"Génocide", "dénazification"… Comment Vladimir Poutine réécrit l'histoire pour justifier la guerre en Ukraine
Le président russe accuse Kiev d'être "nazifiée" et responsable d'un "génocide". Une rhétorique provocatrice qui caractérise son interprétation de l'histoire entre les deux pays.
Des accusations constantes depuis 2014
Ce n'est pas la première fois que Vladimir Poutine et les dirigeants russes avancent de telles allégations envers leur voisin pro-occidental. Elles font partie d'une rhétorique ancienne utilisée par le Kremlin. En 2014, lorsque la Russie annexe la Crimée, l'argument de la présence de "nazis" en Ukraine est déjà présent dans le discours officiel.
A la télévision russe, entièrement contrôlée par le pouvoir, "les chaînes affirment que des trains et des bus remplis de néonazis ukrainiens sont sur le point d'arriver dans le Donbass pour pratiquer une extermination de russophones", décrit Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences à Paris-Nanterre, spécialiste de la Russie post-soviétique. Les médias assurent que Moscou vient libérer les habitants de la Crimée et de l'est de l'Ukraine, menacés par des "néonazis" qui auraient illégalement pris le pouvoir à Kiev.
Sept ans de guerre plus tard, en 2021, l'accusation circule à nouveau au printemps lorsque la situation se tend entre Moscou et Kiev. La chaîne d'Etat russe Rossiya 1 annonce que le "drapeau nazi flotte au-dessus des tranchées ukrainiennes dans le Donbass" et argue que l'Ukraine est un"Etat nazi", soutenu par la France et l'Allemagne, relève
Arte.
A l'automne, alors que quelque 150 000 soldats russes sont envoyés aux frontières ukrainiennes, selon les estimations occidentales, le ministère russe des Affaires étrangères affirme sur Twitter que l'Ukraine et les Etats-Unis ont voté
contre une résolution de l'ONU condamnant la glorification du nazisme, note la
BBC (en anglais). Le 21 février, lors de la reconnaissance officielle des territoires séparatistes du Donbass, Vladimir Poutine invoque à nouveau "le génocide" que subissent d'après lui "quatre millions de personnes" russophones dans ces régions et accuse Kiev de "néonazisme".
Raviver un passé traumatisant pour les Ukrainiens
Ces allégations sans preuves se fondent sur les inquiétudes soulevées depuis 2014 au sujet de liens entre des groupes d'extrême droite ukrainiens et des néonazis. "Elles font référence au bataillon Pravi Sector, qui s'est battu dans le Donbass et qui a été réintégré à l'armée régulière ukrainienne. Certains de ses membres avaient une idéologie nazie, mais ils ont été écartés par le président Zelensky", explique Carole Grimaud-Potter, professeure de géopolitique russe à l'université de Montpellier.
Ces accusations renvoient aussi au rôle de l'Ukraine durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque des Ukrainiens de l'Ouest ont rejoint l'Allemagne nazie pour lutter contre les Soviétiques. "La cause de ces ralliements n'était pas l'idéologie nazie, mais le fait que l'Allemagne leur avait promis de les aider à être indépendants de l'URSS", rappelle la chercheuse. Aujourd'hui, il existe toujours des manifestations nationalistes en Ukraine, mais elles sont portées par une minorité d'habitants. "Le président Zelensky a d'ailleurs interdit ces marches, comme les hommages au nationaliste Stepan Bandera [allié à l'Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale]", précise Carole Grimaud-Potter.
Autre accusation grave formulée par Vladimir Poutine : un "génocide" perpétré par l'Ukraine contre les russophones dans le Donbass depuis huit ans. Une allégation "ridicule" pour le chancelier allemand Olaf Scholz, cité par la
RTBF. "Il n'y a pas une once de vérité dans ces accusations", a martelé le ministère américain des Affaires étrangères.
Mais pour Carole Grimaud-Potter, le terme permet de raviver un passé traumatisant pour l'Ukraine. "Il se réfère à la grande famine qu'ont subie les Ukrainiens durant les années 1930, au moment de la collectivisation des terres par les Soviétiques russes, pendant laquelle jusqu'à 5 millions d'habitants moururent", pointe-t-elle.