INTERVIEW Pierre Vermeren, auteur du «Maroc de Mohammed VI: la transition inachevée» (La découverte), revient sur la liberté de la presse dans le pays après linterdiction de plusieurs journaux...
Le journal «Le Monde» daté du 4 août n'a pas été autorisé à être distribué au Maroc à cause d'un sondage dressant le bilan des dix ans de règne du roi Mohamed VI. A cette interdiction s'ajoute la saisie, samedi dernier, des deux derniers numéros des hebdomadaires indépendants marocains «TelQuel» et «Nichane», dans lesquels le même sondage était publié. Il y a quelques semaines, cétait un numéro de «Courrier international» qui était interdit. La censure existe bel et bien au Maroc, mais elle est à relativiser.
La censure de la presse au Maroc s'est-elle amplifiée depuis l'arrivée au pouvoir de Mohamed VI?
La censure a toujours existé au Maroc et la situation s'est nettement améliorée avec les années. La période la plus favorable a été entre 1998 et 2000. Depuis 2000-2001, on assiste à un retour de la censure judiciaire, c'est-à-dire à une multiplication de procès qui donnent lieu à des condamnations financières, et non plus nécessairement à la prison. Parallèlement à cette censure, il existe aussi une autocensure des journalistes marocains qui savent ce qu'ils peuvent ou non écrire. La nouveauté, ces dernières années, tient donc aux procès intentés à des journalistes condamnés à payer de grosses sommes. Ces montants entraînent la fermeture de leur publication. Mais le Maroc reste l'un des pays du monde arabe où la presse est la plus libre. En Tunisie, il n'y a aucune censure, car il n'y a aucune liberté. Ce qui se passe au Maroc est, quelque part, la rançon de cette relative liberté.
Existe-il un code officiel de la censure au Maroc ou la censure est-elle appliquée de manière arbitraire?
Sous Hassan II, il existait un code officieux, appelé la «ligne rouge». Il y a quelques années, un code officiel a été voté. Il encadre les sujets relatifs à la famille royale, à la personne du roi ou encore à la religion. Le problème est que les règles qui entourent ces thèmes sensibles sont floues. Il existe donc une grande liberté d'interprétation de la part des juges, qui ne se gênent pas pour faire du zèle. Par ailleurs, il faut savoir que le Maroc est une monarchie exécutive. La liberté d'expression est fixée par le pouvoir, c'est-à-dire par le roi. Par contre, la presse peut critiquer le gouvernement ou le Parlement sans prendre trop de risques. En ce qui concerne l'affaire du «Monde», les sondages sur le roi sont interdits au Maroc. L'interdiction dont le quotidien a fait l'objet n'est donc pas une surprise.
Ces affaires de censure surviennent au moment où le Maroc célèbre le dixième anniversaire de l'arrivée au pouvoir du roi. Est-ce un hasard?
Evidemment non. Le Palais a voulu donner un tour de vis à ces publications qui ont tenté de repousser les limites de la censure. C'est une façon pour le pouvoir de «remettre les pendules à l'heure».
Ce qui est intéressant, c'est que ce tour de vis se fasse en plein été. Les autorités voulaient peut-être marquer le coup sans trop attirer le regard de l'opinion publique étrangère. L'image du Maroc en France est très importante pour le Palais. Et le Maroc ne s'attendait sûrement pas à ce que l'affaire fasse les gros titres, comme la Une du journal «Le Monde».
Propos recueillis par Maud Descamps