Selon l'historien Eugene Rogan , les accords Sykes-Picot et plus largement tout le processus de dépeçage de l'Empire ottoman par les Alliés demeurent au XXIe siècle un facteur de déstabilisation du Moyen-Orient.
Dans les pays arabes, les accords Sykes-Picot sont associés à l'idée d'un destin imposé arbitrairement aux peuples de la région par des puissances européennes.
Les Anglais voulaient la maîtrise du golfe Persique, la sécurisation des intérêts britanniques dans l’exploitation encore débutante du pétrole.
Localement, les Anglais ont une stratégie : appuyer le mouvement nationaliste arabe et son désir d’émancipation vis-à-vis de l’Empire ottoman. Londres veut ainsi faire des Arabes des alliés contre Constantinople, et éviter qu’ils ne répondent à l’appel au djihad contre les pays de l’Entente lancé en 1914 par le sultan (qui a encore, à cette époque, le titre de calife de l’islam et de gardien de ses villes saintes).
A plus long terme, l’idée est aussi de s’assurer la présence d’un Etat arabe vassal dans cette zone stratégique. Et d’éviter que les Arabes ne se soulèvent… contre la présence anglaise dans le delta du Nil. Fin 1914, des négociations sont entamées avec Hussein, le chérif de La Mecque (de la dynastie hachémite, qui règne aujourd’hui sur la Jordanie), censé devenir le leader du futur Etat.
Dans chacun des deux périmètres, français au nord et anglais au sud, le plan prévoit une « zone de contrôle direct » (Liban, côte syrienne et une partie de la Turquie pour la France, région de Bagdad et Bassora pour la Grande-Bretagne) et une « zone d’influence », c’est-à-dire un Etat arabe sous tutelle. Dans la négociation, Sykes cède à Picot Mossoul et le Liban, en échange d’un accès à la mer à Haïfa.
Les deux hommes échouent à s’accorder sur la Palestine, qui devient « zone internationale ».
A Londres, certains reprochent à Sykes en particulier le statut de la Palestine, qu’ils voudraient voir dans le giron de Sa Majesté.
Est alors activée une idée qui fait son chemin depuis quelques temps : le soutien au sionisme, qui permettrait la création d’un Etat juif loyal à la Grande-Bretagne dans cette zone cruciale. En novembre 1917, la déclaration Balfour officialise cette position.
Une autre attaque en règle vient du président américain Wilson, pourfendeur de l’impérialisme européen, qui est informé de l’accord début 1917.
Un an plus tard, dans ses célèbres « 14 points » (son programme de paix pour l’Europe), on trouve en numéro 12 « l’autonomie » des peuples non turcs de l’Empire ottoman – pas vraiment ce que prévoit l’accord Sykes-Picot. Enfin, il y a les Arabes eux-mêmes : l’accord leur réserve une zone « sous influence », placée sous tutelle britannique… On est loin des avances faites au chérif Hussein par les Anglais qui lui avaient promis un royaume indépendant !
Mi-1916, sans avoir connaissance de l’accord, Hussein lance la révolte arabe contre les Ottomans, appuyé par l’officier de liaison britannique Thomas Edward Lawrence, dit Lawrence d’Arabie, qui se bat aux côtés de Fayçal, l’un des fils d’Hussein. Pour Lawrence, la présence des Français en Syrie est encore pire que celle des Ottomans. Même une fois informé de l’accord Sykes-Picot, il poussera les Arabes à prendre Damas, à l’automne 1918, dans l’espoir de le rendre caduc par le fait accompli.
La « Guerre d’indépendance turque», dès mai 1919, modifie les tracés prévus par les grandes puissances. Les Français sont chassés d'Anatolie par les kémalistes à l'issue de la campagne de Cilicie. Le traité de Lausanne (1923) fixe les frontières actuelles de la Turquie en y intégrant des territoires.
Les régions arabes contestent également la partition diplomatique du Proche-Orient opérée par les grandes puissances. Fayçal, fils du roi Hussein, à qui les Britanniques avaient promis un soutien en faveur de la formation d'une grand royaume arabe, refusa d'avaliser les accords Sykes-Picot.
À Damas, en Syrie, pays placé en zone de domination française selon les termes de l'accord Sykes-Picot, Fayçal, est proclamé roi du « Royaume arabe de Syrie ».
Le mouvement nationaliste arabe dont il est un représentant l'incite à prendre les armes qui s'emparait en 1920 des territoires attribués à la France par les accords Sykes-Picot puis par la Société des Nations. La bataille de Maysaloun de juillet 1920 entre les troupes de Fayçal et les troupes françaises s'achève sur une défaite de Fayçal. Les Anglais, en compensation, installent Fayçal sur le trône irakien.