Dans un édito récent ("Michel Houellebecq ou l'écrasement des périphéries par le centre"), tu sembles filer la métaphore qui sert de ligne directrice à Périphéries : donner une place aux marges, à l'imaginaire, à la subjectivité. Quelle est la part de militantisme dans ce projet ?
Au départ, on développe et on défend nos convictions - parfois même on découvre nos convictions en voyant le site prendre forme au fil du temps, d'ailleurs, ça nous aide à préciser certaines choses. Après ça, la part de militantisme, elle ne dépend pas de nous. Dans le cas de Houellebecq, de son succès, il se trouve qu'on n'est pas en phase, donc nos positions s'assimilent à du militantisme. Pour moi, Houellebecq, c'est le triomphe du stéréotype. Sous couvert de la critiquer, il accrédite la vision du monde que propagent la télé et la pub. Ses propos sur l'islam l'ont montré : la vision du monde de ce type sort tout droit du journal télévisé de TF1. Beigbeder, c'était déjà ça. C'est la contamination de la littérature par l'univers industriel et médiatique de masse. Et les critiques acquiescent dans l'extase à cette contamination, parce qu'en même temps ils sont eux-mêmes en train de prendre leur place dans le grand cirque télévisé : chez Ardisson d'abord, chez Durand maintenant
Pour moi, c'est l'horreur absolue. S'il ne reste plus d'autres moyens d'accéder à la réalité que la télé et la pub, c'est la fin, autant se suicider tout de suite. Il faut absolument préserver ces autres moyens, et la littérature en est un parmi d'autres. Comme disent les Virtualistes : "Nous vous rappelons qu'il existe d'autres possibilités"
Houellebecq, c'est un enterrement de première classe de la littérature, un ersatz de littérature à usage d'un microcosme télévisuel qui ne veut plus se nourrir que de lui-même. Et ce n'est surtout pas une question de sujet : le contre-exemple parfait, c'est à mes yeux "Les lois de l'attraction" de Bret Easton Ellis, un livre désespéré qui traite de la réification de l'être humain, de la violence absolue de la société de consommation, et qui, lui, relève complètement de la littérature. Il y a une vision dans "Les lois de l'attraction", il y a une construction sophistiquée, il y a une transvaluation.