Violences policières : « On est dans le mensonge d’Etat »
Pour David Dufresne, spécialiste de la question du maintien de l’ordre, la répression menée contre les « gilets jaunes » « laissera des traces dans toute une génération ».
Hémorragie cérébrale d’un homme de 47 ans à Bordeaux, traumatisme facial d’un manifestant à Toulouse,
fracture au front d’un lycéen à Orléans… L’écrivain et documentariste
David Dufresne, auteur de l’enquête
Maintien de l’ordre (Fayard, 2013), recense et signale les bavures policières observées lors des manifestations des « gilets jaunes ». Il dénonce le
« déni politique et médiatique » de ces violences, selon lui profondément
« antirépublicain ».
Quelle est la particularité de la gestion du maintien de l’ordre en France ?
David Dufresne : Pendant longtemps, la France a été considérée comme la championne du maintien de l’ordre, pour une raison simple : face à des manifestations particulièrement nombreuses dans le pays, la police est entraînée. Sauf que c’est aujourd’hui un mythe, qui s’est écroulé sous nos yeux. Le maintien de l’ordre est devenu depuis une dizaine d’années extrêmement offensif, brutal, avec des policiers qui vont au contact. Jusqu’ici, la clé était de montrer sa force pour ne pas s’en servir.
En Allemagne, en Angleterre, les forces de maintien de l’ordre ont mis en place tout un processus de dialogue avec les manifestants, et de désescalade. La France a fait le choix inverse, dont découlent ces drames : environ 2 000 manifestants blessés depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », à la mi-novembre.
La France utilise par exemple des armes proscrites ailleurs en Europe pour ce type d’interventions, et considérées par certains fabricants comme des armes de guerre : les lanceurs de balles de défense
[les « Flash-Ball » font partie de cette famille, mais ne sont plus utilisés que par certains policiers municipaux], les grenades GLI-F4, qui contiennent une petite dose de TNT et arrachent des mains. Celles-ci sont d’autant plus dangereuses qu’elles ne sont pas létales et donc utilisées de manière massive par des policiers qui pensent, de bonne foi, qu’ils ne vont pas tuer. Mais l’on assiste à des mutilations en série, qui font le déshonneur du maintien de l’ordre à la française. Le mythe, sur lequel les politiques continuent de surfer, ne résiste pas aux faits.
Lire notre enquête :
Le lourd bilan des « lanceurs de balles de défense » de la police
Vous effectuez un comptage des blessés, quel est votre objectif ?
Ce recensement est parti d’un effet de sidération devant les violences policières exercées et devant le silence politique et médiatique. C’est une démarche de documentariste, d’observateur de la police et de lanceur d’alerte. J’essaie de contextualiser au mieux les images que je repère. De plus en plus, les victimes ou leur famille m’envoient directement des informations. Je signale au ministère de l’intérieur les violences, mais aussi les manquements à la déontologie policière. Tous ceux qui sont blessés au visage peuvent porter plainte, car, comme l’expliquent les manuels de maintien de l’ordre, il est interdit de viser la tête.
Sur les 300 signalements recensés
[sur son compte Twitter], je compte au moins 100 blessés graves, dont une quinzaine de personnes éborgnées et plusieurs mains arrachées, mais aussi des insultes et menaces lancées par des policiers ou encore des destructions de téléphones portables. Les émeutes de 2005 se sont déroulées tous les jours, toutes les nuits, trois semaines durant, et elles ont engendré moins de débordements que lors des manifestations hebdomadaires des « gilets jaunes ».
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https://www.lemonde.fr/societe/arti...3BTuRlpX3E8PJC80a8YYVHHUY8#Echobox=1547651068
https://twitter.com/davduf/status/1085151920807989248