L’emprise de la religion recule…
Ce mouvement d’émancipation des femmes s’accompagne du rejet de la religion la plus sclérosée.
En retirant leur voile, bien des femmes s’interrogent sur ces préceptes religieux qui réduisent les femmes à rien et donc sur ces religieux et leur religion.
Or, si bien des femmes ont perçu qu’il y a un lien direct entre l’oppression religieuse et l’oppression familiale et sociale, il y en a aussi un entre l’oppression militaire et l’oppression religieuse.
Avec la crise économique mondiale, le capitalisme a cherché de nouveaux marchés en détruisant toutes les protections nationales qui pouvaient freiner sa pénétration sur de nouvelles terres.
Ce libéralisme sauvage en Egypte a privatisé dès les années 1990 et détruit les protections sociales d’Etat.
En même temps que le ciment nationaliste nassérien se désagrégeait, Sadate puis Moubarak ont cherché à mettre en place un système de charité privée, à donner au pays un nouveau liant idéologique et, avec lui, la possibilité d’introduire dans le psychisme de chacun leurs propres règles policières.
C’est à ce moment, dans les années 1980-1990, que, progressivement, ils ont institué en lieu et place des services publics un système de charité privé et religieux.
Pour cela ils se sont appuyés ouvertement sur la religion et les Frères musulmans. Ils ont laissé à ces derniers le contrôle des organisations professionnelles libérales de médecins, pharmaciens, enseignants, étudiants, ingénieurs, avocats, etc. afin de mieux maîtriser et dominer la vie sociale.
En même temps ils ont peu à peu remplacé l’islam traditionnel égyptien – assez tolérant jusque-là et sans hiérarchie – par un sunnisme wahhabite le plus rétrograde et le plus hiérarchisé, importé d’Arabie Saoudite. Ils construisaient là une police interne des familles et une police des cerveaux qui complétaient celle de la police institutionnelle.
La société tout entière s’islamisait dans ce sens à marche forcée.
En 2006, l’indication de la religion sur les cartes d’identité, musulman, chrétien ou juif, fut rendue obligatoire. On ne peut donc pas être athée ou bouddhiste.
On ne peut pas renoncer à la religion musulmane sous peine de «trouble à l’ordre public». En justice, la parole d’un musulman vaut celle de deux chrétiens. Seuls les enfants musulmans peuvent hériter en cas de familles comportant enfants chrétiens et musulmans…
Avec le rejet par les femmes de cette police des esprits et des familles qui fait du père ou du frère aîné un policier dans la famille, l’Egypte se met à souhaiter le retour à son islam plus souple et tolérant d’auparavant.
L’islam soufi redevient à la mode – qui est à la religion en Egypte, un peu ce qu’est en occident le mouvement hippie à la politique –, à tel point qu’aux prochaines législatives il est envisagé des candidats du soufisme, alors que soufisme et politique semblaient incompatibles.
Mais plus que cela, ce renouveau d’engouement pour le soufisme, semble bien une étape vers l’athéisme. Les témoignages des femmes qui retirent leur voile sont aussi bien souvent des interrogations sur la religion elle-même.
Au moment de l’occupation de la place Tahrir, il y avait bien eu une conférence sur l’athéisme dans une mosquée qui avait attiré une foule de gens. Mais c’était encore une curiosité insolite.
Les familles certes éclataient, mais sous la pression des nécessités économiques, pas de la conscience; des millions d’hommes partaient gagner leur vie à l’étranger, souvent pour pouvoir payer le mariage et un appartement indépendant. Les femmes les remplaçaient aux travaux des champs et dans les responsabilités familiales; les plus jeunes partaient en ville et remplissaient les bidonvilles pour gagner de quoi nourrir la famille.
Dans ces conditions, l’autorité des pères et des frères devenait un souvenir, même sur les enfants eux-mêmes qui se sont mis aussi à travailler.
Et puis la place Tahrir a légitimé tout cela.
Ce n’était pas qu’une nécessité mais un idéal à vivre, une participation au mouvement du monde. On a alors assisté à un raidissement des religieux qui voyaient leur fonds de commerce mis en cause.
Avec Morsi au pouvoir, la morale religieuse a repris ses droits et atteint des sommets.
Mais la taupe continuait à creuser: il y eut même un manifeste d’athées public sur internet; qui ne se cachaient donc plus, alors qu’on peut être légalement condamnés pour cela.
Il est interdit en Egypte de ne pas avoir de religion. Et ces athées avaient d’ailleurs été durement réprimés, passés en procès et condamnés à la prison pour «blasphème».
Aujourd’hui, depuis la chute de Morsi, le mouvement s’est accéléré; si on fait toujours la queue devant les boulangeries ou les stations essence, on la fait aussi ces dernières semaines pour aller voir la pièce à succès du moment «Le procès».
Elle met en scène l’histoire d’un enseignant passé en procès il y a des dizaines d’années pour avoir osé enseigner l’évolution darwinienne à ses élèves.
On avait connu l’utilisation des pièces de théâtre à Paris à des fins de contestation politique et sociale sous la dictature de Napoléon III, il semble que Le Caire s’y essaye aussi…
Plusieurs groupes sont apparus «Athées Sans Frontières», «La Confrérie des Athées», ou «Athées Contre les Religions»…
Le mouvement est tel que les autorités religieuses après avoir constaté que l’Egypte comptait le plus grand nombre d’athées du monde arabe, ont décrété que l’athéisme est le deuxième danger en Egypte après le terrorisme islamiste et ont décidé en juin une grande campagne contre l’athéisme.
En septembre, le journal gouvernemental Al Shabab commençait sa campagne contre cette maladie qui conduit selon lui – sous l’autorité de psychiatres – «à la maladie mentale et à la paranoïa.»
En même temps, alors que l’Egypte a connu pour la première fois une manifestation publique d’homosexuels, les autorités religieuses et le pouvoir décidaient une autre campagne de dénonciation et d’arrestations de «pervers sexuels»
d’homosexuels, de transsexuels.
Ainsi en novembre les procès se multipliaient tandis que les 3 et 7 décembre, des descentes de police télévisées dans des hammams du Caire, jetaient en pâture sur les chaînes de télé des dizaines d’hommes nus, arrêtés, humiliés, en même temps qu’ils étaient accusés de complot contre l’honneur et la santé publics.
Le pouvoir essaie ainsi de se créer un soutien dans les couches les plus arriérées de la population, mais il est bien probable qu’à multiplier ainsi les fronts sociétaux, il ne fasse ainsi que politiser un peu plus tous les sujets de société et dresser contre lui de plus en plus de gens qui ne faisaient jusque-là, pas de politique; d’autant plus, qu’il a perdu sa principale police des mœurs, les Frères musulmans…
Indifférents à cette campagne, les employés des mosquées d’Alexandrie se sont mis en grève pour des hausses de salaire le 30 novembre.
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http://alencontre.org/moyenorient/e...llition-le-peuple-egyptien-nous-surprend.html