Raphaël Pitti, médecin de retour de Rafah
Accompagné de six autres médecins français en coordination avec l’association des médecins palestiniens PalMed Europe, Raphaël Pitti a sillonné le sud de l’enclave afin d’évaluer la faisabilité d’un projet pour lequel il recherche des financements, notamment auprès du ministère des affaires étrangères français, à l’heure d’un effondrement de la santé publique : la mise en place d’une dizaine de centres de soins primaires pour les déplacé·es. Il a pour cela visité plusieurs hôpitaux, rencontré le maire de Rafah, le ministre de la santé de l’enclave, mais aussi l’équipe de Médecins du monde ou encore celle de Médecins sans frontières, et Caritas.
Aux victimes de la guerre qu’il faut sauver dans des conditions d’hygiène et d’exercice médical déplorables, aggravées par la surpopulation, des opérations et des amputations à même le sol, sans matériel anesthésique, ni possibilité de nettoyer les patient·es, s’ajoutent les malades chroniques qui, faute de traitement et de prise en charge, sont nombreux à décéder.
Raphaël Pitti reste marqué par l’histoire d’une jeune diabétique enceinte de sept mois, morte faute d’insuline ainsi que son bébé. Ou encore par celle de cet enfant de trois ans amputé d’un bras et de deux jambes. « Si nous pouvions l’envoyer dans un centre en Europe, il pourrait recevoir des prothèses bioniques pour lui redonner une vie normale. Mais s’il reste dans cet enfer, la victoire sera de lui éviter l’infection. Autrement, s’il est infecté, ce sera le saucisson, c’est-à-dire qu’il faudra le couper un peu plus pour éviter la gangrène. »
À l’hôpital européen de Gaza, débordé par l’afflux, où l’équipe internationale exerçait et était logée, Raphaël Pitti et ses collègues ont assisté, impuissants, à l’hécatombe : « Comme vous ne pouvez pas évacuer vos malades et que vous en recevez des nouveaux, vous devez les trier. Vous vous tournez vers les malades que vous pouvez sauver. Quant aux autres, vous les laissez mourir sans sédation, sans morphine, sans pouvoir les soulager. Tous les blessés du crâne sont condamnés à mort. »
Son collègue Chems-Eddine Bouchakour, médecin anesthésiste dans deux cliniques de Dunkerque, dans le nord de la France, est resté vissé au bloc opératoire durant le séjour. Il n’avait « jamais vu ça ». Il témoigne, sous le choc, avoir soigné majoritairement des civils, des jeunes, des femmes, des enfants : « Cet endroit le plus concentré sur terre en termes de population est en train de devenir l’endroit le plus concentré de handicapés, d’amputés, s’ils s’en sortent car les conditions d’hygiène sont tellement catastrophiques que les risques d’infection du moignon sont très élevés. Une amputation de la jambe va se transformer en amputation de la cuisse au bout de deux semaines si vous ne pouvez pas refaire les pansements régulièrement. »
Chems-Eddine Bouchakour a participé à des amputations à la chaîne, assisté à des désarticulations de la hanche, « c’est-à-dire qu’il ne reste que le bassin, c’est une amputation au delà de la mi-cuisse, c’est une vie de handicap très lourd ». Il est marqué lui aussi par chacun·e de ses patiente·s, telle cette mère qu’il a fallu amputer de deux jambes et d’un bras et qui a perdu ses enfants tués par un missile israélien.
Rachida El Azzouzi