Les gilets jaunes, les élites et la faillite du système éducatif
D’innombrables analyses ont été publiées sur la crise des « gilets jaunes », ses causes, sa portée, et les moyens de calmer l’agitation qui secoue le pays depuis deux mois. Et pourtant, à l’heure où s’engage le « grand débat national », une question semble singulièrement absente des discussions, alors qu’elle joue un rôle clé dans ce mouvement : celle de l’éducation. Or l’éducation – ou plutôt la faillite du système éducatif – est à la fois la toile de fond et le grand impensé de la crise des gilets jaunes.
Qu’est-ce qui explique, en effet, que nombre de ceux qui protestent depuis plusieurs semaines sont enfermés dans la précarité, les emplois peu rémunérés, le chômage ou la pauvreté ? Avant tout, le manque de qualification, le déficit de formation. Dans une société qui demande toujours plus de compétences, de « savoir-être », d’agilité, d’ouverture au monde, ils n’ont pas les bons atouts. Résultat, ils se retrouvent menacés par la robotisation, l’essor de l’intelligence artificielle, la concurrence des pays à bas coût de main-d’oeuvre…
Nombre d’observateurs soulignent en outre le fossé vertigineux qui s’est creusé entre une partie de la population, souvent peu qualifiée et peu armée face aux évolutions technologiques, ou n’ayant pas « le bon diplôme » (pour cause d’orientation ratée), et les élites, le plus souvent diplômées, à l’aise dans la mondialisation, le numérique, les nouvelles technologies. Et le rejet des élites est aussi, pour une bonne part, un rejet des mieux formés, des diplômés des grandes écoles et des universités – de ceux qui réussissent. Pire : beaucoup des plus modestes et des « gilets jaunes » ne croient plus aux bienfaits de l’éducation : ils ont cessé d’espérer qu’elle leur apporte de meilleures conditions de vie, qu’elle joue son rôle d’ascenseur social. Non sans raison, d’ailleurs.
Il est vrai que cette colère contre « les élites » peut se comprendre,
quand les écarts de richesse s’accroissent dans des proportions vertigineuses,
quand s’étalent dans les journaux les rémunérations et les avantages multiples dont bénéficient certains, quand se répand le sentiment d’un « entre-soi » réservé à une « caste » de privilégiés.
Remarquons cependant que cette colère est aussi pleine d’incohérences.
Nombre de « gilets jaunes » s’offusquent ainsi des rémunérations que perçoit tel ou tel grand patron, voire des 14.600 euros de salaire (brut) d’une Chantal Jouanno. Mais combien s’indignent quand des sportifs ou
des pseudo-stars de la chanson ou du petit écran gagnent une petite fortune chaque mois ?
Combien protestent quand les footballeurs bénéficient d’un statut fiscal dérogatoire ? Combien condamnent l’exil fiscal généralisé des tennismen, des champions automobiles, voire de certains animateurs de la télé ?
En réalité, ce que certains reprochent aux élites – leur cupidité, leur enrichissement excessif, leurs petits et gros avantages personnels (« parachutes en or », etc.) – n’est peut-être pas le plus grave.
Leur vraie faute est ailleurs : c’est de ne pas remplir leur mission au service de l’intérêt collectif.
C’est d’avoir conduit le pays sur des voies erronées, qui ont un impact direct sur la vie de millions de citoyens.
Exemple, le choix de la désindustrialisation, du « capitalisme sans usines », qui a conduit à la perte de centaines de milliers d’emplois en France.
Autre erreur funeste, à mettre au débit des « élites » françaises et européennes : ne pas avoir vu venir la vague du numérique et ses conséquences.
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