Guerre des Tawa'if : Mohammed 6 contre Bouteflika 4
Par Kamel Daoud - Le Quotidien d'Oran - 02/11/2013
Qu'est-ce qui se passe entre l'Algérie et le Maroc ? C'est ce qui se passe entre Oujda et Rabat disent les mauvaises langues. Entre ceux nés à Oujda et ceux nés à Rabat. Mais ce n'est pas vrai. Il s'agit de la diablerie au corps de deux régimes qui ont sombré dans l'indéchiffrable tellement cela remonte à loin. La cause de la dispute est aujourd'hui abstraite, lointaine, participant de la psychologie et pas de la stratégie. On s'en souvient presque plus de la raison de ces déraisons et le pire est que la position algérienne est très mal ou pas du tout expliquée aux Algériens. C'est quoi le Sahara Occidental ? En quoi cela nous concerne ? Qu'y gagnons-nous et qu'y veut le Maroc ? Pourquoi il y tient tant à manger ce bout de désert vide au point de dépeupler son nord ? Passons, car quand on est né 70, on est né trop tard pour comprendre. Et quand on est né en 90, c'est de la science-fiction. Sauf qu'au lever du jour d'hier, ce fut l'information du rappel de l'ambassadeur marocain par son roi qui faisait converser les Algériens maraudeurs. Les Algériens comprennent peu ces fièvres entre un vieux couple de la post-décolonisation, mais prennent mal la réaction marocaine ou son excès. Cela met à mal un équilibre de la méfiance dissuasive. Au plus profond de la mémoire persistent à vivre cette ancienne méfiance, la sensation d'avoir été trahis une ou deux fois, la certitude de la fourberie, même si cela est manipulé. Le socialisme primaire de Benbella marque encore la mentalité de l'Algérien et son cri ému face à l'injustice de la guerre des sables, est encore planté dans le souvenir collectif. Ceci pour l'ancienne génération. Pour la nouvelle, celle qui ne connaît pas le voisin, cela est pire : une indifférence glaciale. De part et d'autre. Et ces avec ces générations qu'un jour la guerre se fera peut-être, car l'une ne connaît de l'autre que les grossières propagandes.
Et cela s'accompagne aussi d'un autre sentiment qui impose l'ambivalence : l'adoration du Maroc comme pays et la méfiance envers le Maroc comme monarchie. Aligné à un patriotisme affectif, conjugué à une méfiance envers le régime local et le Makhzen voisin. Cela vous donne ce que pensent les Algériens du Maroc : un pays qui est si proche que l'on hume la terre et où on veut aller à pied et pas par avion ; et une sourde inquiétude quant aux frontières (mystique algérienne aussi), l'intégrité et la terre et le drapeau. Hier au matin du vendredi, les gens en parlaient dans les cafés, comme en 63, ou 70 ou 73 ou 80. Dans le brouhaha du commentaire sans fin, de l'analyse sans cheveux et des extrapolations hasardeuses. Le prétexte des droits de l'homme de part et d'autre fait un peu rigoler et les explications des analystes ne suffisent pas à expliquer ce nouvel excès. Le lien est donc malsain, profond, amoureux, fascinant, nécessaire, inévitable, tragique et malmené et manipulé. On en sort avec le mal de tête. Et la sensation frustrante d'un énorme temps perdu et qui le sera encore plus pendant que le monde se construit sans nous, sur notre dos et à nos dépens. C'est la guerre des Tawa'if, ces petits royaumes de poche qui ont précipité, dit-on, la fin de l'Andalousie et sa brève utopie. Mohammed 6 contre Bouteflika 4.
Le résultat ? Le Sahara Occidental a désormais deux ou trois fois la surface du Maghreb. Son désert ne cesse de s'élargir.