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Un abus de droit
En France, plusieurs organisateurs de soirées ont en effet été placés en garde à vue pour « mise en danger de la vie d'autrui », quand les participants, eux, ont écopé d'amendes pour « non-respect du couvre-feu », alors même qu'ils se trouvaient dans des domiciles privés. À
Lille, une étudiante de 18 ans a par exemple été brièvement mise en garde à vue vendredi 22 janvier après avoir organisé une fête avec 60 personnes dans son appartement. Prévenue par plusieurs appels de riverains pour tapage nocturne, la police est intervenue peu après minuit. L'organisatrice, elle, avait fini par être relâchée quelques heures plus tard. Et il existe des dizaines d'affaires similaires partout en France.
« Placer quelqu'un en garde à vue dans le contexte d'un rassemblement privé festif, c'est tout simplement un abus de droit », fustige Me Julia Courvoisier. L'avocate rappelle que s'il n'est pas illégal de recevoir chez soi, il est aussi possible de refuser l'entrée du domicile aux policiers : « Pour qu'un policier puisse entrer chez vous, il lui faut l'autorisation d'un juge, qu'on appelle commission rogatoire. En principe, dans le cadre d'un délit de droit commun, on ne peut entrer chez quelqu'un qu'à partir de 6 heures du matin [il existe des exceptions, notamment en matière de terrorisme, NDLR]. » Si malgré cela, les policiers entrent quand même, il s'agit donc d'une violation de domicile, qui constitue une infraction pénale, aggravée par le statut de force de l'ordre. En ce qui concerne le tapage nocturne, il reste à l'appréciation des policiers et peut être puni d'une amende de 450 euros. Encore une fois, les policiers n'ont pas le droit de pénétrer dans le domicile sans y être invités ou sans commission rogatoire.
Un délit qui n'est pas constitué
« Le problème, c'est que les gens ne connaissent pas forcément leurs droits. Quand des policiers frappent à ta porte et te disent que tu vas être placé en garde à vue, dans le cas d'une verbalisation pour mise en danger de la vie d'autrui, c'est à la fois impressionnant et dissuasif. Alors souvent, les gens baissent la musique et les invitent à entrer. À partir du moment où on les laisse entrer, le cadre légal est respecté. Ils verbalisent ensuite pour non-respect du couvre-feu, en sachant très bien que la personne est dans son domicile. Ils estiment – à juste titre – que les gens ne savent pas ou qu'ils n'auront ni le courage ni les moyens de contester l'amende devant le tribunal de police, car cela prend du temps et nécessite des ressources », juge Me Courvoisier.
Dès lors, la grande majorité des contrôles effectués dans le cadre de ce délit semble tout à fait injustifiée. « On est officiellement en dehors de tout cadre juridique dans la mesure où l'officier de police, sous la responsabilité du parquet, a la possibilité de placer quelqu'un en garde à vue en cas de flagrant délit. Mais il sait précisément que cette restriction de liberté est abusive, car elle ne rentrera pas dans les clous de la mise en danger de la vie d'autrui », précise l'avocate.
Cela s'ajoute donc au fait que le délit n'est souvent pas constitué. Une note de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, datée du 23 mars 2020 et révélée par
Le Monde, recommandait d'ailleurs de « formellement » écarter la qualification de « mise en danger délibérée de la vie d'autrui », en cas de non-respect des mesures de confinement. Le document précise que ce délit implique un « risque immédiat de mort ou de blessures graves
», une condition qui « ne paraît pas remplie au regard des données épidémiologiques connues »
« Dérive autoritaire »
De fait, l'avocate s'attend à beaucoup de classements sans suite. « On tord la loi pénale avec les placements en garde à vue, tout en ayant conscience qu'il n'y aura pas de poursuites. C'est donc de l'abus d'utilisation de droit, car on sait précisément que ça n'est pas de la mise en danger de la vie d'autrui. Quand on met quelqu'un en garde à vue, c'est qu'on le soupçonne d'avoir commis ou tenté de commettre un délit, une infraction. Or, ici, le délit n'est pas constitué : il est là, l'abus », martèle l'avocate, qui n'hésite pas à parler de « dérive autoritaire ».
Depuis quelques semaines, contrôles et amendes se multiplient pour lutter contre le « non-respect du couvre-feu ». Le dispositif légal est pourtant fragile.
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