Les violences racistes mettent à mal le succès du modèle multiculturel britannique
Bien avant les rassemblements haineux actuels sur le thème « Enough is enough » (trop c’est trop), les signes avant-coureurs de la crise du multiculturalisme abondaient.
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Les images sont à peine jaunies. C’était hier, il y a dix ou vingt ans de cela. La société multiculturelle britannique, qui laisse chaque communauté vivre librement sa propre culture, était à son zénith. Aujourd’hui, il faut déchanter alors que de violentes émeutes racistes secouent le royaume depuis plus d’une semaine.
L’intégration laissée au choix du nouveau venu est le mot d’ordre du système communautariste britannique qui encourage le culte de l’entre-soi et le refus d’une intégration coercitive laïque à la française. Pour ses défenseurs, le multiculturalisme est une source de tolérance et de diversité qui, conjuguée à la lutte très musclée contre les discriminations, a permis une meilleure assimilation des minorités ethniques. Malgré la flambée d’émeutes dans les ghettos noirs en 2001 et 2011 et surtout les attentats de Londres commis en 2005 par de jeunes Anglais de souche pakistanaise, le dispositif a résisté aux aléas politiques, économiques, ou sociaux intérieurs tout comme aux tensions géopolitiques internationales. A commencer par la montée du radicalisme islamiste et hindou ou les soubresauts des guerres africaines.
La réussite de ce mode opératoire compassionnel, nuancé et pragmatique est particulièrement visible sur le petit écran où les présentateurs et les journalistes issus de l’immigration font partie du quotidien. Il en est de même dans la vie politique. Outre le Premier ministre Rishi Sunak, d’origine indienne, au pouvoir entre 2022 et juillet 2024, ou le maire de Londres, Sadiq Khan, musulman de souche pakistanaise, trois fois élu à ce poste, on compte de nombreux députés descendants d’immigrants asiatiques, antillais et proche-orientaux. La vie des affaires, les universités ou les institutions culturelles ont pris de la couleur, en douceur, sans accrocs.
Harmonie trompeuse
Mais le rideau dressé d’harmonie ethnique est trompeur. Aux yeux des critiques, le dispositif a accru la ségrégation sociale, raciale et religieuse au détriment du sentiment de cohésion nationale. Sous le multiculturalisme rampe la cacophonie. En particulier, la controverse sur l’identité blanche et les séquelles du colonialisme n’a fait qu’alimenter l’extrémisme, les islamistes d’un côté, les ouvriers et employés blancs anglais de l’autre.Bien avant les rassemblements haineux actuels sur le thème « Enough is enough » (trop c’est trop), les signes avant-coureurs de la crise du multiculturalisme abondaient.
Tout d’abord, la victoire du Brexit lors du référendum européen de 2016 avait été essentiellement motivée par le racisme et la xénophobie. Le slogan cher à Boris Johnson, locataire du 10 Downing Street entre 2019 et 2022, de la reprise du contrôle des frontières liait peur des réfugiés et peur sécuritaire, associées à l’islam.
Une ségrégation raciale « à l’américaine » sévit de facto dans des villes industrielles du Nord et des Midlands dont le centre-ville, totalement déserté par la classe moyenne blanche, est presque entièrement occupé par une population d’origine indo-pakistanaise.
Le permis de séjour et de travail « à points », qui est attribué en fonction des besoins de main-d’œuvre et pour trier entre les immigrants qualifiés et les autres, est considéré comme le sésame salvateur d’une société multiculturelle cinq étoiles. C’est compter sans l’explosion des messages racistes de l’ultradroite sur les réseaux sociaux sur fond d’afflux de clandestins et de crise aiguë du logement.
A Londres, personne n’a prêté la moindre attention aux récriminations des habitants des quartiers populaires sur l’effet de ces arrivées d’illégaux sur les collectivités locales, les hôpitaux et les écoles déjà mises au régime par la réduction des dividendes de l’Etat Providence. La convulsion a été amplifiée par la rupture dans la justice sociale, l’aggravation objective des inégalités et l’énorme enrichissement de certaines franges de la population majoritairement implantées dans le sud riche des services qui a échappé, pour l’instant, aux manifestations anti-immigration.