4000 ans de monothéismes, histoire archéologique

'OTHMÂM AURAIT FAIT RÉDIGER LA VERSION UNIFIÉE DU CORAN.

Les feuillets d'Hafsa, complétés par des témoignages convergents de croyants, auraient servi à la mise par écrit du Coran.
Othmâm fait brûler « toutes autres versions existantes ». Chaque grande ville en aurait reçu une copie dont aucune n'a été retrouvée. Les feuillets d’Hafsa seront brûlés après sa mort, sur l'ordre de Marwân, le gouverneur de Médine. Le frère de Hafsa les lui livra « de crainte qu'il ne s'y trouve en quelque passage une divergence avec ce qu'avait copié Othmân. » (Ibn Abî-Dâwud, Masâhif, p.21. Et Balâdhurî, Ansâb, I,427 (n°888)).

Ibn Abî-Dâwud raconte que, jusqu'à la fin du VIIe siècle, le Coran a été corrigé par deux gouverneurs d’Irak. 'Ubbayd-Allah a « ajouté 2000 harf au codex ». Un harf est une lettre, un mot, une proposition ou un mode de lecture. 'Ubbayd-Allah est assassiné par les chiites en 686. Son successeur, Hajjaj (686-714) corrige l’orthographe, la ponctuation et améliore l’ordre des sourates et des versets. Il aurait fait détruire les autres versions après avoir envoyé la sienne dans toutes les provinces de l'empire. (Samhûdi, Wafa', II, 667-668).

Le calife régnant était alors Abd-al-Malik (685-705). Il fait bâtir le Dôme de Jérusalem en 692. On y trouve le premier fragment coranique daté avec certitude et conservé jusqu’à nos jours, la S. 112 : « Dis : Allah Un. Allah le plein. Il n’a pas engendré et Il n’a pas été engendré. Et Il n’a, comme équivalent, personne. ». C'est quasiment le même verset qui est frappé sur les monnaies arabes en 697.
Le rôle du calife Abd-al-Malik est confirmé par Balâdhurî (Ansâb, XI, p. 264, cité par Sharon, « The Umayyads » (1991), p.131, n.37.) : « Je crains de mourir durant le mois du Ramadan : c'est durant ce mois que je suis né, durant ce mois que je fus sevré et durant ce mois que j'ai collecté le Coran. ». Abd-al-Malik ne serait-il pas le véritable compilateur du Coran ? (A.-L. de Prémare : Les Fondations de l'Islam, p. 296, Points.)

Au Yémen, un mur de la grande Mosquée de Sanaa s’effondra en 1972, libérant une cache contenant 15000 parchemins couverts d'extraits du Coran.
Ils ont été datés par carbone 14. Les animaux dont le cuir a servi, ont été tués, pour les plus anciens, dans une fourchette allant de 645 à 690 ; pour les plus récents au Xe siècle. Le Dr Puin, le chercheur allemand qui les a étudiés, a daté de 685 le plus ancien écrit grâce à son style et la forme de ses lettres. Mais sous le texte, existait un autre texte du Coran, plus ancien, qui avait été décapé. Pourquoi ? Les autorités yéménites n'ont plus alors laissé personne accéder aux originaux. Le Dr Puin : « Nombre de musulmans sont persuadés que, du début à la fin du Coran, tout est la parole inaltérée d'Allah. Ils se réfèrent au travail sur le texte de la Bible qui montre qu'elle n'est pas tombée directement du ciel. Mais, jusqu'à présent, le Coran a échappé à ce genre de discussion. La seule façon de briser un tel mur est de prouver que le Coran lui aussi a une histoire. Les fragments de Sanaa nous aideront à y parvenir. » (source Wikipédia).
Les manuscrits de Sanaa montrent en effet des divergences, minimes mais réelles, de sens et de classification des versets, avec la version dite d'Othman qui prévaut de nos jours.

Et qu'en est-il de la version plus ancienne, effacée et recouverte, sur les manuscrits de Sanaa ?
 
L'ARABE PARLÉ PAR MAHOMET, L'ARABE DIT SUD SÉMITIQUE/SUD ARABIQUE, N'EST PAS L'ARABE DU CORAN.

Christoph Luxenberg, un chercheur allemand, a étudié le vocabulaire du Coran. Certains mots sont d'origine étrangère. Luxenberg a identifié du vocabulaire latin et grec. Il donne des exemples :

- La Mecque est qualifiée de « Umm-al-Qura », traduction littérale du grec « metropolis ».
- La route droite « al-Sirat al-Mustaquim » que les musulmans doivent suivre, vient du « strada » latin, la « route droite » des romains.
- Le « qasr » coranique, vient du château, « castum » latin.
Le Coran aurait donc été rédigé plus tardivement et avec des apports extra arabiques et plusieurs rédacteurs d’origines linguistiques différentes.

Mais la majeure partie du vocabulaire étranger, non arabe, est araméenne et syriaque. Sa présence suggère que le Coran aurait été remanié, hors d'Arabie, au début du VIIIe siècle par les premières générations de syriaques chrétiens convertis à l'islam qui parlaient le syro-araméen (Christoph Luxenberg, « Die syro-arämaische Lesart des Koran », Berlin, 2000).

Le syriaque est un dialecte araméen, d’origine sémitique, originaire de Mésopotamie et qui a été parlé au premier millénaire, dans tout le Moyen-orient jusqu’au sud de la Turquie actuelle. En -132, il est langue officielle du royaume d’Osroène, dont la capitale était Édesse (Ourfa en Turquie). Le vocabulaire, la grammaire et l’écriture en sont alors fixés et il devient la langue parlée du Moyen-Orient, y compris par les arabes chrétiens. La Bible est traduite très tôt en syro-araméen. Au IVe siècle, Saint Éphrem écrit dans cette langue. Le syriaque parlé va péricliter avec l’émergence de l’arabe classique qu’il a contribué à former, l'arabe classique étant, par définition, l'arabe du Coran.

L’arabe sud sémitique de 630, celui parlé du temps de Mahomet, est connu par des graffitis non islamiques, laïcs pouvons-nous dire. Il est infiniment moins sophistiqué que celui du Coran. C’est l’apport de la richesse du vocabulaire syriaque, de l’écriture syriaque, ainsi que l’adjonction des voyelles (sur le modèle de la réforme de l’hébreu) qui aurait permis la rédaction du Coran dans une langue qui n'est plus l'arabe de Mahomet.

L'arabe dit classique, l'arabe du Coran, aurait été élaboré sur 150 ans, c'est pourquoi il n'existe pas d'ouvrage en arabe classique avant la fin du VIIIe siècle. Luxenberg précise « Selon la tradition musulmane, le Coran daterait du VIIe siècle, alors que les premiers exemples de littérature en arabe dans le plein sens du terme ne se trouvent que deux siècles plus tard, au temps de la « Sira », c'est-à-dire la Biographie de Mahomet, telle qu'elle a été écrite par Ibn Hichâm, décédé en 828. On peut ainsi établir que la littérature post-coranique a été développée par degrés dans la période qui a suivi le travail de Khalil iln Ahmad, mort en 786, fondateur de la lexicographie arabe (« kitab al-ayn ») et de Sibawayh mort en 796, à qui l'on doit la grammaire de l'arabe classique. Maintenant, si nous considérons que la composition du Coran s'est achevée à la mort de Mahomet, en 632, nous avons devant nous un intervalle de 150 ans, durant lequel nous ne trouvons pas trace de littérature arabe. ».

Comment expliquer cet écart ? Si l'arabe classique du Coran s'est au contraire élaboré sur 150 ans, nous retrouvons une continuité dans l'usage de cette langue dans les écrits musulmans.
 
L’HYPOTHÈSE DE CHRISTOPH LUXENBERG : DES SYRIAQUES D’ORIGINE CHRÉTIENNE AURAIENT PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DU CORAN AU VIIIe SIÈCLE.

Luxenberg a regardé les nombreux versets du Coran dont le sens est obscur et ceux dont le vocabulaire est innovant par rapport à l'arabe sud sémitique, parlé dans l'Arabie de Mahomet.
Il a recherché si ces mots originaux n'existaient pas déjà dans des langues contemporaines. Or de nombreux mots du Coran, incompréhensibles en arabe sud sémitique, ont un sens en syriaque.

À partir de l'apport du syriaque, Luxenberg a proposé une autre compréhension du Coran :

- Marie s’inquiète de sa réputation lors de son accouchement. S. 19-23-24 : « Malheur à moi ! Que ne suis-je déjà morte, totalement oubliée ! ». Jésus, tout juste né, lui dit : « Ne t’afflige pas ! Ton Seigneur a mis au dessous de toi un ruisseau. ».
« Ruisseau » se dit « sariya » dans la langue du Coran, mais ce mot n'existe pas dans l’arabe sud-sémitique parlé au temps de Mahomet. Le mot « sariya » existe en revanche en syro-araméen, il veut dire « légitime ». « Au dessous de toi », en syriaque, veut dire « accouchement ». Ainsi la traduction du verset devient « Ton Seigneur a rendu ton accouchement légitime ». Jésus rassure ainsi sa mère, ce qui est beaucoup plus logique qu'en faisant couler un ruisseau sous elle.

- La S. 33-40 est traduite par l'expression de « sceau des prophètes ». Le mot coranique en syriaque signifie « confirmateur ». Mahomet ne serait donc plus le dernier des prophètes mais simplement celui qui confirme les anciens prophètes.

- S. 108-1-3 : « Nous t'avons apporté la profusion. Pour ton Seigneur, célèbre donc l'Office et immole. C’est celui qui t’insulte qui est le châtré. ».
Ce verset a déjà été compris comme un renvoi d'insulte, Mahomet doit se consoler des insultes en récitant le Coran.
En retrouvant le sens des mots en syriaque, la signification du verset devient tout autre pour Luxenberg : « Nous t’avons donné la vertu de la persévérance ; Prie donc ton Seigneur et persiste [dans la prière] ; Ton adversaire, le Satan, est alors le vaincu. ».

- S. 24-31 : « Dis aux croyantes : de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne monter que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leurs voile (« khumur») sur leurs poitrines. ».
Pour Luxenberg, le mot traduit par « poitrine » est littéralement la fente des vêtements en syriaque. Il le traduit par le mot « poche ». Le mot « Khumur », traduit par foulard ou voile de nos jours, signifie « ceinture » en syriaque. Le verset devient : « les femmes doivent serrer leur ceinture sur leurs poches ». Pour les chrétiens, la ceinture était symbole de chasteté dans la littérature et l’iconographie syriaque. Il ne s’agirait donc pas d’une obligation à se voiler mais du rajout, peut-être tardif, d’origine chrétienne, d’un verset rappelant l’importance de la pudeur, exprimée par le port symbolique d’une ceinture.

« Houris », signifie « raisin blanc» en syriaque. Les élus au paradis se voient donc gratifier de raisins blancs et non pas de multiples concubines, (S. 44-54, S. 52-20, S. 56-22). Cela correspond à la vision poétique chrétienne du paradis dans la littérature syriaque qui est conservée et connue, le raisin y était symbole d’abondance et de délice.
 
L’HYPOTHÈSE DE GÜNTER LÜLING : LE CORAN S'INSPIRE DE LIVRES LITURGIQUES SYRIAQUES DU VIe SIÈCLE.

À quel moment les mots d'origine syriaque ont-ils été introduits dans le Coran ?

Est-ce tardivement au VIIIe siècle qu'ils auraient été introduits par des convertis syriaques issus du christianisme ?
Les manuscrits de Sanaa devraient alors être dépourvus de mots syriaques. On regrette qu'aucune étude précise n'ait été publiée à ce sujet. Les autorités yéménites interdisent leur étude depuis 1999. Souhaitons qu'elles ne soient pas tentées de les détruire, comme est détruit actuellement le sous-sol de la Mecque.

Et si l'apport syriaque avait été très précoce ? Les manuscrits de Sanaa contiendraient alors ce vocabulaire. Les rares microfilms des manuscrits qui ont été conservés montrent des modifications dans l'ordre des versets et des différences minimes de sens portant sur des détails par rapport au Coran actuel. Le vocabulaire syriaque serait donc déjà dans le Coran de 685.

En fait, Günter Lüling pense que le Coran est inspiré de livres chrétiens syriaques, de lectionnaires, expliquant les fondements de la foi chrétienne et destinés à l'évangélisation de l'Arabie. Mahomet en aurait eu connaissance. Günter Lüling (dans ses deux ouvrages, Die Wiederentdeckung des Propheten Muhammad, 1981 ; et, Uber den Ur-Qur’ân, 1974) analyse toutes les parties du Coran provenant d’hymnes chrétiens circulant en Arabie au VIe siècle, un siècle avant la prédication de Mahomet.

La Sourate 97
est appelée « La destinée », « al Qadr » en arabe. La transcription du mot « al Qadr » en syro araméen est « helqa », et signifie « l’Étoile de la nativité », celle qui a guidé les Rois mages lors de la naissance de Jésus. La sourate 97 devient donc un chant chrétien célébrant la naissance du Christ :
S. 97 : « L’Étoile de la nativité » : « Oui, nous avons fait descendre ceci (donc Jésus et non le Coran) la nuit de la nativité. Et qui te dira ce qu’est la nuit de la nativité ? La nuit de la nativité est meilleure que mille mois ! Durant la nuit de la nativité descendent les anges ainsi que l’Esprit, par permission de leur Seigneur. Avec chaque commandement, une paix. – Cela, jusqu’à l’apparition de l’aube. ».

Si cette sourate a réellement été récitée par Mahomet, elle prouve que Mahomet s’est inspiré d’un livre de liturgie chrétienne syriaque.

Le Coran avait déjà suggéré que des récits anciens inspiraient Mahomet : S. 25-4-5 : « Ceux qui mécroient disent : « Oui, tout ceci n'est que calomnie que celui-là a blasphémé et à quoi d'autres gens l'ont aidé ». Or, ils commettent là prévarication et mensonge. - Ils disent : « Contes anciens qu'il se fait écrire ! On les lui dicte matin et après -midi. » » et S. 16-103 : « Nous savons fort bien ce qu'ils disent : « Oui, quelqu'un l'enseigne, tout simplement. » ».

Des mots syriaques, des concepts syriaques et des chants liturgiques syriaques se seraient donc retrouvés dès la révélation de Mahomet dans le corpus coranique.
Günter Lüling a retrouvé leurs origines dans des opuscules syriaques destinés à l'évangélisation de l'Arabie et contemporains de Mahomet.
 
CORAN CRÉÉ OU INCRÉÉ, AURA-T-ON UN JOUR LA POSSIBILITÉ D’ÉTUDIER LES CORANS ANTIQUES ?

Les manuscrits de Sanaa ont été enfermés et soustraits aux chercheurs par les autorités yéménites en 1999.

La Bibliothèque Nationale de France conserve 60 feuillets du Coran, dont l'ancienneté remonterait à la fin du VIIe siècle.
Mais le carbone 14, destructeur, n'a pas été employé. Leur datation, basée sur le style de leur écriture, est donc incertaine. Il faudrait pouvoir comparer avec des écrits arabes du VIIe siècle mais il n'en existe pas. Le manuscrit de la BNF est en style dit « hijâzi », défini au Xe siècle par Ibn al-Nâdim. Il attribuait cette écriture, caractérisée par l'absence de signe diacritique, au Hedjaz du VIIe siècle. Aucun de ces Corans antiques n’est complet ; il manque toujours le début et la fin, détruits par les manipulations. La sourate 97 n'a pas été conservée. Était-elle déjà présente dans le Coran au VIIe siècle ? Provient-elle d’un livre de liturgique syriaque qui aurait inspiré Mahomet ou est-elle un ajout tardif des transcripteurs du Coran ?

Les musulmans pensent que des Corans anciens (celui de Tachkent ou celui du Caire) ont appartenu à des compagnons du Prophète. Mais les spécialistes les datent du IXe siècle, soit plus de deux siècles après la mort de Mahomet. Les Corans les plus anciens datés avec certitude, sont ceux de la collection Chester Beatty, conservée à Dublin, ils datent de la fin du VIIIe siècle, plus de 150 après la mort de Mahomet.

Dans les trois premiers siècles de l'islam, un courant de pensée, le mutazilitisme, dira que que Coran est créé. Selon leur croyance, l'idée d'un Coran « incréé », existant de toute éternité auprès de Dieu, aurait divinisé le Coran et aurait constitué une « association », une entorse à l'unicité de Dieu.

À la fin du IXe siècle, le sunnisme l'emporte sur le mutazilitisme. Toutes les questions doivent maintenant trouver leurs réponses dans deux sources : les hadiths basées sur l’illusion que la transmission orale est parfaite et la vision mythique d’un Coran, fidèle reproduction d’un écrit divin, mis par écrit dès la mort de Mahomet.

Plus on s’éloigne de sa rédaction, plus le Coran se pare de vertus surnaturelles. Les aléas de sa rédaction se perdent maintenant dans le passé. De nos jours, les musulmans ne parviennent toujours pas à séparer les sciences objectives de la foi musulmane. Leur vision de l'histoire reste conditionnée par leur foi.

Laissons donc la parole à Maxime Rodinson, un spécialiste occidental du Coran,
: « Le style d’Allah changea en conséquence [de l’évolution des conditions de vie de Mahomet]. Les versets haletants du début, hachés, concis au point d’en être extrêmement obscurs, pleins d’images syncopées d’une poésie saisissante, étaient déjà devenus, à la Mecque, plus longs, plus plats et plus précis. Mais à Médine, à côté de morceaux qui rappellent encore heureusement les envolées mecquoises, on trouve surtout de filandreux et interminables articles de code, exhortations, protestations, proclamations d’un prosaïsme souvent pénible, encombrés de répétitions et de fautes de style. Il faut la foi des musulmans pour y voir encore un chef-d’œuvre inégalable de la rhétorique universelle dont la perfection suffit à prouver l’origine divine. ».

La question reste donc ouverte : comment, quand et par qui le Coran actuel a-t-il été rédigé ?
Manifestement pas sous le calife Othman !
 
ALI, QUATRIÈME CALIFE DE 656 À 661. LA GRANDE ÉPREUVE.

Ali est choisi comme successeur d'Otham.

En 656, Aïcha, associée à Talha et à Zubayr, part en guerre contre lui, l’accusant du meurtre d'Othmam : c'est la bataille du chameau.
En été 657, Ma’awiya, gouverneur de Syrie, s'oppose à Ali. Il veut se faire livrer les meurtriers d'Othman. Ali prétend qu'Otham a été tué pour des actes d'oppression. Ils finissent par décider d'un compromis en acceptant un arbitrage extérieur.
L’islam se divise en trois branches : les sunnites fidèles à Otham, les chiites qui suivent Ali et les Kharidjites, des alliés d'Ali qui refusent le compromis.
En 658, la bataille de Nahrawam oppose Ali et ses ex-alliés Kharidjites. Ils assassinent Ali en 661.

En 660, les descendants d'Umayya ibn 'Abd Sams, le grand oncle de Mahomet, emportent la première guerre interne à l’oumma, la fitna kubrâ, la grande Épreuve. Ils fondent la dynastie omeyyade.
En 680, 'Ubbayd-Allah, un omeyyade, bat Hussein, le fils d'Ali et de Fatima, à la bataille de Kerbala. Hussein est tué.

Puis la dynastie omeyyade devient héréditaire. Cela est imposé par la victoire des Omeyyades sur les tribus syriennes en 684 lors de la bataille Mardj Rahit. C'est la seconde « fitna », la seconde guerre interne à l’oumma.

De 685 à 687, le soulèvement de Kufa oppose les successeurs d’Ali aux Omeyyades.

En 691, Abd-al-Malik, le calife de Damas, fait ériger le « Dôme du Rocher » sur l'emplacement du Temple à Jérusalem.
Jérusalem n'est pas encore ville sainte de l'islam. La Mecque est alors le siège d'un califat rival à celui de Damas, celui d''Abd-Allâh Ibn al-Zubayr. Abd-al-Malik cherche à créer un pèlerinage concurrent à celui de la Mecque et choisit Jérusalem. Le Dôme du Rocher est construit sur le plan du Saint Sépulcre qui entoure le tombeau du Christ à Jérusalem, la rotonde entoure ici le rocher du mont Moriah, lieu du sacrifice d’Isaac pour les juifs. Quand la Tradition aura fait de la Mecque le lieu du sacrifice d'Ismaël, elle racontera que le « Dôme du Rocher » protège la trace du pied de Mahomet prenant son élan vers le ciel.
En 692, Abd-al-Malik envoie Hajjâj, le gouverneur d'Irak, faire le siège de la Mecque. Le siège dure sept mois. Hajjâj fait bombarder la Kaaba en plein pèlerinage, mettant fin au califat rival d'al-Zubayr.

Puis en 697, Hajjâj triomphe des Kharidjites.

L'arabe devient la langue de l'administration, remplaçant le perse et le grec. Il finit par être parlé par chacun, quelle que soit sa religion. Le statut d'infériorité des dhimmi s'élabore avec la fiscalité qu'il implique (la capitation), mais l'administration continue d'employer les chrétiens et les juifs. Le dinar arabe, non figuratif, remplace le denier d'or byzantin et la drachme d'argent des Perses Sassanides. La monnaie unique favorise le commence dans le nouvel empire.

Le sixième calife Walid (705-715) fait construire la grande mosquée de Damas, de 705 à 715, sur l'emplacement de la cathédrale Saint Jean Baptiste, qui avait elle-même remplacé un temple dédié à Jupiter. Le minaret devient le symbole de l'architecture musulmane. Les décors non figuratifs, floraux, géométriques et calligraphiques, posent les bases de l'esthétique musulmane.

Mais les omeyyades, dans leurs palais du désert, à usage privé, continuent de représenter la figure humaine, en particulier des danseuses nues (bains de Qusair Amra).
 
GÉOPOLITIQUE DU VIIIe SIÈCLE. EN TERRE CHRÉTIENNE, LE POUVOIR EST FRAGMENTÉ ENTRE POUVOIRS RELIGIEUX ET POLITIQUE.

Depuis 498, date du baptême de Clovis, le royaume franc est officiellement chrétien.

En 710, l'Espagne est conquise par la dynastie omeyyade.
Le berbère Tariq répond à l'appel de Julien, un wisigoth rebelle ; l'armée musulmane envahit l'Espagne. L'Hispania chrétienne, où règnent les wisigoths, disparaît en 716 ; elle est remplacée par la prestigieuse 'al-Andalus musulmane.

En 719, les musulmans remontent jusqu'en France. Ils prennent Narbonne, Carcassonne, Nîmes. Ils pillent Autun en Bourgogne en 726, puis Bordeaux en 732. Le 25 octobre 732, le premier jour du Ramadan, Charles Martel, le chef des Francs, interrompt une razzia à Poitiers. La conquête arabe n'ira pas plus loin. En 801, Charlemagne chasse définitivement les arabes de France en prenant Barcelone.

De 717 à 720, Omar II règne à Damas sur l'empire musulman. Les dhimmi juifs et chrétiens sont exclus de son administration.

Au VIIIe siècle, un peuple tatar se convertit au judaïsme.
De ce royaume Khazar proviennent une partie des juifs européens. L'idée que les juifs forment une race, est un préjugé qui sera tristement repris par les nazis. Des juifs se sont convertis au christianisme, d'autres à l'islam. Des romains sont devenus juifs, et maintenant un peuple turc se judaïse. Le judaïsme est une religion, pas une ethnie.

L'empire Byzantin doit se défendre contre l'empire musulman. Il est envahi sur ses frontières à l'est et doit payer tribu au Calife. L'empire byzantin ne protège plus ses frontières ouest. Les lombards en profitent pour attaquer le nord de l'Italie qui appartient à l'empire byzantin. Le pape est menacé. Pépin le Bref, le roi des francs, vient à son secours. Il repousse les lombards et conquiert un territoire qu'il donne au pape en 756. Ainsi naissent les états pontificaux en Italie. Ils sont indépendants et cessent de reconnaître l'autorité de Constantinople et de l'empire byzantin. Le pape, l'évêque de Rome, vient d'obtenir les moyens matériels de son autonomie spirituelle.
Le 28 juillet 754, Pépin le Bref est sacré roi par le pape Étienne II dans la basilique Saint-Denis. Son soutien au pape lui a permis de légitimer sa prise de pouvoir.

Le 25 décembre 800, Charlemagne, fils de Pépin le Bref, est sacré Empereur d’Occident dans la basilique Saint Pierre de Rome, privant la dynastie byzantine de son titre. Depuis trois ans, une femme, Irène, règne à Constantinople après avoir déposé son fils. En tant que femme, elle ne pouvait porter le titre d'empereur.

Le désir d'un empire chrétien, successeur de l'Empire Romain, se prolonge avec Charlemagne ; il se poursuivra avec le Saint Empire Romain Germanique et avec le Tsar (le César) de Russie.

Mais le pouvoir politique, dans les états chrétiens, qu'ils soient catholiques ou orthodoxes, restera toujours disjoint du pouvoir religieux. Le pape est à Rome, protégé par des états indépendants, ses évêques sont dans chaque diocèse, les Patriarches dirigent les Églises d'Orient. Les rois gouvernent les hommes, les religieux les âmes. Les pouvoirs politiques et religieux ne seront jamais regroupés en terre chrétienne.

Le Christ, Vérité éternelle, n'a pas fini de nourrir la vision d'une vérité ouverte sur la pluralité et la complexité de l'infini et cela malgré la convoitise des hommes, y compris d'Église.
 
LA RÉVOLTE DES NON-ARABES : LA BATAILLE DU GRAND ZAB. LES ABBASSIDES.

La dynastie omeyyade est fragilisée par de multiples conflits : entre tribus rivales, entre chiites et sunnites, entre purs arabes et non arabes.
Les convertis à l'islam doivent demander à être adoptés par des arabes pour devenir musulmans. Ils subissent une pression fiscale supérieure.
Les purs arabes, au sein des musulmans, deviennent minoritaires.

En 750, la révolte des musulmans non arabes part d'Iran. Un descendant d'un oncle de Mahomet, Abu al-abbas en prend la tête. La révolte gagne Damas. Abbas fait exterminer 80 princes omeyyades. Pendant qu'ils agonisent, il les fait recouvrir d'un tapis et fait servir un repas dessus... c'est du moins ainsi que le raconte Tabarî. Un seul prince omeyyade, Abdal-Rahman, échappe au massacre, il gagne l'Andalousie et fonde le califat de Cordoue en 756.

En 750, Abbas fonde la dynastie abbasside. De là date la conviction des musulmans qu'ils sont tous égaux entre eux.

La dynastie abbasside couvre 5 siècles, de 750 à 1258, jusqu'à la destruction de Bagdad par les mongols.
En 758, le calife al-Mansour (754-775) déplace sa capitale à Bagdad.
« Il traça le plan de la cité et lui donna la forme du cercle », ainsi tous les quartiers étaient-ils à égale distance du palais du calife. L'architecture exprime la philosophie de la dynastie. Le calife centralise tous les pouvoirs. Al-Mansour refuse de reconnaître le califat pour les imams chiites ; ils avaient pourtant soutenu la révolution abbasside. Les pouvoirs politique et religieux restent entre les mains du Calife comme sous les omeyyades. Seules différences significatives : la conversion à l'islam des non arabes ne passe plus par l'adoption par une famille arabe et les non-arabes musulmans sont égaux aux arabes musulmans. La proportion de musulmans dans la population de l'empire double pendant son règne passant de 8% à 15%. Mais ces conversions ne sont pas favorisées en raison de la perte fiscale qu'elles entraînent.

L'empire est immense. Il va jusqu'à l'actuel Ouzbékistan et englobe plusieurs cultures, en particulier la culture perse, appelée maintenant persane. La civilisation musulmane subit une mutation, elle devient citadine, l'écrit prend une place prépondérance. Les premières grammaires et lexicographes arabes apparaissent. La Sira, la biographie du Prophète, est écrite. Al-Mansour est le premier calife à s'intéresser aux sciences. Il fait venir à sa cour Jurjis ibn Bakhtîshu, un médecin iranien.

Jusqu’en 780, sont mises en place la charia et le loi relative au djihad. La vision du monde, pour les musulmans, se sépare en Territoire de l’Islam (Dâr al-Islâm) et en Pays de guerre (Dâr al-Harb). Les musulmans sont convaincus que leur domination sur la terre est inéluctable et qu'elle surviendra rapidement.
La fin des conquêtes musulmanes oblige les juristes à revoir cette position. Au IX siècle, ils définissent une Terre de Trêve ou de pacte (Dâr al-Sulh ou Dâral-‘Ahd). Il s'agit d'états non musulmans qui ont établi une trêve permanente avec le Territoire de l’Islam. Ils lui paient tribus mais gardent une certaine autonomie politique.

La foi dans le Coran, détenteur d'une vérité globalisante, n'a pas fini de centraliser tous les pouvoirs, politiques et religieux, entre les mêmes mains.
 
LE SAVOIR GREC EST PRÉSERVÉ EN TERRE CHRÉTIENNE.

Les chrétiens n'ont jamais, ni rejeté, ni oublié, le savoir grec antique. Les évangiles ont été écrit en grec. Dès le début, la culture grecque fait partie de la culture chrétienne.

Les chrétiens syriaques sont restés fidèles aux textes antiques. Dès le Ve siècle, ils traduisent dans leur langue, le syriaque, les ouvrages grecs de philosophie, de mathématiques et de médecine. Ils n'hésitent pas à y trouver les connaissances qui manquent à la Bible, par exemple en astronomie et en cosmologie. Les syriaques continuent à accepter la rotondité de la terre découverte par les grecs antiques. Ils transmettront ce savoir aux musulmans qui n'en garderont que ce qui est conforme au Coran : la terre serait plate et entourée de l'orbite du soleil (S. 71-19, S. 51-48, S. 15-19, S. 18-17, S. 25-45, S. 18-90, S. 18-86). Dès le VIIIe siècle, les musulmans utilisent l'astrolabe grecque, avant qu' Al-Zarquali ne le perfectionne au XIe siècle à Tolède. Malgré de multiples observations du ciel rendues nécessaire par le calendrier lunaire et par l'obligation de respecter les heures de la prière, les musulmans ne comprirent jamais que la terre est ronde et tourne autour du soleil.

En Europe, la christianisation conduit à un rejet relatif du savoir grec. Au VIe siècle, l'enseignement classique des sept arts libéraux (la paidéia), issu de la culture grecque, disparaît en Europe. Il est possible que ce soit la christianisation, plus que les invasions barbares, qui ait entraîné l'arrêt de la paidéia considérée comme liée au paganisme. Mais les textes en grec sont préservés dans les bibliothèques des monastères à Rome, à Ravenne, au Vivarium. Certains textes seront traduits en latin et restent accessibles. Boèce (480-524), traduit Aristote (Consolation de la philosophie et Logique d'Aristote). Martinius Capela (Ve siècle) expose le programme de la paidéia : arithmétique, géométrie, astronomie, musique, grammaire, rhétorique et logique (Noces de Mercure et de Philologie). En 400, Caldidius évoque la cosmologie grecque dans le commentaire du Timée de Platon.

L’Église latine reste en lien constant avec l’Église grecque, en lien spirituel mais aussi culturel. Elles ne forment qu'une seule Église. Ainsi, un moine formé au mont Athos en Grèce, Jean de Bénévent, devient-il abbé en Italie, en 998, du monastère du Mont-Cassin et règne sur sa prestigieuse bibliothèque.

Le savoir grec persiste donc en Europe chrétienne. Mais il est relu à la vision des vérités bibliques. Isidore de Séville (530-636), évêque d'Espagne, fait la synthèse entre savoir antique et foi chrétienne. Tout savant qu'il est, il n'a plus le même raisonnement que les savants païens. Sa vision du monde est influencée par le contenu biblique. Pour lui, la Bible est La Vérité, y compris en science.

Les chrétiens syriaques ont transmis aux musulmans le savoir grec, sans se soucier qu'il soit fidèle à la lettre de la Bible. Les chrétiens européens prendront un chemin plus long. Ils devront dépasser leur vision d'une vérité forcément contenue dans la Bible. Ils finiront par inventer les sciences exactes basées sur l’observation, l'expérience et le calcul mathématique, et cela indépendamment de leur Texte saint : la Bible. En effet, selon les Évangiles (Jean 14-6), c'est le Christ qui est la Vérité et non la Bible prise au pied de la lettre.
 
LA GÉOGRAPHIE CHRÉTIENNE HÉSITE ENTRE LECTURE LITTÉRALE DE LA BIBLE ET SAVOIR GREC.

Le savoir grec.

Au Ve siècle avant JC, Parménide affirme que la terre est ronde. Hipparque (190-125) divise le globe en 360 degrés. Aristaque de Samos (310-230) pense que la terre tourne autour du soleil, mais il ne convainc pas ses contemporains. Au IIe siècle, Ptolémée décrit les côtes, les cours d'eau et les reliefs du monde connu qui va des îles Canaries à l'ouest à celle du Siam à l'est et de 16° à 63° de latitude nord. Ses cartes resteront connues des arabes mais seront oubliées des européens jusqu'au XIVe siècle.

La cartographie chinoise.
Dès le troisième siècle, Phei Hsui invente le quadrillage qui permet de respecter les proportions sur les cartes. Les chinois supposent la terre plate mais ils cartographient les montagnes, les fleuves et les côtes de leur empire avec une étonnante précision. L'empire Tang (618-907) généralise l'usage du quadrillage. La Chine est le centre du monde : l'empire du milieu. La dynastie Sung (960-1279) prend l’habitude de placer le nord en haut. Le quadrillage chinois est repris par Al-Idrisi (1099-1166), mais lui, placera la Mecque au centre du monde.

Le christianisme hésitera entre disque et sphère.
Saint Augustin (354-430), Saint Jean Chrysostome (344-407) ou Lactance (250-325), le précepteur des fils de l'empereur Constantin, ne peuvent croire que la terre est une sphère. « Qui serait assez insensé pour croire qu'il puisse exister des hommes dont les pieds seraient au-dessus de la tête ou des lieux ou des choses puissant être suspendues de bas en haut, les arbres pousser à l'envers, ou la pluie tomber en remontant ? » (Institutions divines de Lactance). Cosmas d’Alexandrie, un moine byzantin du VIe siècle, affirme que la terre est clôturée de murailles derrière lesquelles se couche le soleil. Mais Jean Philopon (490-575), de l'école d'Alexandrie, choisit de lire la Bible de façon allégorique. Dans son ouvrage, « La Création du monde », la terre est une sphère.

Les cartes T.O..

La chrétienté hésite. Sur les 600 cartes médiévales dites « T.O. » qui subsistent de nos jours, la terre est un disque plat. Une mer centrale en forme de T sépare les terres émergées. L’Asie est en haut de la carte, au dessus de la barre horizontale du T. À gauche de la barre verticale du T, l'Europe, et à droite l'Afrique. La barre verticale du T est la mer Méditerranée et la barre horizontale le Danube et le Nil qui coulent dans le prolongement l'un de l'autre. Selon Isidore de Séville (560-636), cette séparation en trois du monde correspond au partage entre les trois fils de Noé : Sem en Asie, Cham en Afrique et Japhet en Europe. Jérusalem y est située au centre du monde, en fidélité avec le texte d’Ézéchiel 5-5. Il place le paradis à l'est, donc sur terre. L'enfer, aurait donné le bitume servant à construire la muraille éloignant Gog et Magog. Ce récit est repris dans des écrits attribués au Prêtre Jean. Ce légendaire Prêtre Jean apparaît pour la première fois dans la Chronique de l'évêque allemand Otton de Freising au XIIe siècle.
Entre lecture littérale de la Bible et mythologie, la géographie chrétienne stagne pendant 1000 ans.

Néanmoins, dans Etymologie, Isidore de Séville décrit la terre comme une balle. Les milieux les plus instruits savent que la terre est ronde, même s'ils ignorent encore qu'elle tourne autour du soleil.
 
LA RENAISSANCE CAROLINGIENNE.

La vie de Saint Jean Damascène (676-749), docteur de l’Église, issu d'une famille arabe de Damas, donne le témoignage des possibilités d'éducation au VIIIe siècle en Sicile.
Le précepteur du futur saint, Cosmas, un esclave enlevé par les musulmans en Sicile, raconte : « Moi qui ai scruté la morale, celle d'Aristote et celle d'Ariston, moi qui ai étudié tout ce qui est accessible à un être humain dans les sciences de la nature, moi qui ai appris l'arithmétique, moi qui ai appris à fond la géométrie, qui ai combiné avec succès les accords de l'harmonie et de la musique, moi qui sais le mouvement céleste et la révolution des astres, et grâce à ma connaissance de la grandeur et de la beauté des créatures, je peux passer par analogie à l'étude du Créateur, moi qui en suis venu aux mystères de la théologie que les grecs nous ont transmis. ».

Le savoir grec intéresse les souverains. Pépin le bref, roi de 751 à 768, obtient du pape Étienne II des livres grecs de liturgie, de grammaire, d'orthographe, de géométrie et des œuvres d'Aristote, destinés à l'éducation de sa fille Gisèle et au monastère de Saint Denis.

Charlemagne, le fils de Pépin le Bref, souhaite présenter à son peuple la foi chrétienne de façon cohérente. La dialectique, imaginée par Aristote, permet de raisonner avec logique, d'argumenter de façon rationnelle et d'exprimer ses idées dans un vocabulaire et une grammaire correcte. En 782, Alcuin fonde l'école palatine à Aix la Chapelle, la capitale de Charlemagne. Les sept arts libéraux de la Grèce antique y sont enseignés : les trois disciplines littéraires (le Trivium) : grammaire, rhétorique et dialectique ; et les quatre disciplines scientifiques (le Quadrivium) : arithmétique, géométrie, astronomie et musique. Virgile, Horace, Sénèque et Cicéron sont étudiés.
En 789, Charlemagne demande à l'évêque Théodulf d'Orléans (755-821) d'organiser les écoles en trois niveaux dans son royaume. Théodulf appartient à une famille savante ayant fui l'Espagne lors de la conquête musulmane. Les écoles paroissiales sont gratuites, les évêchés délivrent l'enseignement secondaire, et l'enseignement supérieur, destiné aux cadres de l'empire carolingien, est dispensé dans les monastères.

La réforme de l'écriture et les arts.
Charlemagne réforme l'écriture. En 780, la caroline, l'écriture minuscule, est définie par Alcuin. Les lettres deviennent plus lisibles, un espace sépare les mots. Les chartes sont diffusées dans cette écriture. Les monastères de Lorsch, de Wurzbourg, de Richeneau ou de Saint-Gall s'emploient à copier les manuscrits antiques en caroline. Les manuscrits sont protégés de couvertures d'ivoire sculptées et ornés d'enluminures.
Charlemagne fait venir à Mayence les Kalonymus, une famille de savants juifs toscans. Il désire s’entourer de savants ; le fait que cette famille soit juive n'est pas un obstacle.

Certaines femmes sont instruites et pas seulement celles destinées à la vie de moniale. La reine Judith (800-843), la mère du roi Charles le Chauve, est connue pour intelligence, son érudition et son talent musical. Dhuoda (800-843), l'épouse du marquis de Septimanie, écrit en latin, vers 835, le premier ouvrage de pédagogie existant qui était destiné à son fils Guillaume.
Mais les mœurs restent rudes, ainsi le roi Charles le Chauve fait-il énucléer son fils rebelle.


Aristote au Mont-Saint-Michel, Gouguenheim, Seuil.
 
LE LIBRE ARBITRE NUIT-IL À LA TOUTE PUISSANCE D'ALLAH ?

L'islam est divisé entre sunnites (fidèles au calife), chiites (fidèles à Ali) et Kharidjites (bédouins rebelles au pouvoir centralisé).

Au sein du sunnisme, des questions théologiques se posent.
Certains préfèrent les résoudre par la théologie et la philosophie, plutôt que par la guerre entre musulmans. Leur chef emblématique est Wassil ibn Ata, un marchand de Basra, né en 700. Le kalam, la théologie spéculative, apparaît et s'approprie la logique et la philosophie grecque.

La question du libre arbitre se pose. Dieu décide-t-Il de chaque acte humain ?
Un hadith rapporté plus tard par Abu Dawud (817-888) dit : « ce que Dieu veut est et ce que Dieu ne veut pas n'est pas ». Cela deviendra la position du sunnisme : tout événement terrestre vient de Dieu. Mais Wassil, lui, n'image pas que Dieu puisse conduire un homme à mal agir. Pour lui, l'homme agit de son propre chef. L'omnipotence de Dieu consiste alors à connaître à l'avance ce que chacun va choisir librement. Wassil envoie des missionnaires dans tout l'empire puis meurt en 748, à la veille de la révolution abbasside. De son mouvement naîtra le mutazilisme.

Plusieurs doctrines coexistent. La zandaqa recouvrent un ensemble de doctrines considérées comme déviantes par le pouvoir. Les zinqui sont leurs promoteurs.

Le terme zandaqa apparaît en 742 quand Al-Jad ibn Dirham est crucifié sous le califat d'Hisham. Il avait affirmé que le Coran était créé. Les qadariya étaient, eux, les partisans du libre arbitre. Pour asseoir son pouvoir absolu, le calife avait besoin que chacun de ses actes soient considérés comme d'origine divine, les qudariya sont donc déclarés hérétiques, ou zinqui. En 757, le moraliste ibb Muqaffa est exécuté dans des conditions atroces.

Le calife al-Mahdi règne de 775 à 785. Il institutionnalise la persécution.
En 779, il crée la fonction de grand inquisiteur. Dans tout l'empire, des fonctionnaires d'état, les Sahib-al-Zanadiqa, exécutent, décapitent et écartèlent des chiites et des musulmans hérétiques. À Alep, les opposants politiques sont pendus et leurs livres lacérés. Les manichéens, très nombreux, sont persécutés, ils disparaîtront en quelques siècles. En 784, des poètes sont exécutés, Bashshar ibn Burd et Sali ibn ‘Abd al-Quddus.

Mais, le calife al-Mahdi s’appuie également sur un travail théologique et demande que soit élaboré un argumentaire contre le manichéisme et le zoroastrisme. Il fait introduire dans la cérémonie d’investiture des Califes un nouveau devoir. Le Calife s'engage « à combattre l’hétérodoxie (qui inclut l’athéisme) et la zandaqa ».
Un débat l'oppose avec Timothée Ier (780-823), patriarche des Syriens nestoriens. Al-Mahdi, reprenant la fausse prophétie juive du siècle précédent, demande à Timothée qui est l’homme monté sur un âne et qui est celui monté sur un chameau. Jésus serait le prophète venant sur un âne, (Lc 19-35, Jn 12-14) et Mahomet celui venant sur un chameau (Bukhâri 66, 59). Timothée refuse de surinterpréter le livre d'Isaïe (Is 21-7). Il trouve dans le Livre de Daniel la métaphore des empires désignés par des noms d’animaux. L’homme sur l’âne serait Darius le Mède, fils d’Assuérus, et l’homme sur le chameau, Cyrus le Perse.

Entre philosophie et répression, entre dialogue et intolérance, l’islam naissant hésite.

Islam, p 855, Lewis, Gallimard.
 
LE MUTAZILISME.

De 786 à 809, règne Harun al-rachid, 5e calife abbasside,
celui du conte des Mille et une nuits. Il sera le premier calife à ne pas assurer lui-même la direction de la Khutba, la prière du vendredi. En arrivant au pouvoir, il déclare une amnistie générale dont les zinqui, les hérétiques, sont exclus. Les persécutions se poursuivent sur fond de querelles de pouvoir. Il fait exécuter son vizir et sa famille. Son empire est fragilisé sur ses frontières. À l'ouest, la première dynastie marocaine émerge ; à l'est, les byzantins refusent de payer tribut. Al-rachid pille les monastères, pourtant pacifiques, en guerroyant contre l'empire byzantin.

Néanmoins le sunnisme n'est pas encore fixé. Le mutazilisme gagne du terrain. Pour les mutazilistes, la croyance en un Coran incréé, existant depuis toute éternité auprès de Dieu, revient à diviniser le Coran et contredit la croyance en l’unité de Dieu. Le mutazilisme croit également en le libre arbitre de l'homme. Allah ne pouvant inspirer aux hommes de mal agir, ce sont, eux, qui, librement, choisissent le mal. La Toute Puissance d'Allah consiste, alors, à savoir à l'avance ce que les hommes feront.

En 813, le Calife al Mamun (813-833) succède à al-Rachid. Il adhère à la doctrine mutazilite.
Il crée un tribunal religieux, la minha, pour condamner les tenants d’un Coran incréé. Ahmad ibn Hanbad (mort en 855) est flagellé et emprisonné. Le Cadi de Damas, Mishar al Ghassani, est torturé à mort, d'autres moururent en prison (Abu Yakub Yousouf). La répression discrédite le mutazilisme qui persiste néanmoins sous les deux califes suivants.

Les Maisons de la Sagesse, bayt al-ḥikma (بيت الحكمة).
Le Calife al Mamun ne divinise pas le Coran. La vérité n'est pas close dans le Coran, elle peut donc être recherchée.
Il crée les Maisons de la Sagesse à Bagdad en 832. Elles servent de bibliothèques et préservent les ouvrages de toutes les cultures, perses, indiennes et surtout grecques.
Les Maisons de la Sagesse sont des centres de traduction. Les musulmans n'apprirent jamais le grec, ni Avicenne ni Averroès ne le savaient. Toutes les traductions en arabe des ouvrages grecs furent faites par des chrétiens et des juifs : Masarjawayh (né en 636), Hunayn ibn Ishaq (809-873), Qusta ibn Luqua, Istifan ibn Basil, Jean Mésué (776-855), Théodore Abu Qurra (836-901), Théophile d'Edesse, Yahya ibn al-Batriq, Masa'allah (mort en 815)... Les chrétiens sabéens de Harran traduisirent les ouvrages de mathématiques, les chrétiens nestoriens, ceux de philosophie, les chrétiens melkites, nestoriens ou monophysites, ceux de médecine. Les monastères byzantins et romains conservaient en occident chrétien le savoir grec, les savants chrétiens et juifs le transmirent aux musulmans par leurs traductions en arabe.
Les Maison de la Sagesse sont également des centres d'étude philosophique ouverts aux différentes religions : on y discute à partir des apports de la philosophie grecque et persane.

Néanmoins la « Politique» d'Aristote ne sera jamais traduite en arabe. Elle est incompatible avec l'état musulman qui regroupe politique, religion et droit. Aristote annonçait dans la « Politique », le concept de citoyenneté, incompatible avec la soumission musulmane et la réunion de tous les pouvoirs entre les mains du Calife.

« Aristote au Mont-Saint-Michel », chap. II, Gouguenheim, Seuil, 2008.
 
LES MATHÉMATIQUES N'ONT NI FRONTIÈRE NI RELIGION.

À partir de -3200, l’Égypte et la Mésopotamie mettent en place, au même moment, les bases du calcul. Leurs connaissances ne fusionnent pas.
Les égyptiens fonctionnent en base décimale sans le zéro et la Mésopotamie en base 60. Le concept de zéro est néanmoins connu plusieurs siècles avant notre ère. Le zéro est signifié par un espace vide et n'est pas nommé.
Les égyptiens pratiquent les fractions avec génie. Leurs connaissances mathématiques sont concrètes, en lien avec l'architecture et ses volumes. Le calcul précis des surfaces est, par ailleurs, utile à l'imposition foncière. Les mathématiques en Mésopotamie sont plus théoriques et vont jusqu'au calcul astronomique.

Les grecs, en l’Égypte, mettent en théorème les acquis empiriques du calcul égyptien. La légende veut que Thalès, au Ve siècle avant JC, établisse le théorème qui porte son nom en observant son ombre rapportée à celle d'une pyramide. Plutarque (50-125) écrit : « Les plus sages d'entre les Grecs, Solon, Thalès, Platon, Euxode, Pythagore voyagèrent en Égypte et y conférèrent avec les prêtres du pays. On dit... que Pythagore fut instruit par Enuphis l'Héliopolitain. ».

Au IXe siècle, sous le règne du calife 'Al-Ma’mūn (813-833), les Maisons de la Sagesse permettent l'épanouissement des mathématiciens.
Al-Khawarizmi
(783-850), né à Khiva (dans l'actuel Ouzbékistan), de parents perses, est mathématicien, géographe, astrologue et astronome. Il termine sa vie à Bagdad au sein de la Maison de la Sagesse. Il travaille à partir des travaux de Diophante d'Alexandrie et écrit sur la résolution des équations : il est surnommé « le père de l'algèbre » grâce à son ouvrage le kitābu 'l-mukhtaṣar fī ḥisābi 'l-jabr wa'l-muqābalah (كتاب المختصر في حساب الجبر والمقابلة). Ce livre ne contient aucun chiffre, chaque notion mathématique est exprimée en toutes lettres. Il écrit sur les mathématiques indiennes et s'approprie leurs chiffres qui deviennent les chiffres dits arabes. Le mot « algorithme » est inspiré de son nom.

Au IXe siècle, les trois frères Banu Musa sont protégés par le Calife Al-Ma’mūn. Mathématiciens, ils écrivent un livre sur la mesure des figures planes et sphériques, qui sera traduit en latin au XIIe siècle. Leurs innovations en mécanique se retrouvent dans leur Livre des procédés ingénieux. L’aîné, Muhammad Banu Musa, sympathise avec
Théodore Abu Qurra (836-901), un sabéen. Il écrit 34 livres de mathématiques, 30 d'astronomie, 5 de météorologie et 8 d'astrologie. Il traduit des ouvrages de Ptolémée, d'Archimède et d’Euclide. Il met au point le premier théorème sur les nombres amiables, il calcule l'intégrale de la fonction « racine de x », il progresse en calcul infinitésimal et dans le calcul de la surface des paraboloïdes.
Banu Musa et Abu Qurra fondent ensemble une école, sans que leurs différences religieuses ne soient un obstacle à leur amitié.

Les chiffres indiens, en particulier le zéro, la numération décimale, l'algèbre, passeront à l’occident par l’entremise de la dynastie omeyyade de Cordoue.

La science n'a pas de frontière et, en particulier, pas de frontière religieuse.

Au IXe siècle, grâce au foisonnement des apports internationaux, la capitale des mathématiques est Bagdad.

Ensuite, les mathématiques cesseront d'être un domaine d'excellence arabo-musulmane.
 
LA MÉDECINE N'A PAS DE RELIGION : OBSERVER LA NATURE OU SE SOUMETTRE À UNE VÉRITÉ DE FOI RÉVÉLÉE ?

Le premier écrit arabe de médecine est une traduction d'un traité de médecine grecque, le Kunnash d'Ahrun, réalisée par un médecin juif, Masarjawayh
qui soignait le calife alb al Malik (715-717).

Jusqu'au XIe siècle, les médecins des califes abbassides sont chrétiens nestoriens, jacobites ou sabéens. Ils créent des écoles liées à des couvents où sont enseignées la philosophie, la médecine et la théologie.

À Bagdad, Yuhannaibn Masawayh (aussi appelé Jean Mésué (776-785)) est un médecin nestorien, donc chrétien. Il se voit interdire la pratique de la dissection par les califes et les juristes au nom de la fiqh.

En 806, le premier hôpital musulman est fondé par Al-Rachid ; il est confié à un médecin nestorien, Jibra'il ibn Bakhtîshu. Sa famille y règne pendant 8 générations.

Un autre savant nestorien, Hunayn ibn Ishaq (Johannitius), se rend célèbre en guérissant le calife Al-Mutawakkil (847-861). Il écrit une centaine d'ouvrages de philosophie et de médecine et traduit l'intégralité d'Aristote : il parlait arabe, grec et syriaque. Ses travaux en ophtalmologie (l'opération de la cataracte) et en soins dentaires seront repris par al Rhazi, son élève. Avicenne, dans son Canon, emprunte ses découvertes sans le citer, pratique usuelle avant les lois sur les droits d'auteur.

Al-Razi, ou Rhazes (865-932), est un persan musulman. Il se forme auprès du savoir grec, nestorien et syriaque. Il innove de façon remarquable en confrontant ses connaissances théoriques avec la réalité et l'examen du malade : « tout ce qui est écrit dans les livres ne vaut pas l’expérience ». Il écrit une encyclopédie médicale en 22 volumes, basée sur l’observation qui sera transmise à la chrétienté par la traduction de Gérard de Crémone (1150-1187). Sa foi est teintée de scepticisme, ce qui nuit à son influence. Il enseigne au chevet du malade dans la première école de médecine du monde musulman à Bagdad. Une école de médecine musulmane aurait pu naître de son pragmatisme et de son sens de l'observation, cela n'a pas eu lieu.

Avicenne (980-1037) est né à Boukhara. C'est un chiite formé par l'apprentissage du Coran. Mathématicien, philosophe et médecin, il travaille pour plusieurs princes.
Il étudie et compile les écrits grecs. Dans son Canon (ou Qanûn), il résume les connaissances médicales mais n'innove pas. Le Canon d'Avicenne est traduit en latin par Gérard de Crémone et sert de base à l'enseignement de la médecine en terre chrétienne jusqu'au XVIIIe siècle. Le plus ancien exemplaire connu du Canon, daté de 1052, est conservé au musée de l'Aga Khan à Toronto.

En Espagne, au Xe siècle, Al-Harrami, un sabéen originaire de Bagdad, crée une école de médecine à Tolède. Des juifs et des chrétiens nestoriens y exercent la médecine.
Avenzoar (1091-1162), un musulman, décrit les drogues et la pharmacopée. Il écrit sur la trachéotomie. À partir du XIIe siècle, des médecins musulmans pratiqueront aux côtés des juifs et des chrétiens mais ils seront considérés par leurs frères en religion comme des médecins de second ordre.

Aucune école de médecine autonome, affranchie de l'étude préalable de la théologie ou de la philosophie ne naîtra en terre musulmane. L'étude au chevet du malade préconisée par Al-Razi reste une expérience sans suite. Les études coraniques resteront le préalable à toutes sciences.
 
848, FIN DU MUTAZILISME, TRIOMPHE DU SUNNISME : LE LIBRE ARBITRE EST UNE ENTORSE À LA TOUTE PUISSANCE DE DIEU, LE CORAN EST INCRÉÉ.

Le calife Al-Mutawakil (848-860) déclare le mutazilisme hérétique. En effet, le Coran dit être incréé
: « Ha. Mim. Par le Livre clair ! Oui, nous en avons fait un Coran arabe !... Il existe auprès de nous, sublime et sage, dans la Mère du Livre. » (S. 43-1-4). Le Coran aurait donc existé près d'Allah avant sa révélation à Mahomet.
Le Coran affirme aussi la Toute-puissance d'Allah, qui décide de tout sur terre, bien et mal : S. 4-78 : « Dis : « Tout vient de Dieu. » ». Le Coran précise également que Allah sait à l'avance ce que l'homme va choisir : « Nulle calamité n’atteint la terre ni vous-même, sans que cela ne soit écrit dans un Livre, avant même que d’être créé. » (S. 57-22).

Le sunnisme hésite entre deux conceptions de la Toute puissance divine. Soit Allah choisit tous les futurs possibles de l'homme. L'homme exerce son choix entre des possibilités acceptées d'avance par Allah. Ma'bad al-Juhani, à la fin du VIIe siècle, avait ainsi établi les limites du libre arbitre.
Soit l'homme subit la volonté divine, dans chaque circonstances, bonnes ou mauvaises, et dans chacune de ses actions. C'est l'école acharite. Tout ce qui se passe dans le monde, le bien comme le mal, y compris les actes humains, est conforme à la volonté divine. Il s'agit de la prédestination. Même si on observe que les humains ont une volonté, en fait, ils n'agiraient qu'en conformité avec ce que Allah a choisi. La volonté humaine serait dépendante de la volonté de Dieu, selon le hadith d'Abu Dawud : « Ce que Dieu veut est, et ce que Dieu ne veut pas n'est pas. ».

La complexité du sujet se résout avec l'habituelle sémantique coranique, on ne discute pas :
S. 58-8 : « Ne vois-tu pas ceux à qui les conversations secrètes ont été interdites ? Puis, ils retournent à ce qui leur a été interdit, et se concertent pour pécher, transgresser et désobéir au Messager ».

Pour le chiisme, « Ni contrainte, ni libre arbitre total, la vérité se trouve entre les deux extrêmes ». Cette Voie Intermédiaire (Amrun Bayn-al-Amrayn) est complexe, il est donc admis qu'elle ne puisse être comprise de tous !

L’illusion que la transmission orale est parfaite ; que le Coran terrestre est fidèle au Coran céleste incréé, que les hadiths sont conformes aux paroles du Prophète, devient la foi officielle. Les mutakalanim prennent le relais des mutazilites. Ils pratiquent le « Kalâm », la science de la proclamation de l’unité divine.
Du Kalâm, naîtra l’acharisme, qui pense que Allah crée tout, bien et mal que la Loi permet de distinguer. Allah ne doit pas être interrogé sur ce qu’Il fait. Le Kâlam engendre aussi le maturidisme, qui insiste sur l’intelligence plus que sur la volonté divine. Les 4 écoles théologiques sunnites naissent de ces deux courants. Elles pratiquent l'Ijtihad, l'effort de compréhension et d’interprétation de la Sunna et du Coran, à la base de toute la jurisprudence. Elles sont dénommées en fonction de leurs fondateurs, Abu Hanifa (702-767) pour le hanafisme, Malik ibn Anas (708-796) pour le malékisme, al-Chafi'i (767-820) pour le chaféisme et Ahmad ibn Hanbal (780-855) pour le hanbalisme.

Al-Mutawakkil persécute les mutazilites, les juifs, les chrétiens et les chiites. Il rase églises et synagogues.
 
PRÉDESTINATION DE L'HOMME OU PRESCIENCE DE DIEU ? LES CHRÉTIENS S’INTERROGENT.

Est-on sauvé par la grâce ou par les œuvres ?
Paul affirme dans Éphésiens 2-8 : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. » ou Galates 2-16 et Romains 3-28.
Pierre, dans sa 1er épitre, et Jacques 2-24 suggèrent que les œuvres sont nécessaires au salut : « Vous voyez qu’un homme est justifié par les œuvres et non par la foi seulement ».
La synthèse se trouve dans 1 Jean 4-22 : « Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, ne saurait aimer Dieu qu'il ne voit pas. ».
C'est la grâce de Dieu qui sauve l'homme qui l'accepte par la foi ou la refuse librement. Les œuvres de l'homme ne le sauvent pas mais manifestent sa foi en Dieu.

Les théologiens de la renaissance carolingienne réfléchissent au salut :
Loup de Ferrières (805-862),
le précepteur du futur roi Charles le Chauve, prend part à la discussion théologique sur la prédestination, la liberté de pensée et la rédemption dans De tribus quaestionibus.
Au Concile du Quierzy en 849, Godescalc est condamné. Il pensait que certains étaient prédestinés au salut. Selon lui, Dieu sait, mais aussi choisit, qui est sauvé et qui est damné. Sa position refusait à l'homme son libre-arbitre.
Hincmar, l'archevêque de Reins de 845 à 882, est conseiller de Charles le Chauve. Il est convaincu que la prescience de Dieu supplante la prédestination. Dieu d'avance sait ce que l'homme va choisir, mais Il ne le destine pas Lui-même à cet avenir : l'homme choisit librement. Sa thèse est critiquée au concile de Valence en 855.

Cette ambiguïté théologique continuera à travailler la chrétienté. Les protestants opteront initialement pour le salut par les œuvres et pour la prédestination. Mais, dernièrement, ils ont adopté la notion de salut par la grâce. En 1999, l'Église catholique a signé avec les luthériens et les méthodistes, la Déclaration commune sur la justification par la foi : « Nous confessons ensemble que la personne humaine est, pour son salut, entièrement dépendante de la grâce salvatrice de Dieu ».
Le Christianisme n'est pas une orthopraxie, comme l'étaient les mouvements gnostiques, ou comme l'est l'islam. Le salut par la grâce est la base du christianisme. Dieu, dans son amour, sauve l'homme, qui répond à cet amour selon son libre choix.

Le libre arbitre de l'homme avait déjà été affirmé par Saint Augustin d'Hippone (354-430) puisque Dieu n'est pas l'auteur du mal.

Saint Augustin affirme que l'homme exerce son libre arbitre, choisissant d’accueillir ou non la grâce salvatrice de Dieu. Dans De libero arbitrio, il affirme que « Dieu a conféré à sa créature, avec le libre arbitre, la capacité de mal agir, et par-là même, la responsabilité du péché ».

Au moment où l'islam hésite entre mutazilisme et sunnisme, entre libre arbitre et prédestination, la chrétienté est parcourue par le même débat. La réponse de la chrétienté sera différente :
La Toute Puissance de Yahvé consiste à connaître à l'avance ce que l'homme choisira librement, le bien ou le mal, selon l'expression de son libre arbitre. Dieu sait qui sera sauvé, mais Il ne condamne personne à l'avance. Dieu a la prescience de qui sera sauvé, mais Il ne prédestine personne à l'être.
 
LA DHIMMA AUX PREMIERS SIÈCLES DE L'ISLAM.

La dhimma est une relation contractuelle ne pouvant être violée en raison de son origine coranique.
Ces traités protègent les monothéistes non musulmans, juifs, chrétiens et sabéens, au prix d’impôts spéciaux et d'humilité. Ainsi jusqu’au XIXe siècle, au Maroc, les juifs ne pourront-ils sortir des quartiers réservés (mellah) que pieds nus ou avec des sandales de paille tressée. Les autres religions sont interdites, ainsi que l'apostasie de l'islam.

Des écrits anciens portent témoignage des relations entre musulmans et dhimmi :
- Une lettre attribuée à al-Awza’i,
juriste musulman mort en 774, reproche au gouverneur du Liban, de s’être livré à des représailles aveugles sur les chrétiens du mont Liban, pourtant protégés par la dhimma.

- En 850, les dhimmis sont chassés de l'administration par le calife abbasside al-Mutawakkil (847-861) : « ne recherchez plus l’aide d’aucun polythéiste et ramenez les gens des religions protégées au rang que Dieu leur a assigné… Qu’il ne vienne pas aux oreilles du Commandeur des Croyants que vous ou l’un quelconque de vos fonctionnaires se fait aider par un homme des religions protégées dans les affaires de l’Islam. » (Al-Qalqashandi, Subh…,op.cit, XIII, p.369; trad. anglaise dans Lewis. Islam..,op. cit, II, pp. 225-226.).

- L'invention du port de vêtements spécifiques.
Le Calife al-Mutawakhil, à nouveau, « oblige les chrétiens, et plus généralement tous les dhimmi, à porter des capuchons et des ceintures couleur de miel ; à utiliser des selles équipées d’étriers en bois prolongées par deux boules à l’arrière ; à attacher deux boutons à leurs chapeaux, s’ils en portaient un, et que ceux-ci soient d’une couleur différente de ceux portés par les musulmans ; à coudre deux pièces de tissu de couleur de miel aux vêtements de leurs esclaves... Quand à leurs femmes, elles ne peuvent sortir de chez elles que la tête recouverte d’un fichu de cette même couleur... Il donne également l’ordre de raser toutes les églises nouvellement érigées et de confisquer le dixième de leurs propriétés. Si l’endroit est suffisamment vaste, il doit être transformé en mosquée… Il donne l’ordre de clouer aux portes de leurs maisons des images de démons taillées dans le bois, afin qu’on puisse les distinguer des demeures musulmanes. Il interdit leur recrutement à des postes administratifs ou officiels, d’où ils auraient exercer un pouvoir sur les musulmans. Il interdit à leurs enfants de fréquenter les écoles musulmanes et à tout musulman de leur servir de maître ou de précepteur. Il interdit l’exhibition de croix les dimanches des Rameaux et la pratique de la religion juive sur la voie publique. Il ordonne que leurs tombes soient nivelées au ras du sol, afin qu’elles ne soient pas confondues avec celles des musulmans. » (Al Tabarî, Ta’rikh al-Rasul wa’l Muluk, III, éd. M.J. de Goeje et al.Leyde, 1879-1901, pp. 1389-1390.).

- Au début XIe siècle, le Calife fatimide al-Zahir réaffirme le droit des chrétiens et des juifs à garder leur religion. Néanmoins ceux qui se sont convertis à l’Islam, même sous la contrainte, ne peuvent plus retourner « à leurs anciens errements » (Yahya al-Ankaki, Annales, éd. L. Cheikho, B.Carra de Vaux, dans Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, Scriptores Arabici, 3è série, VII, Paris, 1909, pp. 235-236).
 
AU IXe SIÈCLE, LES CHRÉTIENS S'INSPIRENT DE L'ISLAM ET S'APPROPRIENT L’IDÉE DE GUERRE SAINTE. LA SICILE ET ROME.

Les musulmans continuent leurs guerres de conquête.
On est loin de la guerre de légitime défense que certains musulmans jugent, de nos jours, la seule préconisée par le Coran.
Au cœur de la dynastie musulmane, le pouvoir est disputé. Des émirat éloignés de Bagdad se fondent, mais restent soumis au Califat : les Rustâmides à Tahart et les Idrîssides à Fès. En Tunisie actuelle, la dynastie aghlabide est en proie aux dissensions internes. L'émir aghlabide, Ziyadat Allâh 1er, rénove la grande mosquée de Kairouan et fortifie la région.
Puis en 825, il saisit l’occasion de la trahison du commandant byzantin Euphémius pour exporter la violence vers la Sicile. Révolté contre le pouvoir byzantin, Euphémius appelle les aghlabides à l'aide, comme le wisigoth Julian avait appelé Tariq à l'aide en 711, faisant le lit à la conquête musulmane de l'Espagne.
En 825, la conquête de la Sicile débute, les siciliens fuient devant l'avancée arabe et se réfugient en Italie, y transférant leur ouvrages antiques grecs.

Rapidement, les aghlabides sont suffisamment implantés en Sicile pour lancer des raids vers l'Italie. En 846, 73 bateaux chargés de 10 000 musulmans prennent Ostie et remontent le Tibre pour attaquer Rome. La basilique Saint Pierre et la Basilique Saint Paul sont pillées en 846. Pendant deux ans, le pape doit payer tribut. Un petit émirat musulman est fondé en Italie du sud, à Bari, en 847.

En 848, le premier appel à la Croisade est lancé lors d'un synode réuni en France. Rome a été pillée et le pape est soumis à tribut. Il a fallu que la chrétienté soit attaquée en son cœur pour que la notion de guerre sainte apparaisse. Les souverains chrétiens sont appelés à lutter contre « les ennemis du Christ ». Le pape Léon IV promet le paradis aux soldats qui seront tués en luttant contre les musulmans. Il reprend l'idée de la guerre sainte apparue pour la première fois dans le Coran. En 849, la flotte chrétienne bat la flotte musulmane devant Ostie, l'empire musulman ne s'étendra pas plus au nord. Seul le sud de l’Italie, de 882 à 915, connaîtra des razzias et quelques colonies musulmanes s'y implanteront. Des monastères seront pillés, celui du Mont Cassin et celui de Farfa en 883 et les moines de Saint-Vincent au Vulturne seront égorgés en 881.

En 896, les byzantins renoncent à défendre la Sicile et abandonnent les siciliens à leur propres forces. Ils continueront à lutter pendant un siècle. En 965, Rametta est la dernière ville sicilienne à se rendre au pouvoir musulman. En 982, l'empereur germanique Otton II, soutenu par le pape, échoue à reprendre l’île.

À partir de 908, la révolte ismaélienne gagne la Tunisie. La dynastie Fatimide d'inspiration chiite s'y implante. Elle conquiert l’Égypte. En Sicile, le pouvoir musulman se déchire entre sunnites et fatimides. Malgré cet état de guerre permanent, la Sicile s'enrichit grâce au commence avec le Dâr al-Islâm, le pays de l'islam, auquel elle appartient désormais. Des arabes et des berbères colonisent l’île. À partir de 999, les premiers normands s'y installent. Au XIe siècle, ils reprendront l'île aux musulmans avec l'aide de la population chrétienne.

L'arabe y gardera une place culturelle importante. Les derniers musulmans disparaîtront de Sicile au XIVe siècle.
 
L'ESCLAVAGE EST LÉGITIMÉ PAR LE CORAN PUIS PAR LA MALÉDICTION DE CHAM.

Dans la Bible, Canaan, le fils de Cham, fils de Noé, n'est pas noir
(Gn 9-1-27). La Bible punit le racisme. Ainsi, Myriam, la sœur de Moïse, devient-elle lépreuse (blanche livide) pour avoir critiquée la femme noire de Moïse (Nb 12-10). Le Cantique 1-5 dit : « Je suis noire et belle ».
C'est le Talmud qui parle de la réduction en esclavage de Cham mais sans dire qu'il est devenu noir.

C'est un écrit musulman qui signale pour la première fois que les esclaves de Canaan dont devenus noirs. Ibn Qutayba (828-889) écrit : « Wahb ibn Munabbih a dit : « Ham, le fils de Noé, était un homme blanc, beau de visage et de stature, et Dieu tout puissant changea sa couleur et celle de ses descendants en réponse à la malédiction de son père. Il partit, suivi de ses fils, et ils s’installèrent près du rivage où Dieu les multiplia. Ce sont les noirs.» ». Il dira avoir trouvé cette idée dans un écrit totalement inconnu de Saint Éphraïm (mort en 373) « Maudit soit Canaan et que Dieu rendre noir son visage ».

Le Coran ne note pas de différence entre les hommes selon la couleur, il n'est donc pas raciste, même s'il légitime l’esclavage. Un seul verset signale la supériorité du blanc, mais il s'agit d'un symbole. S. 3-102 : « Au jour où certains visages s’éclaireront tandis que d’autres visages seront noirs. On dira à ceux dont les visages seront noirs : « Avez-vous été incrédules après avoir eu la foi ? ».

Un hadith attribué à Mahomet conseille à propos des esclaves : « Crains Dieu, regardant ceux que tu possèdes. Nourris-les comme tu te nourris, habille-les comme tu t’habilles, et ne leur assigne pas des tâches au-dessus de leurs forces. Ceux que tu aimes, garde-les ; ceux que tu n’aimes pas, vends-les. Ne tourmente pas les créatures de Dieu. Dieu t’a fait leur possesseur ; et, s’Il l’avait voulu, Il aurait pu faire qu’ils te possédassent. ».

De 869 à 881, les Zandj, les esclaves noirs d’Arabie, se révoltent et conquièrent plusieurs villes.

En 982, un traité perse de géographie décrit différentes catégories d'esclaves :
- Les Zang : « leur nature est celle des animaux sauvages. Ils sont extrêmement noirs ».
- Les Zabaj : « Les habitants de ce pays sont tous comme les Zanj, mais plus proches de l’humanité ».
- Les Sudan : « la plupart vont tout nus. Les marchands égyptiens leur apportent du sel, du verre et du plomb ... Les marchands leur volent leurs enfants et les emmènent avec eux. Puis ils les castrent, les importent en Égypte ».

Idrisi (1110-1165) raconte : « Les Zanj redoutent fort les Arabes... Ceux qui voyagent dans leurs pays volent leurs enfants grâce aux dattes ; ils les attirent avec des dattes et les conduisent de place en place jusqu’à ce qu’ils puissent s’en saisir, les sortir du pays et les transporter chez eux. Le chef de l’île de Kich, dans la mer d’Oman, lançait des expéditions en bateau vers le pays des Zanj, où il faisait de nombreux captifs. ». Idrisi note que les marchands marocains de Takrur « apportent du bois, du cuivre et de la verroterie, et remportent des minerais d’or et des esclaves castrés ».

Les musulmans inventèrent donc la malédiction de Cham pour renforcer la légitimité de l’esclavage des noirs et leur ôter une part d'humanité.

« Islam », Lewis, Gallimard, 2005.
 
L'ESCLAVAGE EN TERRE CHRÉTIENNE AU MOYEN-ÂGE.

Constantin, en devenant chrétien, édicte les premières lois qui favorisent l'affranchissement des esclaves, mais il n'abolit pas l'esclavage.

Les invasions barbares en relancent la pratique.
Les vaincus, en particulier les paysans, sont considérés comme esclaves. De nombreux évêques vendent leurs biens pour racheter des esclaves, mais cela reste des mesures individuelles. Deogratias, l'évêque de Carthage mort en 458, rachète des captifs aux Vandales ; Épiphane, l'évêque de Pavie mort en 496, en rachète aux lombards.

Clovis, le roi des francs, se convertit au christianisme. En 482, Rémi, l’évêque de Reims, lui écrit : «Toutes les richesses de vos ancêtres, vous les emploierez à la libération des captifs et au rachat des esclaves. ». Cela reste un pieux conseil, les Francs pratiquant l'esclavage malgré leur conversion.

Les conciles de l’Église.
En 511, le concile d’Orléans précise que l’esclave en fuite ne sera rendu à son maître que si celui-ci renonce à le punir. Un esclave ordonné prêtre ou diacre, sans l'accord de son maître, est libéré d’office. L’évêque est tenu de dédommager son maître.

En 524, les Conciles de Lyon interdisent de réduire en esclavage un homme libre, sous peine d'excommunication.

En 581, le premier concile de Mâcon, sous l’égide du roi Gontran, décide que chaque esclave chrétien peut être racheté pour douze sous. Mais en 585, la famine sévit en Gaule et les pauvres acceptent d'être réduits en esclavage contre de la nourriture.

Le pape Grégoire I le Grand (590-604) affranchit ses propres esclaves. Aulus, évêque de Viviers en Ardèche, Domnus, l'évêque de Vienne sur le Rhône, Valentinien, l'évêque de Coire en Suisse, ou Germain, l'évêque de Paris, rachètent et libèrent des esclaves.

Les rois légifèrent.
La position des hommes d’Église, pour respectable quelle soit, n'a pas changé les lois humaines sur l'esclavage.
- Bathilde (630-680), la veuve de Clovis II, devient régente du royaume. Ancienne esclave, elle interdit par la loi la vente et l'achat des esclaves, mais sans affranchir les esclaves existants. Bathilde est la première à légiférer contre l'esclavage en Europe.
Les esclaves deviendront peu à peu des serfs,
attachés à leur terre de naissance, certes, mais ne pouvant être vendus comme des objets.
- En 1006, Henri II et la reine Cunégonde interdisent les marchés aux esclaves dans le Saint-Empire-Romain-Germanique.
- En 1066, avec la conquête normande de l'Angleterre, l'esclavage saxon y est aboli.

Les chrétiens, en particulier les vénitiens, n'hésitent pas réduire en esclavage des peuples restés païens et à les vendre aux abbassides. À Constantinople, la castration des hommes réduits en esclavage est habituelle.
En 1100, les slavons se convertissent au christianisme : ils cessent d’être capturés par les vénitiens.

Le 3 juillet 1315, le roi de France Louis X édicte que « selon le droit de nature, chacun doit naître franc ». Depuis lors « le sol de France affranchit l'esclave qui le touche».

En Europe, la foi chrétienne a conduit à supprimer progressivement l'esclavage au Moyen-âge. Mais le désir de lucre des hommes en a ressuscité la pratique. Pour se disculper face à l’Église, les esclavagistes penseront, à partir du XVIe siècle, que les noirs sont inférieurs aux blancs.
 
LA SIRA OU BIOGRAPHIE DE MAHOMET EST RÉDIGÉE AU DÉBUT DU IXe SIÈCLE.

Le théologien du XIIIe siècle, Ibn Khalikân,
(Wafayât, III, 177) raconte qu'Ibn Hishâm (mort en 830) « résuma les « Expéditions militaires » et les « Gestes exemplaires » écrits par d'Ibn Is'hâq ». Cette biographie tardive de Mahomet d'bn Hishâm est devenue officielle dans le sunnisme, même, si son inspirateur, Ibn Is'hâq (mort en 768), est qualifié par Ibn Khalikân d'imposteur et de « transmettre à partir des juifs et des chrétiens ».

Mahomet se procure de l'argent :
-Les razzias qui permettent aux exilés de survivre à Médine, sont racontées sans fausse pudeur par la Sira. Zayd ibn Haritha est envoyé par le Prophète à l'oasis de Qarada pour s'emparer d'une caravane des Banu Bakr, il rapporte les bêtes et leurs chargements au Prophète (Sira Il 50 -51).
-Sîra, II, 47-50 raconte comment des Qaynuqâ, des membres de la première des trois tribus juives de Médine, importunent une femme voilée, puis assassinent un musulman venant à son secours. Abdallah ibn Ubayy, le protecteur arabe de la tribu juive, négocie pour qu'ils sauvent leur vie en échange de 20% de leurs biens, versés à Mahomet. Le Coran n'avaient reproché aux Juifs qu'une divergence de doctrine.
-On a déjà vu comment la Sira raconte la torture de Kinanâ, un Nadir, de la seconde tribu juive de Médine, pour qu'il dise où est son trésor (Sira II, 136,137) et comment sa jeune veuve de 17 ans, Safiyya, est épousée par Mahomet le soir même (Sira II 636).

Mahomet fait tuer ceux qui s'opposent à lui verbalement :
-Mahomet menace les Mecquois qui s'opposent verbalement à lui : « Écoutez moi, hommes des Quraych, j'apporte le sabre par lequel vous mourrez égorgés ». (Sira 289-291).
-Après la victoire de Badr, le poète juif de Médine, ibn Al-Achraf, un homme âgé, critique Mahomet dans des poèmes et pousse les médinois à s'opposer à lui. Il est poignardé par les compagnons de Mahomet (Sira II 51-58).
- Les hommes Qurayza, de la troisième et dernière tribu juive de Médine, sont tués : « [Mahomet] décréta que les hommes seront tués » (Sira Il 239-240). La Sira II 244-245 raconte la répartition de leurs biens entre Mahomet, qui garde 20%, et ses compagnons.

Mahomet participe à la tuerie :
- « Le prophète ordonna de tuer Uqba qui lui demanda avant de mourir :- Mahomet, qui va nourrir mes petits enfants ?- Le feu, répondit-il. Ali lui trancha la tête. » (Sira 1643 646).
- « Le prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banû Qurayza et de les enfermer… ils étaient 600 à 700 hommes... ; et le prophète ne cessa de les égorger jusqu’à leur extermination totale. » (Sira II ; 240, 24).
- Huyavv, blessé et ligoté, est décapité par Mahomet (Sira II-241).

La Sira, avec les Hadiths et le Coran, forment la sunna, sur laquelle repose la foi musulmane, en particulier sunnite. Nul n'est musulman sans croire en la Sira. De nos jours, les musulmans apprennent une version édulcorée de la vie de leur Prophète. À mesure que les musulmans aspirent à la démocratie, Mahomet se pare de toutes les vertus : il est doux, pacifique, tolérant et miséricordieux. Les convertis à l'islam issus des pays chrétiens ont, en général, une vision de la vie du Prophète Mahomet qui n'a plus grand chose à voir avec ce qu'en dit la Sira.
 
AU IXe SIÈCLE, BUKHARI ET LES HADITHS.

Mohammed Ismaïl al-Bukhari (809-870) est un sunnite, né à Boukhara. À 6 ans, il sait le Coran par cœur.
Pendant 16 ans d'itinérance, il collecte 600 000 hadiths. Il retient ceux qu'il estime authentiques en fonction de la connaissance précise de leur « chaîne de transmetteurs » (isnad). C'est la liste des hommes qui, sur 250 ans, se sont transmis les paroles de Mahomet. Les exégètes non musulmans du XXe siècle ont analysé ces noms. La plupart sont des noms d'emprunt ou des nouveaux noms attribués à des convertis. Ils ne permettent pas de retrouver de généalogie certaine. Au Moyen-âge, les savants musulmans, n'ayant pas vu d'incohérence dans ces listes, ont conclu à l'authenticité des hadiths de Bukhari. Encore faudrait-il que le raisonnement initial soit correct ! En effet rien ne prouve qu'une transmission orale, en particulier sur deux siècles, soit exacte.

Le Coran a été récité dans un milieu tribal de nomades vivant de razzias, les abbassides sont devenus citadins : les hadiths permettent la nécessaire adaptation législative.

- L'obéissance due au Calife est exigée : « L'apôtre d'Allah a dit : Celui qui m'obéit obéit à Allah, et celui qui me désobéit, désobéit à Allah et celui qui obéit au chef que j'ai nommé, m'obéit, et celui qui lui désobéit, me désobéit. » (Bukhari 89, 251).
- Le travail est préférable aux razzias : « le Prophète d’Allah se nourrissait du fruit de son travail. ».
- Le vol est puni de mutilation, comme dans le Coran, mais une somme minimale est fixée : « Le Prophète a dit : La main doit être tranchée pour un vol au-dessus du quart d'un dinar. » (récit d'Aisha, Bukhari 81, 780-791). Le dinar a été frappé pour la première fois en 697. Mahomet est mort en 632.
- Comme dans le Coran (S. 4-89), « Celui qui change de religion, tuez-le. » (Bukhari, 9. I.84, n° 57).
- Mahomet voyage sur Bouraq (Bukhari 5, 58, 227), il bénéficie enfin de miracles. Il s'approprie les symboles chrétiens : « Mon exemple en comparaison aux autres prophètes avant moi, est celle d'un homme qui a construit une maison bien et admirablement, excepté un endroit d'une brique dans un coin. Les personnes vont autour et ils admirent sa beauté, mais disent : Quelle brique doit être mise dans son endroit ? Ainsi je suis cette brique et je suis le sceau des Prophètes. »» (Bukhari 20,21). En fait, l'image de la pierre d'angle est celle prise par le Christ pour affirmer sa primauté (Lc 20-17-18).

Le livre de Bukhari, le plus ancien parvenu jusqu'à nous, est à Berlin et date du XVe siècle. Il a été écrit par al-Badrani qui a recopié la reconstitution d'Alī al-Yūnīnī. Au XIIIe siècle, al-Yūnīnī avait restitué les hadiths de Bukhari à partir de quatre manuscrits et de trois traditions orales.

Abolhossein Muslim (816-876) a lui-aussi collecté des hadiths. Ils sont considérés, avec ceux de Bukhari, comme les plus authentiques, même s'ils ont été écrits 250 ans après la mort de Mahomet. Un corpus de hadiths antérieurs, donc plus proche de la vie de Mahomet, celui du Yéménite 'Abd-al-Razzâq, mort en 826, n'est pas autorisé par le sunnisme.

Bukhari est supposé avoir retenu par cœur 200 000 hadiths avec leurs isnad. Il est un bon exemple du type d'intelligence qu'admire et développe l'exégète sunnite. Il s'agit d'avoir une mémoire phénoménale, qui s'éduque par l'apprentissage par cœur du Coran.
 
AU Xe SIÈCLE, TABARÎ STRUCTURE L’EXÉGÈSE SUNNITE.

Tabarî (839-923) est un exégète du Coran et un historien sunnite. Il vit et travaille à Bagdad.

En 920, il écrit les « Annales des prophètes et des rois » qui racontent l'histoire du monde dans une perspective musulmane, puis il publie « Tafsir at-Tabarî », un commentaire du Coran en 3000 pages.

Des personnages secondaires de la Bible, que le Coran ignore, sont réintroduits dans la foi musulmane.
Canaan serait le fils de Noé, mort noyé (Ta’rîkh, I, 199). Le Coran ne l'avait pas nommé et Genèse 9 affirmait que Noé n’avait que trois fils, Sem, Cham et Japhet. En fait, Cannant est le petit fils de Noé dans la Genèse 9-18*.
Tabarî donne un 5ème fils à Noé : Abir. Dans Gn10-21, Eber est le fils de Sem, donc encore un petit fils de Noé*.
Les eaux du déluge sortent bouillantes du four d’Ève dont a hérité Noé (Ta’rikh, p.193-194), le personnage du mythe sumérien. La Kaaba et la Pierre noire sont soulevées vers le ciel pour échapper au déluge (Ta’rîkh, I, 193)*. Le sunnisme tend vers la mythologie.

Les mythes perses sont également relus pour les faire correspondre avec les personnages coraniques. Salomon est assimilé au prestigieux roi perse Feridoun. Al-Mas’ûdî (mort en 956), dans les « Prairies d’or », reprendra la même lecture*.

Tabarî se préoccupe le premier de retrouver une annonce de Mahomet dans la Bible :
- Dans Al-radd 'alà n-Nasârà (En réponse aux Chrétiens), il extrapole sur le Deutéronome
pour expliquer que Mahomet, descendant d'Ismaël, le frère d'Isaac, est le Prophète attendu du peuple élu. Dt 18-18-20 dit : « Je leur susciterai du milieu de leurs frères un Prophète semblable à toi [Moïse], Je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que Je lui commanderai ».
Tabarî ne tient pas compte qu'Ismaël n'a pas d'enfant dans le Coran, ni que le Coran affirme que les prophètes naissent dans la descendance de Jacob. S. 21-72-73, S. 19-49 et S. 29-27 : « Nous donnâmes Isaac et Jacob, et désignâmes dans sa descendance la fonction de prophète et Le Livre. ». Tabarî oublie ou ignore que la croyance en Ismaël, père des arabes, est une légende inventée au VIIe siècle par le Patriarche chrétien Sébéos et qu'elle est en contradiction avec le Coran.

- Jésus sur un âne, Mahomet sur un chameau.
Tabarî retient la fausse prophétie inventée par les juifs au VIIe siècle et affirme que le texte d'Isaïe 21-6-8, qui parle des soldats venant prendre Babylone, est l'annonce de Jésus venant sur un âne et celle de Mahomet venant sur un chameau.

- Le Beau modèle, doux pacifique.[/b]
Tabarî voit dans Isaïe 42-1-4 le portrait de Mahomet. Les chrétiens y voient celui du Christ : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu, en qui mon âme se complaît. J'ai mis sur lui mon esprit et il présentera aux nations le droit. Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue, il ne brise pas le roseau froissé, il n’éteint pas la mèche qui faiblit, fidèlement il présente le droit ; il ne faiblira ni ne cédera jusqu'à ce qu'il établisse le droit sur terre. ».

En fait, la Bible n'annonce jamais Mahomet, son nom n'y est jamais cité. Tabarî raconte donc que la Bible a été falsifiée.
Tabarî est un bon exemple de la logique sunnite.


*J. Chabbi. « Le Coran décrypté », Fayard. 2008.
 
LE SOUFISME

Le soufisme est la voie mystique de l'islam
pour les sunnites mais aussi pour les chiites et les druzes. Le soufisme prône l'union à Dieu et conduit à croire en la présence de Dieu au cœur de chaque croyant. Cette foi en la présence divine en chacun est une entorse à l'unicité de Dieu et a conduit le soufisme a être considéré comme hérétique.

Le premier grand mystique soufi est une femme, Rabia al-Adawiyya (714-801), une esclave affranchie
. Elle prône l'anéantissement de soi face à la grandeur d'Allah ; elle a donc laissé peu de traces. La première au sein de l'islam, elle parle de l'amour divin, elle reste célibataire par amour de Dieu : « Entre l'amant et le bien-aimé, il n'y a pas de distance, ni de parole, que par la force du désir ; ni de description, que par le goût. Qui a goutté a connu. Et qui a décrit ne s'est pas décrit. En vérité, comment peux-tu décrire quelque chose, quand en sa présence tu es anéanti ? Quand en son existence, tu es dissous ? Quand en sa contemplation, tu es défait ? Quand en sa pureté, tu es ivre ? ». La peur est bannie de sa conception de la foi : « Mon Dieu, si je T'adore par crainte de l'enfer, brûle moi dans ses flammes et si je t'adore par convoitise de ton paradis, prive-m'en. Je ne T'adore, Seigneur, que pour toi. Car Tu mérites l'adoration, alors ne me refuse pas la contemplation de Ta face majestueuse. ».

Al-Hallaj est né en Iran en 858. Il est formé à Bagdad au soufisme puis devient missionnaire et voyage jusqu'en Inde pour proclamer la « Religion du vrai », l'essence même du monothéisme, l'amour de Dieu. Selon lui, toutes les religions se valent, pour atteindre l'union à Dieu. Il connaît des extases et proclame son union mystique avec Allah. Le diwan de Hallaj est un recueil de ses poèmes réunis par ses disciples après sa mort : « J'avais le cœur plein de désirs dispersés, et depuis que l'œil t'a vue, les voici rassemblés. Ceux que j'enviais en sont venus à m'envier, car je règne sur les hommes depuis que tu es mon maître. Mes amis comme mes ennemis m'ont réprouvé seulement à cause de leur indifférence devant l'ampleur de mon tourment. J'ai abandonné aux gens leur usage et leur religion pour me dédier à ton amour, toi ma religion et mon usage. » (Traduction de S. Ruspoli, « le Message de Hallaj, l'expatrié », Cerf, 2005).
De retour à Bagdad, il proclame son union avec Allah et sa conviction que toutes les religions mènent à Dieu. Il fédère l'opposition de l'islam traditionnel. Il préfère le martyr au reniement de ses convictions et meurt crucifié le 27 mars 922 sous le calife Al-Muktafi.

Au XIIIe siècle, il inspire Ibn Arabî qui base sa mystique sur le hadith
: « J’étais un trésor caché et j’ai aimé être connu. Alors, j’ai créé les créatures afin d’être connu par elles ». Dans Le chant du désir ardent, il proclame : « L’amour est ma religion et ma foi. ».

Le mot soufi vient de l'arabe « sûf », laine. Les soufis rejettent les biens matériels et vivent une vie d’ascète, revêtus d'un simple manteau de laine, se satisfaisant de l'amour d'Allah. Basé sur une expérience sensible, le soufisme séduit volontiers le peuple. Il a permis l'islamiser en douceur les populations indiennes lors de la conquête mogol au XVIe siècle. Il s'oppose au laxisme moral, quitte à affronter les notables. Ouloug Beg, le puissant émir de Samarcande, astronome génial mais musulman septique, sera sa victime.
 
LE DÂR AL-ISLÂM AU Xe SIÈCLE : L'APOGÉE OMEYYADE. LE PAYS DE LA GUERRE, LE DÂR AL-HARB, RECULE : L'ISLAM TRIOMPHE.

Entre 909-929, le monde musulman, le Dâr al-Islâm, se divise en trois califats, les Fatimides qui sont ismaéliens, au Caire ; les Omeyyades à Cordoue et les Abbassides à Bagdad.

À la fin du IXe siècle, des tribus trucs ont envahi le Dâr al-Islâm à l'est.
Mais en 920, les Qarakhanides, les turcs qui règnent en Ouzbékistan, se convertirent collectivement à l'islam. En 999, ils prennent définitivement possession de la Transoxiane mettant fin à la dynastie Samanide. Ils ont attaqué l'empire de l'islam*; mais ils sont devenus musulmans.

En 930, la tribus arabes des Qarmates enlèvent la Pierre Noire de la Mecque, la rendant à sa fonction de bétyle, pierre contenant la divinité et suivant les pérégrinations nomades. Elle sera rendue 20 ans plus tard contre rançon.
En 950, sept systèmes de lecture, de vocalisation du Coran sont définis par Ibn Mujâhid. Deux persisteront : le warsh au Maghreb, le hafs au Machrek.

En 943, la dynastie Bouyide qui règne en Iran, conquiert Bagdad. Elle y introduit sa vision de l'islam : le chiisme imanite duodécimain. Elle laisse le Calife sunnite y accomplir son rôle religieux et symbolique.

Le Califat de Cordoue, en Espagne, connaît son apogée. Abd al-Rahman III (891-961) incarne le prestige omeyyade. Il règne sur la quasi totalité de la péninsule ibérique. Seule une bande longeant la côte nord de l'Espagne échappe à sa souveraineté et reste chrétienne. En 929, il refuse la suprématie religieuse du califat de Bagdad et devient Calife de son royaume, le commandeur des croyants.

Cordoue, sa capitale, présente un urbanisme d'exception. Elle contient des centaines de mosquées, une bibliothèque de 400 000 ouvrages, des bains, des commerces, des caravansérails. Des cultures orientales sont introduites en occident grâce au califat : l'oranger, la canne à sucre, le cotonnier, le riz et le mûrier. Les techniques du drainage et du captage d'eau de la péninsule arabique sont adaptées à l'Espagne. L'artisanat du cuir, des métaux, des faïences, de la soie se développent. Le statu de dhimmi permet aux chrétiens et aux juifs d'exercer leur culte librement.
En 955, un traité de paix est signé avec les souverains chrétiens de la péninsule ibérique, le roi des Asturies et le duc de Castille.

Mais, en 970, à Cordoue, la régence du jeune Calife Hicham II est assurée par Almanzor. Il part en guerre contre les derniers royaumes chrétiens du nord de l'Espagne.
Il bat Ramine III, roi de Léon, en 978. Il lance des raids contre la Catalogne et détruit Barcelone en 985, les chrétiens sont réduits en esclavage et les juifs massacrés. Almanzor attaque les Asturies. Puis, en 997, Saint-Jacques de Compostelle est prise et son sanctuaire est détruit. C'était le lieu de pèlerinage favori de la chrétienté, puisque que Jérusalem est éloignée et aux mains du Dâr al-Islâm. À partir de 980, au nom de la guerre sainte, Almanzor persécute les chrétiens et les juifs de son califat, les mozarabes. Ils se réfugient au nord en terre chrétienne. Le roi des francs n'a pas répondu à leur appel au secours. Le pays de l'Islam, le Dâr al-Islâm, domine sur le Pays de la guerre, le Dâr al-harb. Celui-ci va-t-il se soumettre ou résister ?

Pour les chrétiens, voilà 1000 ans que le Christ est né. Un grand mouvement de piété va conduire les chrétiens vers Jérusalem.
 
1009 : LES PORTES DE L'IJTIHAD SE FERMENT.

L'islam des débuts, mutazilite, assimile la philosophie et la science grecque grâce aux Maisons de la Sagesse.

Puis le sunnisme triomphe.
La rédaction des hadiths s’achève. Ils sont classés selon leur fiabilité : ceux de Muslim (819-875) et d'al-Bukhari (810-870) sont les plus sûrs. Le sunnisme croit au Coran incréé, il ne cherche pas la vérité hors des textes saints (Coran et Hadiths) mais uniquement dans leurs interprétations. C'est le Kalâm, la théologie rationnelle. L'ijtihad (اِجْتِهاد) est l'effort de réflexion nécessaire à la compréhension des textes saints et à l'élaboration de la jurisprudence. L'ijtihad est permis aux muftis, aux oulémas et aux juristes. Al-Ghazâlî (1058-1111), conseiller du calife et théologien de l'université de Bagdad, sera le penseur le plus emblématique de la Kalâm.
La seconde tradition intellectuelle du sunnisme, le falsafa, s'inspire de la philosophie grecque. La vérité est cherchée à partir de la raison pure. Il s'agit naturellement de retrouver les vérités coraniques par la raison et sans le recours aux Textes Saints : Averroès en sera le disciple le plus connu.

Le XIe siècle va connaître une rupture dont les conséquences se manifestent encore de nos jours : les portes de l'ijtihad furent fermées.
En 1009, le calife fatimide d’Égypte, Al-Hakam, est un fanatique.
Ismaélien convaincu, il forme des missionnaires dans des Maisons du savoir où philosophie et astronomie sont enseignées au coté des sciences religieuses. Il déclare anathème les califes précédents. À sa mort, ses adeptes, les Druzes, le déclareront Mahdi.
En 1009, Al-Hakam déclare que « les portes de ijtihad sont fermées ». Toute nouvelle interprétation devient interdite : chaque question doit maintenant trouver sa réponse dans le Coran, la sunna ou la jurisprudence. Seul le chiisme peut toujours pratiquer l’ijtihad. Puis en 1018, le calife de Bagdad, al-Qadir, fait publier des décrets établissant la bonne façon de penser. Il condamne le chiisme et interdit toute nouvelle interprétation du droit coranique.

Certains sunnites pensent que l'ijtihad est toujours possible mais réservé aux savants ayant assimilé l'orthodoxie de la foi. Les non orthodoxes sont exclus de ce droit à l'interprétation. La recherche de la vérité se fige. Deux mots peuvent illustrer cette fermeture. Le terme hérésie, « bid‘a » en arabe, signifie également nouveauté ; et le mot Tradition, « sunna », est synonyme d'orthodoxie. Aucune nouveauté ne viendra plus irriguer la pensée arabe : la vérité est déjà connue et doit être recherchée à partir du Coran et de la Tradition. Au XIIe siècle, Averroès pratiqua néanmoins une recherche libre inspirée de la philosophie grecque. Il fut persécuté par les dirigeants musulmans et n'eut aucune postérité intellectuelle en terre d'islam.

L'universitaire Mohamed Arkoun (1928-2010) a réfléchi aux conséquences de cette fermeture progressive de l'Ijtihâd. À partir du XIIIe siècle, la recherche de la vérité libre de tout présupposé s'est interrompue en terre d'islam. Le Pr Arkoun remarque que les musulmans sont incapables d'avoir un regard historique sur leur passé. Ils recherchent les raisons de leur déclin dans des causes extérieures, comme la colonisation.

Le Pr Arkoun pense que l'islam doit rechercher en lui-même les causes de l'appauvrissement de sa pensée : la fermeture de Ijtihâd en fait partie.
 
ORIGINES DES CROISADES CHRÉTIENNES.

- Les raisons spirituelles :

- Al Hakam,
de son califat d’Égypte, après avoir clos l'Ijtihâd, rétablit toutes les restrictions appliquées aux dhimmis. Il fait détruire les églises de son califat qui s'étend de l’Égypte à la Terre sainte. En particulier, en 1009, il fait raser le tombeau du Christ. Creusé dans une falaise, 1000 ans avant, il avait été séparé de la falaise sous empereur Constantin et formait un cube de rocher évidé protégé par l’Église du Saint-Sépulcre.
- En 1064, Sigefroy, l'évêque de Mayence, et 4 autres évêques allemands, conduisent 7000 pèlerins sur les pas du Christ en Terre Sainte.
Le 25 mars 1065, ils sont massacrés par des bédouins. Le pèlerinage en Terre Sainte semble fermé aux chrétiens.

- La Reconquista espagnole.
En 1002, le régent de Cordoue, Almanzor décède. Sa succession est difficile, le califat se morcelle en de multiples principautés, les taifas, qui se battent entre elles. En 1031, le dernier calife de Cordoue, Hicham III, est destitué par une révolte de ses sujets. L'intolérance religieuse d'Almanzor a révolté les chrétiens. En 1037, Ferdinand 1er, le roi de Castille, fédère le Léon, la Galice et la Navarre et attaque le royaume musulman divisé. En 1063, le pape Alexandre II donne une indulgence spéciale aux soldats qui se battront pour libérer l'Espagne du joug musulman. Des soldats arrivent de France, la Reconquista commence. L'habitude de partir guerroyer au loin pour sauver la foi chrétienne va créer des générations de soldats du Christ, peu aptes à la vie civile, et prêts à s’investir dans toutes les croisades à venir.
En 1085, Tolède est prise par Ferdinand.
Dans le Dâr al-Islâm, le choc est immense. Les musulmans pensent devoir toujours gagner par les armes, la défaite militaire n'est pas théologiquement imaginable. Les Almoravides, des berbères du Sahara occidental, viennent au secours de l’Espagne musulmane. L'avancée chrétienne est arrêtée à Sagrajas en 1086. Ibn Tachfin, le premier souverain Almoravide, devient le héros de l'islam, même si son royaume est amputé d'un quart. Son règne, strict et religieux, met fin à l'âge d'or des Omeyyades.

- L'empire byzantin est attaqué en son cœur par les Seljoukides récemment islamisés. Constantinople est menacée.
Les Seljoukides, des turcs originaires du nord de la mer d'Aral, deviennent musulmans sunnites au Xe siècle. Ils avancent vers l'ouest. En 1040, le Khorasam est pris, puis l'Iran. En 1055, ils règnent à Bagdad. Le calife sunnite abbasside est libéré de la tutelle chiite des Bouyides et reste calife, commandeur des croyants. Les Seljoukides revendiquent le titre de Sultan. Ils assument le seul pouvoir politique.
En 1063, Alp Arslan devient sultan seljoukide. Sunnite de stricte obédience, il se doit de pratiquer la guerre sainte. En 1064, il attaque l'Arménie, le plus vieil état chrétien, il prend et détruit Ani, sa capitale.
En 1071, Alp Arslam bat l'empereur byzantin Romain IV près de la ville de Manzikert. Nicée est prise. L’actuelle Turquie faisait partie de l'empire byzantin et était chrétienne, elle entre dans le Dâr al-Islâm.

En 1078, Alp Arslam est aux portes de Constantinople.
En 1054, le grand schisme d’Orient avait, pour des raisons doctrinales, séparé l’Église catholique de l’Église orthodoxe.
L'empire byzantin, orthodoxe, va néanmoins appeler l’Église catholique à l'aide.
 
LES CROISADES : IMPÉRIALISME OU LÉGITIME DÉFENSE ?

En 1095, le pape Urbain II appelle à la croisade.
Il souhaite ré-ouvrir les portes de Jérusalem au pèlerinage et aider l’empereur Byzantin Alexis Commère à retrouver ses terres. Pendant tout son pontificat, Urbain II travaille au rapprochement de l’Église byzantine orthodoxe et de l’Église romaine catholique.

Les chrétiens ont repris un quart de l'Espagne musulmane, mais la Reconquista marque le pas face à la fermeté des Almoravides. Les chevaliers vont pouvoir s'investir en Terre Sainte.

Le pape annule toutes les pénitences données en vu de la rémission des péchés et promet le salut à celui qui meurt au combat. La chrétienté répond à l'appel du pape dans toutes ses composantes sociales.

Pierre l’Ermite est un survivant du pèlerinage allemand de 1064. Dès 1096, il entraîne vers Jérusalem 30 000 volontaires, hommes et femmes. Ils sont balayés à Civitot près de Constantinople. Kiridj Arslan (le fils d’Alp Arslan) propose à certains de se convertir à l’Islam. Un des chefs croisés, Renaud, et quelques uns de ses hommes, se convertissent. Les autres sont massacrés.

Arrivés après Pierre l'Ermite, les seigneurs francs conduisent une armée aguerrie. Le 26 juin 1097, Godefroy de Bouillon, son frère Baudouin de Boulogne, Hugues de Vermandois et Robert de Normandie reprennent Nicée, puis battent Kiridj Arslam à Dorylée. Le 15 juillet 1099, ils prennent Jérusalem. La ville est pillée, des centaines de juifs sont brûlés vifs dans leurs synagogues et les musulmans sont massacrés sans pitié.
Est-ce de cette date que commencent les premières exactions d'états chrétiens contre des juifs ?

Le royaume chrétien de Jérusalem est fondé. Les musulmans de Bagdad ou du Caire n'interviennent pas malgré les appels au secours des seljoukides.

En 1105, Al-Sulamî, un juriste musulman de Damas analyse la géopolitique au moment de l'arrivée des croisés :
« Une partie des infidèles assaillissent à l'improviste l'île de Sicile, mettant à profit des différends et des rivalités qui y régnaient. De la même manière, les infidèles s'emparèrent aussi d'une ville après l'autre en Espagne. Lorsque des informations convergeantes leur parvinrent sur la situation perturbée de la Syrie, dont les souverains se détestaient et se combattaient, ils résolurent de l'envahir. Jérusalem était l'aboutissement de leurs vœux. ».

L’affrontement entre chrétiens et musulmans a commencé dès Mahomet. Le Coran ordonne la guerre sainte de conquête (S. 2-216) même si elle déplaît aux croyants. Allah parle par le hasard des événements : un triomphe militaire signale Sa faveur (S. 8-12-17).
Le Christ a appelé à la douceur et au pardon des offenses, il n'a pas préparé ses disciples à résister par les armes. Il a fallu attendre Saint Augustin, confronté aux invasions barbares, pour expliquer dans la « Cité de Dieu », les principes d'une guerre juste : elle doit être défensive et le pillage est interdit.

La Reconquista espagnole n'est pas une initiative d’Église, c'est celle du Roi de Castille. La prise de la Sicile par les Normands, récemment christianisés, s'inscrit dans un grand mouvement de conquête territoriale (duché de Normandie, Angleterre) et n'est pas religieuse.

Après la croisade de 848 pour protéger Rome, l'appel à la croisade de 1095 est le premier appel d'un pape au combat après 4 siècles d'invasions musulmanes.
 
LA QUERELLE DES INVESTITURES, LA REFORME GRÉGORIENNE : POUVOIRS TEMPORELS ET SPIRITUELS RESTENT SÉPARÉS.

De 1075 à 1122, la Querelle des investitures
oppose la papauté au Saint-Empire-Romain-Germanique, fondé en 962 en réunissant le royaume germain et la partie Est de l'empire carolingien. Plutôt qu'à ses nobles, l'empereur délègue le pouvoir local à ses évêques. Puisqu’ils n'ont pas de descendants, donc pas d’héritiers, leurs terres sont restituées à l’empereur à leur mort. Les hommes du clergé deviennent fonctionnaires, plutôt qu'hommes d’Église et leur comportement moral se dégrade.
Les papes souhaitent réformer ces abus. Le pape Grégoire VII laisse son nom à la réforme grégorienne de 1078. Désormais, le pape est choisi parmi les cardinaux et non parmi les candidats présentés par l'empereur. Les charges de l’Église sont offertes à qui en est digne, et non plus achetées. Les prêtres doivent être instruits et resté célibataires. Le sacrement de mariage est institué pour les laïcs. Auparavant, un mariage était légitime et indissoluble aux yeux de l’Église, quand il engageait un homme et une femme librement et selon la loi de leur pays, même si celui-ci était païen.

Suger et la réforme grégorienne en France.
Suger est né dans un milieu pauvre en 1080.
Il est éduqué dans l'abbaye de Saint Denis, monastère proche de son domicile où son oncle est moine. Il y côtoie le futur roi Louis VI, alors enfant. Il étudie 10 ans avant de devenir moine. À 28 ans, il est supérieur d'une abbaye dépendant de la grande abbaye de Saint Denis. L'abbaye défend son autonomie par rapport à l’évêché et aux nobles. Le roi Louis VI prend son parti. En 1118, Suger est devenu un familier du roi. En 1122, il est élu abbé de Saint-Denis par ses moines indépendant de l'avis de quiconque selon l'usage des monastères. Le roi prend ombrage de cette élection qui s'est faite sans son accord, mais la réforme grégorienne est en marche. La querelles des Investitures est en train de redéfinir les limites du pouvoirs de chacun. Suger négocie et le roi accepte cette élection.

Suger travaille avec le roi à donner davantage de droits aux bourgeois face aux excès des nobles. À partir du XIe siècle, les villes vont se développer grâce à l'autonomie, à l'initiative et aux investissements d'artisans qui s'organisent de façon autonome. Pour limiter l'autocratie des nobles, Suger invente le féodalisme qui oblige les nobles à se soumettre à un suzerain. Les trois ordres du royaume de France se mettent en place.

La cathédrale de Saint Denis est construite sous ses ordres à partir de 1140. Il s'agit du premier bâtiment gothique. Les voûtes ne sont plus portées par les murs mais par des piliers ; cela est rendu possible par le calcul mathématique et à la géométrie. De larges fenêtres éclairent l’église et s'ornent de vitraux. Dieu est lumière et l'architecture conduit à Dieu. Bernard de Clairvaux (1090-1153), moine acétique, estime, lui, qu'aucun plaisir ne doit détourner de la contemplation de Dieu (Apologie à Guillaume de Saint-Thierry). La pluralité spirituelle s'exprime au sein de l’Église par des réalisations de prestiges, tant dans la flamboyance gothique que dans l'épure cistercienne.

Suger meurt en 1151 après une carrière d'homme d’Église et d'homme d'état : parfait exemple des possibilités de promotion sociale qu'offre l'éducation ecclésiale.
 
DÉBUT DU CHAPITRE : DEUX VISIONS DE LA SCIENCE.

RAPPEL DU SOMMAIRE.

LA CRÉATION :

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ABRAHAM ET LES PATRIARCHES :
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L'EXODE ET L'INSTALLATION DES HÉBREUX EN CANAAN :
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LA ROYAUTÉ HÉBRAÏQUE : DAVID, SALOMON .... :
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LA CROYANCE EN UN DIEU DES COMBATS :
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LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST, HUMANITÉ, DIVINITÉ :
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LE CHRIST ET LA LOI : IL L'ACCOMPLIT POUR LES JUIFS :
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LE CHRIST ET LA LOI : IL LA TRANSGRESSE AVEC LES DISCIPLES :
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LE CHRIST ET LA LOI : IL INSTAURE LA NOUVELLE ALLIANCE POUR L'HUMANITÉ :
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LES DÉBUTS DU CHRISTIANISME :
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LES RELIGIONS PRÉ-ISLAMIQUES :
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MAHOMET À LA MECQUE :
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MAHOMET À MÉDINE :
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DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT :
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DEUX VISIONS DE LA SCIENCE :
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POLITIQUE, LIBERTÉ ET DÉMOCRATIE.
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LA CHRÉTIENTÉ EST CURIEUSE DE SCIENCE, MÊME NON CHRÉTIENNE.

La médecine grecque et arabe.

Constantin l'Africain
est un chrétien originaire de Carthage. Après avoir étudié la médecine en Égypte, il devient moine au Mont-Cassin en Italie. Au Xe siècle, il traduit les textes arabes de médecine, ceux des grecs Hippocrate et Gallien, et ceux de médecins musulmans et chrétiens : ibn Ishaq dit Johannitus, ou l'encyclopédie médicale d'Ali ibn Abbas al-mujusil.

Au XIe siècle, en Sicile, un grec, Henri d'Aristipe, traduit des manuscrits restés inconnus des arabes : les dialogues de Platon, le livre IV des Météorologiques d'Aristote, l'Almageste de Ptolémee, l'Optique d'Euclide.

Au XIIe siècle, les européens souhaitent connaître Aristote dans des traductions correctes. De 1125 à 1145, Aristote est à nouveau traduit en latin par Jacques de Venise à partir du texte grec d'origine, ce que même Averroès ne pourra jamais faire puisqu'il ne sait pas le grec. Jacques de Venise devient moine au Mont-Saint-Michel après avoir étudié la philosophie à Constantinople et le droit canon à Rome. Ses traductions sont conservées au musée d'Avranches en Normandie (N° 221 et 232). Il traduit toute l’œuvre d’Aristote, y compris l'« Éthique à Nicomaque » que n'avait jamais traduit les musulmans peu soucieux d'introduire le concept de citoyenneté dans leur civilisation.
Ses traductions de la « physique » et la « Métaphysique » serviront de base au développement scientifique en occident. Saint Thomas d'Aquin travailla à partir de sa traduction de la « Métaphysique », Albert le Grand à partir de celle des « Second Analytiques » et Jean de Salisbury en 1159 à partir de celle de la « Logique ». L’étude du vocabulaire de leurs écrits prouve qu'ils ont employé la traduction de Jacques de Venise et non celle d'Averroès. (Aristote au Mont Saint Michel, Gougenhein, p 109 à 116).

La source scientifique arabe issue de l'Espagne multiconfessionnelle. Tolède a été reprise par les rois catholiques, son archevêque charge Gérard de Crémone de traduire en latin les ouvrages arabes. Il traduit Euclide, Apollonius, Aristote et Hippocrate, Claude Ptolémée. Mais il traduit également des ouvrages scientifiques arabes novateurs, ceux du philosophe al-Farabi, des médecins Rhazès et d'Avicenne (le Canon), ceux des mathématiciens Al-Khwarimi et de Hunayn ibn Ishaq et de l'astronome Abû Ma'shar.

Gérard de Crémone commence ses traductions en 1165, bien après la mort de Jacques de Venise. Contrairement à un préjugé généralisé de nos jours, ce ne sont pas les seuls arabes qui ont transmis à la chrétienté le savoir grec antique : celui-ci avait été conservé en Europe. Au XII siècle, les savants chrétiens aspirent à des traductions correctes : elles seront réalisées grâce à leurs liens avec l'église d'Orient. Mais les chrétiens sont curieux aussi des autres savoirs sans mépriser aucune source sous prétexte qu'elle ne serait pas chrétienne : la science arabe, qui est juive, chrétienne et musulmane, les fascine.

Les arabo-musulmans ne semblent pas avoir eu la même curiosité. Ils ont repris les sciences grecques ou indiennes qui étaient antérieures à l'islam, mais ils n'ont jamais éprouvé de curiosité pour les découvertes scientifiques non musulmanes postérieures à l'arrivée de l'islam.


Il faudra que l'Empire ottoman soit envahi en son cœur au XIXe siècle, pour qu'ils revoient leur position.
 
LA NAISSANCE DES UNIVERSITÉS EN TERRE CHRÉTIENNE : LA RECHERCHE PHILOSOPHIQUE ET SCIENTIFIQUE SE SÉPARE DU MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE.

L’Église éduque le peuple depuis toujours et officiellement depuis Charlemagne.

L'enseignement classique inspiré de l'enseignement grec a été réintroduit en France avec Charlemagne. Les religieux participent activement à l'enseignement, dans les paroisses, les évêchés, les monastères. De Saint Anselme (1033-1109) pour qui « La foi recherche l'intelligence. », à Teilhard de Chardin qui proclame au XXe siècle « la foi a besoin de toute la vérité », l’Église cherche la vérité.

L'art de la controverse : la discutio.
À la fin du Xe siècle, Thangwar, le bibliothécaire d'Hildesheim, en Saxe, raconte comment les écoliers apprennent à manier les syllogismes selon la logique d'Aristote, la dialectique*. Il s'agit d'apprendre à raisonner avec logique et à argumenter avec autrui, et non d'apprendre par cœur un discours conformiste mis au point par les exégètes du passé. La controverse sert la recherche de la vérité.

La science se développe.
Le quadrivium complète la formation par l'apprentissage de la géométrie et de l'astronomie. Les mathématiques connaissent un lent développement. En 976, les chiffres indo-arabes sont parvenus en occident par la Catalogne. Gerbert (945-1005) travaille à une abaque permettant d'effectuer des multiplications à 9 chiffres en base décimale. Puis il se tourne vers les étoiles et étudie la révolution des planètes. En Angleterre, Byrtferth, un moine de Ramsey, calcule la durée de l'année solaire*.

Au XIIe siècle, des clercs, soucieux d'échapper au contrôle des évêques qui règnent sur les écoles capitulaires, fondent les universités. Ils souhaitent enseigner indépendamment du contrôle de l’Église. Ils enseigneront la théologie, le droit civil et religieux, la médecine et formeront les étudiants à la discutio.
Intéressés par les retombées économiques de la présence d'étudiants et aux avantages que procurent des serviteurs instruits, les princes facilitent l'installation d'universités. Les maîtres des universités sont soucieux de préserver leur autonomie, vis à vis du pouvoir temporel des princes, ainsi que du pouvoir spirituel des évêques. Ils réclament et obtiennent des « libertas academica », des bulles papales, qui garantissent leur autonomie. En 1088 Bologne en Italie, en 1096 Oxford en Angleterre, en 1171 Modène en Italie, en 1231 Paris, obtiennent leurs « libertas academica ».

Avec une étonnante facilité, la chrétienté vient de séparer les vérités spirituelles des vérités scientifiques. L’Église défend les vérités spirituelles et les universités vont définir les vérités intellectuelles. Malgré certaines réticences, le pape et les évêques prendront l'habitude de se tourner vers les scientifiques pour leur demander leur expertises. Le christianisme n'est pas l'islam. La vérité des chrétiens est ouverte sur la dimension mystique du Christ, elle n'est pas enclose dans un livre.

Avec l'habitude de discuter de façon contradictoire sans se soumettre à une vérité préétablie, (la discutio), la chrétienté vient de se munir de l'outil intellectuel qui formera des générations de savants.

*Aristote au Mont-Saint-Michel, Gouguenheim, Seuil. 2008.
 
LE JUDAÏSME ÉVOLUE ENTRE PIÉTÉ ET RAISON, ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ, ENTRE GUERCHOM ET MAIMONIDE.

Le judaïsme qui s'élabore au tournant de l'an 1000, pose les bases du judaïsme contemporain avec son enracinement mystique qui recherche la loi orale de Moïse, et ses interrogations scientifiques qui donneront tant de Prix Nobel.

La codification des prières juives est tardive et a évolué selon les circonstances.
Lors de l’existence du Premier Temple (du Xe siècle au VIe siècle avant JC), la prière est soutenue par des sacrifices. Les juifs purifient leur culte durant l'exil à Babylone. Les sacrifices au Temple ne peuvent plus avoir lieu, ils sont remplacés par la prière communautaire à la synagogue. Après la destruction du Temple d'Hérode en 70, les sacrifices disparaissent définitivement. L'étude de la Thora les remplace. Le Talmud est mis par écrit entre le IIe et le Ve siècle, à partir des travaux d'interprétation de la Thora. Il comprend :
- La halakha, un l'ensemble des lois régissant la vie quotidienne. Elle diffère de la charia en ceci qu'elle ne concerne que les juifs et n'impose rien de comparable à la dhimma.
- La Aggada, un ensemble de textes non juridiques sur des histoires bibliques et leurs commentaires.
- Le Midrash, une exégèse herméneutique.
Le peuple juif est dispersé et met en place des rituels différents. Par exemple, les juifs en terre d'islam resteront polygames plus tardivement que ceux vivant en terre chrétienne.

Guerchom Ben Yehouda (960-1028) est rabbin à Metz, en France. Il est surnommé la « Lumière de la diaspora ». Il travaille à l’interprétation des textes et réforme la Halakha. Il donne au judaïsme ashkénaze ses lettres de noblesse. Son travail est toujours la base des lois juives de nos jours. Le mariage devient monogame, le divorce exige l'accord de la femme. Les apostats qui reviennent au judaïsme sont pardonnés.
Son élève le plus célèbre est Rachi.
Le plus ancien livre décrivant les rituels de prières date du XIe siècle : le Mahzor Vitry.
Il est écrit par Simha ben Samuel de Vitry, un élève de Rachi. On y trouve les prières suivant le rite tzarphatique, (de l'hébreu Tzarfat qui désignait la France du Nord au Moyen Âge) et des explications sur les prières.

Les sciences juives ont un début symbolique : Maïmonide (1138-1204). Il est médecin à Cordoue. Lors de la persécution des Almohades, il s'enfuit vers le royaume catholique d’Espagne, puis en 1160 à Fès au Maroc. En 1165, il pratique la médecine en Palestine pour finalement se fixer en Égypte. En 1185, il écrit le « Guide des égarés » où il tente de réconcilier la raison avec la religion et réfléchit au moyen de démontrer les textes sacrés par la raison. Les textes saints qui sont contredits par la raison, doivent trouver une interprétation allégorique et ne doivent pas être lus littéralement. Les juifs, par Maïmonide, seront les premiers à découvrir qu'un livre saint peut prétendre dire la Vérité sur Dieu sans être lu comme un livre de sciences. Contemporain d'Averroès, il ne prend connaissance de ses écrits qu'à la fin de sa vie.

En 1232, sur le conseil des juifs, les œuvres philosophiques de Maïmonide seront brûlées à Montpellier par les autorités ecclésiastiques. Mais dans le même temps, elles sont traduites partout en occident et diffusées dans le réseau des universités chrétiennes.

Thomas d'Aquin surnommera Maïmonide « l'Aigle de la synagogue ».
 
AVERROÈS (1126-1198).

Le sunnisme connaît deux courants philosophiques, la kalâm qui recherche la vérité à partir de ses seuls textes saints, Coran et Hadiths ; et la falâsifa, inspirée de la philosophie grecque qui cherche à retrouver les vérités divines en passant par la logique sans s'appuyer sur les textes saints.
Al-Farabi (mort en 950), Avicenne (980-1037) et Averroès (1126-1198) sont les philosophes les plus remarquables de la falasifa.

Averroès, Ibn Ruchd vit à Cordoue,
principauté de l'Espagne musulmane. Il grandit dans une famille de juristes. Musulman convaincu, il ne cherche aucune vérité contraire au Coran, mais il essaie de retrouver les vérités coraniques par l'usage de la raison pour les formuler en vocabulaire juridique, sous forme de fatwa.

Il ne connaît pas le grec mais étudiera Aristote à partir des traductions arabes qui existent. Il invente la traduction analytique. En comparant les différentes traductions existantes d'Aristote, il tente de restituer le texte d'origine. Il est le premier à concevoir et à entreprendre ce type d'analyse critique en linguistique. Averroès ne s’intéresse pas à « La Politique » d'Aristote, qui introduit le concept de citoyen incompatible avec l'état musulman. Mais il restitue le reste de son œuvre. Dans « L’accord de la religion et de la philosophie. Traité décisif », il affirme que la Révélation n’a aucune vérité à apporter à la raison que celle-ci ne puissent découvrir par ses propres moyens. Mais la vérité qu'il recherche reste incluse dans le Coran : il n'envisage pas qu'il puisse en être autrement : « Nous, musulmans, nous savons avec certitude que l'examen par la démonstration n’entraînera nulle contradiction avec l'enseignement apporté par le Texte révélé, car la vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s'accorde avec elle et témoigne en sa faveur. » (Averroès, Discours décisif, trad. M. Geoffroy, Paris, Flammarion, « GF », 1996 ; P119-121).

Quoique philosophe, Averroès reste musulman dans sa façon de concevoir ses relations aux autres peuples. Averroès justifie la pratique du djihad dans son livre Bidâyat al-Mudjtahid et dans sa « Paraphrase de la République de Platon » : « Les nations de l’extérieur […] doivent être contraintes. Dans le cas de nations difficiles, cela ne peut se produire que par la guerre. Il en est ainsi dans les lois qui procèdent conformément aux lois humaines, comme dans notre loi divine. Car les chemins, qui dans cette loi conduisent à Dieu […], sont au nombre de deux : le premier passe par le discours, le second par la guerre ». « Il est obligatoire de tuer les hétérodoxes » ( Averroès, « Incohérence de l'incohérence, XVII, Questions physiques », I ,§17 ; trad. R.Brague).

Averroès essaie seulement d’exprimer les vérités coraniques en termes juridiques. Mais le seul fait d'avoir eu l'idée, ou d'avoir eu besoin, de démonter le Coran, entraîne sa persécution par les Almohades. En 1197, il est chassé de Cordoue et doit se cacher à Lucena, ville andalouse peuplée de Juifs, puis il se réfugie au Maroc où il est toléré. Il finit dans la misère.

Ses travaux seront totalement ignorés en terre d'islam, seuls les chrétiens y trouveront une inspiration. Par la suite, les universités en terre chrétienne obligeront les étudiants à passer la licence de philosophie avant d'aborder la théologie.
 
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