Exact, c'est là encore tout le fossé existant entre les raisons qui font qu'une personne puisse choisir - librement - de porter le voile, et la perception de la signification de ce geste par l'entourage, fut-il musulman ou autre. L'écart entre les deux complique parfois péniblement le fait de le porter pour celle qui le choisit. Il faut souligner le courage qu'il y a parfois à affronter cette incompréhension ou cet amalgame dans l'opinion d'autrui face au fait de le porter. Tout en sachant bien sûr que les raisons qu'il peut y avoir à le porter ne sont pas uniques, et que seule la motivation de le faire pour soi-même et sans contrainte devrait exister et être respectée, tout autre pouvant - et même devant - prêter le flanc à une critique justifiée.
Ceci dit, et même si cela peut surprendre en regard des paroles qui précèdent, je ne porte pas le voile personnellement. Les raisons font partie de mon parcours personnel de musulmane, et rejoignent celles exprimées par plusieurs lors d'un autre post sur 'Votre avis sur le voile', lancé à partir de l'avis de l'islamologue Mahmoud Azab.
L'apparition de la l'invitation au voile pour la femme est apparue dans un contexte qu'il y a lieu de considérer. Souvent, malheureusement l'enseignement classique de l'Islam omet de le faire, pour cette question comme pour d’autres, ce qui l'amène à ne retenir des principes que leur formalisme au détriment des circonstances qui les ont vu être prononcées, lesquelles leur procure pourtant un sens qui dépasse le cadre des termes qui les expriment au sein d'un cadre forcément temporel. Ce qui est central dans le fait de porter le voile n'est pas le geste en lui-même, mais la finalité qui le sous-tend. Celle-ci était, dans les circonstances de la révélation et eu égard au contexte socio-historique de l'époque et la position de la femme, un signe lui permettant de gagner en décence autant qu'en liberté. Il permettait aussi de lui procurer une dignité ou une libération du statut d'esclave ou d'objet de plaisir auquel certaines étaient réduites à l'époque. Dans une société ou la femme était largement dominée voire opprimée, il était aussi un moyen d'élever le statut de la femme en la soustrayant aux regards avilissants ou à la convoitise des hommes.
L'esprit de ce geste est donc celui d'une pudeur participant à la dignité rehaussée de la femme dans une société où elle n'en disposait pas. Il exprime aussi une volonté de respect plus prononcé envers elle. Or, c'est bien cette finalité qui est primordiale et intemporelle, bien davantage que la façon dont, compte tenu du contexte particulier de l'époque, elle a trouvé à s'exprimer dans le Coran. Quatorze siècles plus tard, il est évident de noter que la femme n'est plus dans le même statut social que celui où elle était alors, et que donc cette même finalité (pudeur et dignité) peut tout aussi bien trouver à se vivre au travers d'autres moyens adaptés à notre temps. Ce qui revient à dire que le choix du moyen, pour une femme, de réaliser cette finalité n'est pas limité au seul port du voile (lequel se respecte s'il est choisi bien entendu), la société moderne ayant développé d'autres manières pour les femmes de revendiquer leur dignité, leur liberté et leur pudeur. Celle-ci est souvent de nos jours, avant tout autre chose, la conséquence d'une attitude bien davantage que celle d'un vêtement. C'est en cela que, personnellement, je ne juge pas le port du voile comme une obligation intemporelle, mais bien l'esprit qui a guidé son apparition aux débuts de l'Umma. Je m'efforce dès lors de le vivre compte tenu des conditions où nous vivons aujourd'hui.
On ne peut, je pense, se permettre de faire l'économie de connaître le contexte de l'apparition des versets sur le voile, pour nourrir une juste réflexion sur ce qu'il représente et la finalité qu'il incarnait à l'époque du Prophète. C'est aussi un effort d'Ijtihad. Les salafistes et les conservateurs, souvent obnubilés par la lettre du Coran autant que par son esprit, rechignent à en admettre les conséquences dans le contexte de la modernité. Mais nous rejoignons la un autre débat qui dépasse un peu du cadre de celui-ci.