Sur le terrain LInde confrontée à lémergence dun "terrorisme hindou"
Par Morgane Jézéquel | Aujourd'hui l'Inde.com | 20/11/2008 | 16H21
(De Delhi) Jusquici, les attentats récurrents perpétrés en Inde étaient systématiquement attribués à des extrémistes musulmans. Mais pour la première fois, plusieurs personnalités hindoues ont été arrêtées ces dernières semaines dans le cadre denquêtes sur plusieurs attaques à la bombe.
Elle s'appelle Pragya Singh Thakur. Suspectée d'être la tête pensante de l'attentat du 29 septembre à Malegaon, elle est devenue, en quelques semaines, le symbole de l'émergence d'un "terrorisme hindou" jusqu'ici inconnu. Cette femme aux cheveux courts et aux habits safran fait ainsi la une des journaux depuis son arrestation, suscitant au passage l'incompréhension de nombreux Indiens.
Pragya Singh Thakur, 38 ans, est en effet une Sadhvi, sorte de guide spirituel respecté dans l'hindouisme. D'autres personnalités hindoues assez haut placées ont également été interpellées par les brigades antiterroristes (ATS) de différents Etats de l'Union, notamment le leader d'un ashram. Un député régional de l'Etat de l'Uttar Pradesh, Yogi Adityanath, doit aussi être interrogé dans le cadre de l'enquête. De quoi provoquer un véritable tollé.
Un pays habitué aux attentats depuis quinze ans
Car si l'Inde est habituée aux attentats terroristes, récurrents depuis une bonne quinzaine d'années, ceux-ci étaient jusqu'ici systématiquement imputés à des extrémistes musulmans soutenus par le Pakistan voisin. Les arrestations récentes sont donc inédites et posent, pour la première fois, l'existence d'un "terrorisme hindou", qui plus est soutenue par des personnalités religieuses respectées.
L'affaire ne cesse de prendre de l'ampleur puisqu'au fil de l'enquête, les ATS remontent désormais à des attentats plus anciens, comme celui déjà perpétré à Malegaon en 2006 qui, à l'époque, avait été hâtivement attribué à des musulmans bien qu'il ait été commis dans une mosquée.
Reviennent aussi sur le devant de la scène des événements passés relativement inaperçus. Comme la mort, en avril 2006 au Maharastra, de deux jeunes hindous dans l'explosion d'une bombe qu'ils étaient en train de manipuler, et un incident similaire survenu en août dernier dans l'Uttar Pradesh.
Toutes les victimes étaient membres du Bajrang Dal, la branche jeunesse du Vishwa Hindu Parishad (VHP), un mouvement nationaliste hindou radical. Et les enquêtes semblent indiquer qu'elles préparaient des attentats contre des musulmans.
Paradoxalement, ces affaires avaient cependant été mises de côté, probablement parce qu'aucun enquêteur ne croyait alors à l'hypothèse d'un "terrorisme hindou". Après les récentes arrestations, les autorités sont cependant confrontées à une nouvelle problématique, et envisagent même d'interdire certains groupes comme le Bajrang Dal ou sa branche féminine Durga Vahini.
La nébuleuse des nationalistes
Les enquêtes remontent également à diverses mouvances d'extrême droite, appartenant toutes à la même nébuleuse des nationalistes hindous.
A quelques mois des élections fédérales, ces arrestations mettent le BJP -facette politique de ce nationalisme hindou et principal parti d'opposition au niveau fédéral- dans une situation embarrassante. Le fait que les attentats soient jusqu'ici attribués aux islamistes renforçait en effet son discours antimusulmans, chaque explosion attisant d'une certaine manière le sentiment nationaliste.
Mal à l'aise, le BJP a cependant choisi de défendre les suspects et voit dans ces arrestations une conspiration politique visant à ternir le nationalisme hindou. Rajnath Singh, le président du BJP, affirme dans l'Hindustan Times:
"Il s'agit de détourner l'attention du public sur l'échec du gouvernement à prévenir les attentats de ces quatre dernières années."
Rue89.com