J'appris que le fondateur de cette secte se nommait Abd al Wahab (le serviteur du dispensateur de tous les bienfaits). Il était né dans le voisinage de Hilla, sur les bords de l'Euphrate, mais fui élevé et adopté par un homme de quelque considération, appelé Ibrahim, du district de Nejid. Pendant sa jeunesse, il fut regardé comme supérieur à tous ses contemporains, à cause de la vivacité de son esprit, de sa pénétration et de sa grande mémoire. Il était d'ailleurs d'un caractère généreux; de sorte que lorsqu'il recevait quelque argent de son patron, il le distribuait sur-le-champ parmi ses inférieurs. Après avoir reçu les premiers éléments d'éducation, et un peu de connaissance des lois, il se rendit à Ispahan, alors la capitale de la Perse, où il étudia, pendant quelque temps, sous les principaux maîtres de cette ville. Ensuite, il passa à Khorassan, et puis à Ghizni, d'où il alla a Irac; et après y avoir fait quelque séjour, il retourna chez lui, vers l'année 1171 de l'Hégire (A. D. 1757—8), et commença à publier sa nouvelle doctrine. Dabord les principes fondamentaux de sa religion furent les mêmes que ceux du célèbre imam Abu Hanifa; mais il en différait considérablement dans l'exposition du texte. Peu de temps après, il secoua le joug de l'obéissance, et promulgua une doctrine entièrement nouvelle. Il accusa toute l'église mahométane d'être composée de fédéralistes (donnant des associés à Dieu), d'infidèles et d'idolâtres ; il les chargea même d'être pires que des idolâtres. «Car ceux-ci, dit-il, dans des temps de calamité, renoncent à leurs idoles, et adressent leurs prières directement à Dieu ; tandis que les Musulmans, dans leurs plus grandes afflictions, ne vont jamais au-delà de Mahomet, d'Aly, ou de quelques autres saints. Le peuple, qui fait ses prières aux tombeaux du prophète et de ses descendants, et qui invoque ces personnes pour qu'elles soient ses médiateurs près de Dieu, est véritablement coupable d'idolâtrie; car jamais il n'y a eu de nation assez stupide pour adorer une image comme son Dieu, mais simplement comme la représentation d'un de ses attributs, ou un de ses médiateurs près de la Divinité. C'est ainsi que les Juifs et les Chrétiens, qui ont des images de Moïse et de Jésus-Christ, ne les associent jamais avec Dieu, mais leur adressent quelquefois leurs prière, comme à des intelligences intermédiaires entre l'Être suprême et eux. »
C'est par de semblables arguments qu'il se fit un nombre de sectateurs, et commença alors à piller et à détruire les tombeaux et les reliquaires du prophète et de tous les saints; et, de cette manière, il acquit de grandes richesses et un nom célèbre; de sorte qu'avant sa mort, il possédait un pouvoir et une autorité sans bornes.
Il eut pour successeur son fils Mohammed, qui, étant aveugle, ne quitta jamais sa maison, mais ne s'en est pas moins arrogé les titres d'imam et de suprême pontife de leur religion. Il emploie, comme son adjoint, un homme appelé Abd al Aziz, lequel était le frère adoptif de son père, et qui a une stature colossale et une voix très-forte. Ce personnage a quatre-vingts ans; mais il conserve toute la vigueur de la jeunesse, et prédit qu'il ne mourra que lorsque la religion des Wahabis sera parfaitement établie dans toute l'Arabie. Abd al Aziz vient voir deux fois par semaine Mohammed, pour délibérer avec lui sur tous les points de la religion, et recevoir ses ordres pour expédier des corps d'armée dans différents quartiers. Leur pouvoir et leur influence se sont accrus au point qu'on peut dire que toute l'Arabie leur est soumise; et leurs sectateurs ont un tel respect pour eux, que lorsqu'ils vont pour se battre, ils leur demandent des passe-ports pour les portiers du paradis, qu'ils pendent à leur cou, et courent ensuite se précipiter avec la plus grande confiance au milieu des ennemis.
Quoique les Wahahis aient amassé d'immenses richesses , ils ont néanmoins conservé la plus grande simplicité de mœurs, et une extrême modération dans leurs désirs. Ils s'assoient sans cérémonie à terre, se contentent de quelques dattes pour leur nourriture, et un grand manteau d'étoffe grossière leur sert de vêtement et de lit pendant deux ou trois ans. Leurs chevaux sont de la véritable race de Nejid, dont les généalogies sont bien constatées ; aussi ne permettent-ils point qu'il en sorte du pays.
Les Wahabis sont en possession de toute l'Arabie, à l'exception des villes de Mascate, la Mecque et Medine [l'auteur écrit en 1803]. Depuis plusieurs années ils s'abstiennent d'attaquer les villes saintes : dabord à cause de leur respect pour la maison de Dieu ; secondement, à cause de leur attachement au schérif de la Mecque, qui professe leur religion; troisièmement, parce qu'ils reçoivent de grandes rétributions des pèlerins qui passent sur leur territoire. Mais il y a quelque temps, qu'à l'instigation des Turcs, Abd al Aziz envoya dans la Terre sainte une grande armée sous la conduite de son fils Saoud, lequel, après avoir brûlé et dévasté le pays, entra dans la Mecque, où il renversa plusieurs tombeaux et reliquaires, et alla mettre ensuite le siège devant Jedda. Le shérif se réfugia sur-le-champ sur un vaisseau qui mouillait dans la mer Rouge; et le peuple ayant consenti à payer une forte somme, les Wahabis se transportèrent à Oman. Peu de temps après leur arrivée dans cette province, ils furent joints par un frère du sultan de Mascate , qui embrassa leur religion et s'arrogea le titre d'imam al Mussulmeen (pontife des Musulmans), et ne tarda pas à contraindre les habitants de la campagne à suivre son exemple et à se déclarer pour la nouvelle foi. Ils ont en conséquence secoué le joug du sultan, dont l'autorité se borne aujourd'hui à la ville de Mascate et de ses environs.
Les habitants de Bassora et de Hilla sont dans de si grandes appréhensions de la visite des Wahabis, qu'ils ne passent pas une seule nuit en repos ; et ceux de Nejif et de Kerbela, qui ont envoyé tous leurs effets précieux à Kazemine, fument tranquillement leur pipe jusqu'à la pointe du jour, se croyant alors en sûreté contre les attaques de leurs ennemis.
Comme les déprédations des Wahabis ont souvent été portées jusqu'à peu de milles de Bassora, il y a tout lieu de croire qu'ils ne tarderont pas à se rendre maîtres de cette ville. Ils ont soumis dernièrement la tribu d'Outub, qui est fameuse, par ses connaissances clans l'art de construire des vaisseaux et dans celui de naviguer ; de sorte qu'ils ont commencé à avoir une force maritime. S'ils sont réellement parvenus à ce point, ils pourront bientôt se rendre à Bassora, et ensuite s'emparer facilement de Bagdad. Je ne doute pas même qu'ils ne soient en peu d'années aux portes de Constantinople.
La sacrilège spoliation des villes de la Mecque et de Kerbela, par les Wahabis, aurait dû exciter la vengeance du grand-seigneur et du roi de Perse, et les engager à unir leurs forces pour extirper cette scélérate tribu, dont l'insolence est montée au point que, non contents de la souveraineté de l'Arabie, ils ont eu l'audace d'écrire à ces deux monarques, pour les exhorter à embrasser leur religion. Voici une copie de la lettre de leur général ou vice-régent au roi de Perse.
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