sa propre manière den interpréter lapplication dans sa vie.
Dès lors, je pense qu'il importe avant tout de rester conscient de cet aspect personnel dans la formulation d'opinions sur ce qui se fait ou non au nom de l'Islam. Si l'Islam a, plus que les autres religions, une dimension de présence et d'intervention pratique dans la vie personnelle, familiale et sociale, chaque musulman les intègre et les perçoit toutefois avec des variétés et des divergences qui dépassent largement le stade de la nuance. En bref, tout le monde ne vit et nappréhende pas l'Islam de la même manière. La diversité de divisions et de courants au sein du monde musulman en constitue du reste une manifestation qui se passe de commentaires. Cette diversité témoigne de lévidence que lunicité du vécu de lIslam chez les musulmans est tout sauf une réalité.
Et si cette multitude de pratiques inspirées de lIslam, et laspect archaïque voire choquant de certaines dentre elles tel que perçu par dautres, était précisément ce qui inspirait à certains, comme lauteur de ce sujet, le besoin de se questionner sur limportance de faire évoluer lIslam ? Si cétait cela le constat à partir duquel on éprouve ce besoin que lIslam évite précisément cette diversité de courants de pensée, et sunifie davantage ? Si civiliser lIslam expression qui nest pas tout à fait appropriée selon moi signifiait dabord moderniser la pensée religieuse islamique, laquelle conditionne le vécu religieux chez les croyants ? Dire cela est un peu, jen conviens, enfoncer une porte ouverte. La pensée religieuse traditionnelle islamique est depuis longtemps déjà dans une problématique en ce quelle nest plus à même de produire des réponses appropriées face aux enjeux de la modernité. Face à cela, plutôt que de réformer la pensée, certains adeptes de lIslam traditionnel préfèrent jeter lopprobre sur la modernité en la blâmant dêtre la source de tous les vices par labandon de la pureté islamique. Manière facile de botter en touche et de sexonérer de remettre en cause la capacité de la théologie traditionnelle de répondre aux évolutions naturelles de toute société. Contre-pied qui occulte aussi lexistence des problèmes sociaux dans les pays arabo-musulmans, et que le pouvoir politico-religieux se contente détouffer en ny apportant pas davantage de réponse.
Je pense personnellement que lIslam a besoin dun renouveau de sa pensée religieuse. Non pas pour se conformer à la modernité occidentale, mais parce que la pensée actuelle dominante, conservatrice et dogmatique, est aussi largement lhéritage dun passé au cours duquel les conditions particulières culturelles, sociales et historiques ont joué un rôle plus quimportant dans son évolution, et quil nest pas interdit de reconsidérer aujourdhui dun il critique. Limpasse de la pensée religieuse nest que la matérialisation dune conséquence de cet état de fait. Le problème est plus profond. Un courant de nouveaux penseurs musulmans, appelés Islam des lumières ou nouveaux penseurs de lIslam, entreprend dailleurs cette difficile tâche au travers de différents écrits et publications. Ils y plaident pour un retour à la nature première du message coranique, celui dune libération de lhomme, en distinguant ce qui dans les élaborations théologiques du passé est le produit du contexte particulier dans lequel LIslam naissant sest exercé et répandu, de ce qui constitue la finalité réelle du message de la Révélation. Ils plaident aussi pour une contextualisation des versets du Coran, dont la lettre doit être considérée par rapport à la situation morale et sociale prévalant à lépoque du Prophète, et non de manière intemporelle. La finalité des lois étant, elle, plus importante et éternelle que la manière dont elles trouvent à sexprimer dans le Coran.
Peut-être ces savants-là seront-ils les nouveaux portes-parole des générations musulmanes futures et feront-ils cette modernisation, ou cette civilisation de lIslam actuel.