amateurs de romans d’espionnage trouveront sans nul doute dans le dernier ouvrage de Pierre Péan matière à contenter leur goût des intrigues complexes. « L’Afrique, nid d’espions » pourrait servir de sous-titre à ce nouvel essai de contextualisation de la « tragédie rwandaise » de 1994. L’auteur y déjoue en effet un vaste complot ourdi par les puissances américaine, britannique et israélienne visant à anéantir la présence stratégique de la France sur le continent et à affaiblir le Soudan. Les acteurs principaux du drame se recrutent dans le théâtre d’ombres des services secrets. Le Mossad, la CIA et le MI5 ont joué de concert avec leurs « marionnettes » (p. 354) rwandaises et ougandaises pour remodeler la carte géostratégique de l’Afrique.
Convaincu par les analyses de certains responsables politiques français (p. 13) selon lesquelles les États-Unis sont les véritables artisans de la victoire du Front patriotique rwandais (FPR) au Rwanda, l’auteur ouvre jusqu’à Israël les frontières de son investigation. Israël verrait dans le Soudan une menace sérieuse pour sa survie. Selon l’auteur, tout l’horizon géopolitique de l’État hébreu en Afrique serait alors dicté par le
containment de cette menace. Retracer les menées israéliennes, américaines ou britanniques dans le contexte de la fin de la guerre froide – cette démarche n’a rien d’inédit. D’ailleurs, les trois chapitres consacrés à l’histoire de la politique africaine d’Israël ressemblent plus à de longues notes de lecture qu’à l’exposé d’une recherche originale. L’ouvrage accole des chapitres les uns après les autres sans cohérence apparente.
Pourtant, cet assemblage répond à une logique, le développement d’un argument qui poursuit la révision de « l’histoire officielle » de la « tragédie rwandaise » de 1994. Selon l’auteur, cet événement ne saurait être pleinement compris sans son insertion dans un jeu de dominos stratégiques. Pour le journaliste, derrière le Rwanda de Paul Kagame se profilerait l’Ouganda de Yoweri Museveni, allié des Américains, eux-mêmes engagés, avec la complicité d’Israël, dans la déstabilisation du Soudan. La « Sainte-Alliance » chrétienne ainsi constituée viserait à contrecarrer le terrorisme islamique abrité par le Soudan.
Nous aurions affaire à une conspiration continentale, dont Pierre Péan s’estime lui-même victime. Il explique dans son introduction : « J’en vins à me demander s’il n’y avait pas un lien entre les attaques dont j’étais l’objet de la part de l’UEJF, de l’UPJF
[2]et d’intellectuels comme Élie Wiesel contre mon livre
Noires fureurs, blancs menteurs, et l’intérêt géopolitique porté par Israël au Rwanda » (p. 19). L’univers des « blancs menteurs » de son ouvrage précédent vient se nourrir à une nouvelle source : le « lobby pro-israélien ». Fort de cette conviction, l’auteur entend faire « partager l’idée que l’histoire des conflits dans la région des Grands Lacs ne se résume pas à un affrontement entre “bons” et “méchants”, qu’elle ne se comprend que si y sont intégrées les stratégies des grandes puissances […] » (p. 425).