4000 ans de monothéismes, histoire archéologique

AL-GHAZÂLÎ (1058-1111) : LES MEDERSA REGROUPENT TOUTES LES SCIENCES ASSUJETTIES À L'APPRENTISSAGE PRÉALABLE DU CORAN.

Les seljoukides ont pris le pouvoir.
Les propriétaires terriens ont été dépossédés, les fonctionnaires restent sans emploi et les marchands sont ruinés. L’Égypte, qui n'a pas été conquise par les Seljoukides, reste chiite ismaélienne. Elle attire tous ses mécontents. Sa doctrine se structure dans les Maisons du savoir. Les ismaéliens sont soutenus par la secte des Assassins qui lui sert de bras armé.

Face à eux, les seljoukides exercent le pouvoir politique et laissent le pouvoir religieux du Calife de Bagdad. Cet état de fait aurait pu être une évolution vers la séparation du pouvoir temporel du pouvoir spirituel, mais Al-Ghazâlî va restituer une lecture musulmane de cette séparation. La fonction gouvernementale, la « vilaya », peut être exercée légitimement par le sultan s'il se soumet au Calife (Al-Ghazâlî, Ihya' 'Ulum al-Din, t. II, Le Caire, 1933, p.124.). La fonction califale garde donc sa suprématie sur les autres pouvoirs. Al-Mawardi (975-1058), théoricien politique musulman, avait déjà affirmé que l'oumma doit être gouvernée par un dirigeant qui respecte la loi de Dieu, la charia, et les droits de Dieu. Les droits dits de l’homme, la liberté ou l'égalité, ne sont jamais évoqués. Seule la justice reste une attente légitime du peuple (al-Ghazâlî, Fada 'ih al-Batiniyya, trad. Lewis, Islam, t. I, 159).

Al-Ghazâlî grandit à Bagdad. Il étudie longuement les philosophes antiques pour pouvoir les réfuter. Il s'oppose à Averroès. Pour lui, la philosophie est dans le vrai dans la mesure où elle enseigne les même vérités que le Coran et forcement erronée si elle dit autrement. Ses ouvrages, Les intentions des philosophes et L'incohérence des philosophes écrits en 1095, ont une grande répercussion. De ses travaux date le déclin de la philosophie grecque dans le monde islamique. Mais Al-Ghazâlî est finalement déçu par la Kalam et se réfugie dans la mystique soufie.

Les seldjoukides, sunnites, luttent par les armes contre la secte des Assassins ismaéliens, mais aussi en formant le peuple à la juste doctrine sunnite. Leur ministre Nizam al-Mulk nomme Al-Ghazâlî à la tête d'une medersa. Al-Ghazâlî y tente une synthèse du kalam et du soufisme. L'orthodoxie sunnite est présentée dans toute sa rigueur doctrinale, mais enrichie de la mystique soufie. Toutes les sciences sont maintenant enseignées dans sa medersa : mathématiques, astronomie, médecine. Mais le préalable à toute étude reste l'apprentissage par cœur du Coran et l'étude de la Tradition. Les études coraniques cessent d'être réservées à une élite religieuse : le peuple manifeste son enthousiasme et afflue dans les medersa.
Le chiisme se marginalise avec la conquête seldjoukide, le sunnisme se structure et se popularise.

Au moment où la chrétienté redécouvre Aristote dans des traductions de plus en plus fiables et crée des Université indépendantes du magistère de l’Église, le Dar al-Islâm assujettit officiellement la science à la théologie et rejette Aristote et sa logique.

Il faudra que les Ottomans soient envahis au cœur de leur empire pour qu'ils acceptent de réformer leur enseignement. Nous serons alors au XIXe siècle, 700 ans après les premières « libertas academica » européennes.
 
LA GÉOGRAPHIE : CHACUN COMMENCE À S'INTÉRESSER À L'AUTRE.

La géographie musulmane :

- Au IXe siècle, le premier géographe musulman est le Persan Ibn Khordâdhbeh.
Il est fonctionnaire de la poste. Hors des frontières musulmanes, sa connaissance de l'empire byzantin est assez correcte. Le reste du monde est méconnu, il le divise en 4 parties : l'‘Urûfa (regroupant l'Europe et l’Afrique du Nord), la Libye, l’Éthiopie et la Scythie.

- Au Xe siècle, Mas’ûdî (mort en 956) a acquis des Syriaques la connaissance de l’Europe. Il sait que des hommes à cheveux clairs et yeux bleus vivent au nord. Sa connaissance est manifestement indirecte : « Leurs cheveux sont flottants et roux par l’effet des vapeurs humides. Leurs croyances religieuses sont sans solidité à cause de la nature du froid et du manque de chaleur. Ceux d’entre eux qui habitent le plus au Nord sont les plus grossiers, les plus stupides et les plus bestiaux. Ces caractères s’accentuent chez eux davantage à mesure qu’ils sont plus éloignés dans la région du nord… Les hommes qui habitent à soixante et quelques milles au-delà de cette latitude sont les tribus de Gog et Magog. Ils appartiennent au sixième climat et ils comptent parmi les bêtes ».

- Le géographe arabe al-idrisi (1099-1166) réalise une carte du monde pour le roi de Sicile, Roger II. Elle est conservée au musée du Caire. Il travaille à partir des connaissances de l'administration fiscale musulmane et des archives siciliennes byzantines. Soucieux d'objectivité, il interroge des voyageurs pour confirmer ses données. Il reprend le quadrillage chinois et dessine également une terre plate. Une terre en demi lune regroupe l’Europe, l’Asie et le moyen-orient. Elle est séparée du triangle de l’Afrique par la méditerranée. Un océan circulaire entoure la terre ferme. Le monde est centré sur la Mecque.

- Yaqout (1179-1229)
est un géographe qui travaille au moment de la conquête mongole. Il écrit « le livre des pays », première liste des terres étrangères réalisée en terre d'islam.

En Espagne, dans le creuset andalou, la terre est ronde.
En 1375, l'Atlas Catalan dessine une terre ronde,
en suspension dans l'air. La légende de l'atlas annonce « Ne craignez rien, me dit le Seigneur, car J'ai suspendu la terre dans le néant. ». Elle reste néanmoins au centre de l'univers, entourée de 3 cercles concentriques : un pour chaque élément : l'air, le feu et l'eau. Puis viennent les sept cercles porteurs des 7 corps célestes flottants puis le dernier cercle avec les étoiles dites fixes. Le roi de France Charles V l’acquiert en 1380. Son auteur serait un Juif de Majorque, Cresques Abraham.

Les explorateurs sont chrétiens :
- Au XVe siècle, le Frère Ysalguier séjourne 8 ans à Goa.
Il ramène à la cour de France un médecin noir, Ben Ali, qui soigne et guérit le dauphin le futur Charles VII en 1421. À la veille de la conquête de l'Amérique, aucun racisme vis à vis des noirs n'existait en occident.
- En 1447, Atonio de Malfante, un génois, est le premier occidental à explorer le Sahara et le Niger.
- Acores, Madère et les Canaries sont découvertes au XVe siècle : elles seront des relais indispensables pour la conquête de l'Amérique.

La Mecque reste le centre du monde pour les musulmans, comme Jérusalem l'est pour les chrétiens, le mont Mérou pour les hindous et la Chine pour les chinois.
 
LA CROISADE AU XIIe SIÈCLE : SALADIN REPREND JÉRUSALEM.


Dès le XIIe siècle, le pape vend des indulgences qui permettent au chrétiens d'être absouts de leurs fautes sans partir en croisade. Ce commerce fera le lit du protestantisme.

La création des États latins d’Orient par les croisés : moines soldats, hôpitaux et charité.
En 1113, des marchands d'Amalfi fondent un hôpital dépendant du monastère bénédictin de Sainte-Anne, près du Saint-Sépulcre. Le pape autorise des chevaliers à le protéger. Dès 1120, ces chevaliers peuvent prononcer leur vœux : cela fonde l'ordre de l’hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. Le roi Baudoin II les installe sur le site du Temple de Salomon, dans la mosquée Al-Aqsa : ils reçoivent le surnom de Templier. Ils servent de banquiers aux croisés. En partant d'Europe, les croisés laissent leur argent aux Templiers en échange d'une lettre de change.

En 1184, Ibn Djubair voyage en Syrie à travers les états francs. Il remarque la saleté de Saint Jean d’Acre, ville fondée par les croisés : « C’est une terre d’impiété et d’incroyance, infestée de porcs et de croix, remplis d’immondices et d’ordures, couverte de saletés et d’excréments ». Mais il remarque aussi que les pauvres y sont mieux traités qu’en terre musulmane : « Des pensées séditieuses font vaciller le cœur de la plupart des musulmans quand ils voient la situation de leurs frères dans les territoires sous autorité musulmane et constatent que la manière dont on les traite est à l’opposé de la bonté et de l’indulgence de leurs propres maîtres francs. C’est un des malheurs qui accablent les musulmans de voir le peuple islamique se plaindre de l’oppression de ses dirigeants et louer la conduite des Francs, leurs rivaux et leurs ennemis, qui l’ont conquis et l’apprivoisent par leur justice. ».

La prise de Jérusalem n'a pas suscité de grandes réactions à Bagdad, ni au Caire. Amin Maalouf l'a brillamment montré dans « Les croisades vues par les Arabes » (Lattès, 1983). Ce sont les attaques contre le Hedjaz qui déclencheront la réaction musulmane.
En 1182, Renaud de Châtillon, depuis la forteresse de Kérak, se met à piller les caravanes, y compris celles des pèlerins en route vers la Mecque. Il attaque des bateaux en Mer Rouge, ainsi que les ports du Hedjaz. Saladin déclare alors le djihad contre les croisés. En 1187, Saladin reprend Jérusalem. Protégeant les autres chefs croisés, Saladin décapitera Renaud de Châtillon de ses propres mains. Il préserve le commerce avec les marchands chrétiens et se justifie ainsi : « il n'y en a pas un qui ne nous vende des armes de guerre, ce qu'ils font à leur détriment et à notre avantage. ». Seul domaine technologique occidental accepté sans réticence par les musulmans, l'armement continuera à être importé vers le Dâr al-Islâm.

Au Xe siècle, Tabarî ne considérait pas Jérusalem comme sacrée (P515 AL-Tabarî, Ta’rikh…,op. cit., I, pp. 2408-2409 ). Jérusalem ne devient « Ville sainte de l'islam » qu'après sa reconquête sur les croisés.

De nos jours, certains musulmans vivant en Europe perçoivent les croisades comme une agression tant est implantée en eux la légitimité de la guerre sainte. Les croisades sont en fait la réponse de la chrétienté à 4 siècles d'attaques musulmanes... et cette réponse militaire est un échec.
 
AU XIIIe SIÈCLE : CONSTANTINOPLE EST PILLÉE PAR LES CROISÉS. L'ISLAM RECULE EN EUROPE MAIS AVANCE EN RUSSIE ET GAGNE LES CROISADES.

En 1204, l'appel à la Quatrième Croisade a moins de succès que prévu.
Moins d'engagés doivent néanmoins payer aux Vénitiens la totalité du prix prévu pour le transport en bateaux. Pour financer leur voyage, les croisés acceptent d'aider l'héritier byzantin à récupérer son trône occupé par son oncle. Les croisés se détournent vers Constantinople, mais les caisses de l'empire sont vides. Malgré l’interdiction du pape Innocent III, les croisés pillent Constantinople. Sculptures antiques et médiévales, œuvres d'art et bibliothèques sont détruites pendant trois jours de folie. C’est le début du déclin de l'empire byzantin. Mais des œuvres d'art arrivent en occident et préparent la Renaissance. Othon de la Roche, officier franc-comtois, pille Constantinople. Le Saint Suaire dit « de Turin » réapparaîtra en Champagne chez son arrière petite fille, 150 ans plus tard.

En 1212, les rois chrétiens de la péninsule ibérique sont victorieux des almohades à Las Navas de Tolosa.
En 1248, Ferdinand III reprend Séville. La Reconquista fait reculer le Dâr al-Islâm en Europe.

De 1228 à 1229, la Sixième Croisade, commandée par l’empereur d’Allemagne Frédéric II Hohenstaufen (1094-1156), est un succès diplomatique qui se termine sans combat. Frédéric II négocie le partage de Jérusalem avec le sultan d’Égypte. C'est la dernière fois que les chrétiens gouvernent Jérusalem. Frédéric II est une personnalité controversée. Savant, il autorise les dissections, mais va jusqu'à faire éduquer deux enfants sans leur parler pour comprendre la naissance du langage : les enfants décèdent. Il espère étendre son empire en Italie et menace Rome en 1240. Le pape prononce la croisade contre lui, et promet les mêmes indulgences qu'aux croisés de Terre Sainte. Cet abus favorise la perte de prestige de la papauté.

Entre 1237 et 1240, les Tatars de la Horde d’Or conquièrent la Russie. En 1252, ils se convertissent à l’islam.
La limite septentrionale de la conquête musulmane est atteinte. À la fin du XVe siècle, les russes se libèrent des Tatars et commencent leur avancée vers les mers du sud qui les mènera jusqu'à l'Ouzbékistan avant d'échouer à conquérir l’Afghanistan en 1979.

En 1291, des italiens, arrivés depuis peu en Orient, massacrent des marchands dans le bazar de Saint Jean d'Acre sous prétexte qu'ils sont musulmans. Les chefs Templiers souhaitent les punir et essaient d’amadouer le sultan Al-Ashraf. Mais celui-ci attaque la ville et la prend. Après la chute de Saint-Jean d'Acre, les autres villes tombent rapidement. Des civils s'enfuient par la mer, les Templiers survivants sont pendus, les civils restant sont réduits en esclavage. C'est la fin des croisades et la victoire de l'islam.

Cette victoire explique qu’en terre d’islam, les croisades sont vues comme une grande victoire musulmane, prédictive de la victoire finale de l’islam sur la chrétienté. Les musulmans vivant en Europe, influencés par leur éducation occidentale, perçoivent, eux, les croisades comme une agression. Seule la culpabilité intellectuelle des occidentaux fait des croisades la justification à priori de toutes les déviances extrémistes de l'islam contemporain.

Les européens ne peuvent plus accéder à l'Asie par le Moyen-Orient, ils vont essayer de passer par l'Afrique.
 
1258 : CHUTE DE L'EMPIRE ABBASSIDE. BAGDAD EST DÉTRUITE.

La faiblesse de l'empire.

Sa richesse économique est basée sur l'agriculture, le commerce et les conquêtes militaires. La production artisanale et artistique est remarquable mais les travailleurs manuels sont méprisés. La réussite est incarnée par la proximité du pouvoir : seuls les fonctionnaires et les militaires sont respectés. Mais ces métiers sont économiquement improductifs. Dans un état tentaculaire, les fonctionnaires prennent une place prépondérante. Les payer entraîne une pression fiscale qui ruine la paysannerie et nuit au commerce. La paysans vendent leurs terres aux grands propriétaires terriens et émigrent vers les grandes villes où ils forment un sous-prolétariat. L'empire s'affaiblit.

La conquête des mongols : en 1258, Bagdad est détruite.
Gengis Khan et ses hordes déferlent des steppes asiatiques sur les frontières est de l'empire. En 1220, l'Ouzbékistan tombe aux mains de Gengis Khan. Les Mongols avancent vers l'ouest, envahissant l'empire abbasside. En 1258, le Mongol Hulegu est sous les murs de Bagdad. Malgré une résistance de plusieurs semaines, la ville tombe. Le Calife al-Mustasim est maintenu en vie le temps qu'il révèle l’emplacement de ses trésors, puis il est tué. Les habitants de Bagdad sont massacrés, sans épargner ni les femmes ni les nouveau-nés : 80 000 cadavres se décomposent à l'air libre. Les chrétiens, réfugiés dans les églises, sont épargnés sur l'ordre d'Hulegu. De rares adolescents sont laissés en vie pour devenir esclaves. Les trésors des abbassides, accumulés depuis 5 siècles, deviennent propriété des mongols. Puis ils se retirent, devant la puanteur de la ville emplie de cadavres. Dans les années qui suivirent, Bagdad survit, petite ville de province réduite au dixième de son ancienne surface.
Les Mongols apportent la « Yasa », la législation de Gengis Kahn régissant les usages politiques et sociaux des peuples de la steppe ; elle prédominera sur la charia.

La relecture musulmane : l'islam est forcement la vérité, il ne peut que triompher. Allah donne la victoire aux musulmans.
Après la chute de Bagdad, la désarroi psychologique des musulmans ne peut s'imaginer. Le prestige du Califat de Bagdad était intact, porteur de la foi inébranlable en la supériorité de l'islam.
Les musulmans craignent que le règne de Gog et Magog ne soit arrivé. Mais, rapidement, les mongols vont devenir musulmans. Au XIII e siècle, lors de leur prise du pouvoir en Égypte, les mamelouks, eux aussi fraîchement islamisés, restitueront le Califat à un descendant de Mahomet.
L'historien tunisien du XIVe siècle, Ibn Khaldûn (1332-1406) donnera une explication qui satisfera la croyance musulmane. Les Mongols sont une bénédiction d'Allah, car leur vitalité a sauvé l'empire musulman du déclin de l'état abbasside. Avec Ibn Khadûn, l'histoire musulmane commence à s'intéresser, prudemment, aux autres civilisations. L'histoire écrite par les musulmans est habituellement un panégyrique des puissants au service de la foi. Ici, Ibn Khadûn poursuit une lecture typiquement musulmane : l'islam ne saurait faillir. Les envahisseurs se sont convertis, la croyance en la toute puissance d'Allah et en la victoire finale de l'islam est préservée.

Mais cette explication ne suffira pas toujours, car, un jour, ceux qui envahiront le Dâr al-Islâm en déclin ne se convertiront pas à l'islam.
 
L'ISLAM EST ATTAQUÉ. VA-T-IL S'ADAPTER ?

Les invasions qu'ils subissent, obligent les musulmans à s'interroger. Le doute qui a troublé Mahomet après la défaite d'Uhud s'immisce à nouveau dans la pensée musulmane.

La Réponse politique. Ibn Khaldûn (1332-1406) voit l'invasion mongole comme un bienfait d'Allah pour sauver l'islam du déclin.
Ibn Khaldûn confirme : le Coran est La Vérité :
Muqaddima VI,10 : « Le Coran est la parole de Dieu révélée à son Prophète et transcrite sur les pages du Livre. ».
Le djihad et la fusion des pouvoirs : « Dans l'institution religieuse islamique, la guerre sainte est une prescription religieuse en raison de l'universalité de l'appel en vue d'amener la totalité des hommes à l'islam de gré ou de force... Pour les autres institutions religieuses [les chrétiens] leur mission n'est pas universelle pas plus que la guerre sainte n'y est prescrite, sauf seulement pour se défendre. Celui donc qui est en charge de la religion ne s'occupe en rien des affaires politiques. » (Muqaddima, III, chap 33, p. 408).

La réponse spirituelle. Ibn Taymiyya
(1263-1328) souhaite revenir à l'islam des origines perçu comme le modèle mythique inimitable. Il récuse tous les philosophes y compris Al-Ghazâli. Il affirme la toute puissance d'Allah. Al`Aqida Al Wasitiyya : « Parmi les principes établis dans le Coran et la Sunna et sur lesquels les pieux Prédécesseurs sont tous d'accord, il y a également la distinction entre le vouloir (mashî'a) d'Allah et Sa volonté (irâda), d'une part, et entre Son amour, d'autre part. En effet, le vouloir d'Allah et Sa volonté universelle concernant toute créature, qu'elle soit aimée d'Allah ou non, [...] Allah fait ce qu'Il veut, et lorsqu'Il veut une chose, Il lui dit : « Soit ! » et elle survient. ». Il entre en opposition frontale avec les Mamelouks qui sont moins rigoristes. Emprisonné à plusieurs reprises, il mourra en prison. De sa prédication date l'apparition du mythe de la société idéale de l'oumma de Mahomet qui est repris par le wahhabisme.

L'islam n'évoluera pas : même la vie intellectuelle reste soumise à la théologie, comme le montre l'exemple du médecin syrien Ibn al-Nafis (1213-1288).
Il pratique des dissections et décrit la circulation sanguine entre le cœur et les poumons. Ces travaux n'auront aucune postérité en terre d'islam. Une fois de plus, aucune école de pensée autonome ne peut se déployer indépendamment de la théologie. Pas plus que Rhazès, Al-Nafis n'aura d'héritier musulman.

En Europe, le savoir se transmet indépendamment de la théologie. Les hommes ne sont pas meilleurs qu'ailleurs, mais leur fonctionnement est autre. En 1527, Andrea Alpago, le médecin du Consulat de Venise à Damas, traduit les « Commentaires du Canon de Sina » d'al-Nafis. Michel Servet les lit et décrit la « petite circulation », avant d'être condamné à mort par Calvin en 1553. Ses travaux inspireront Harvey (1628) dans la description de la « grande circulation ».

La vérité est le Coran. Toute science passe par son apprentissage. Allah n'aime pas toutes Ses créatures, Il est Tout Puissant sur terre et ordonne la guerre.

Les différences fondamentales qui existent entre Yahvé (Créateur du bien et de la liberté) et Allah (Créateur du bien et du mal), entre la vérité des chrétiens (le Christ), et celle des musulmans (le Coran) n'ont pas fini de structurer des civilisations différentes.
 
L'INQUISITION.

L’Église refuse de pratiquer la violence, elle la délègue aux laïcs. En 1148, l'arrangement de Vérone dit que « les hérétiques doivent être jugés par l'Église avant d'être remis au bras séculier. », ce qui peut sembler une hypocrisie.
En 1173, Vaudès, un marchand lyonnais, fait traduire la Bible en français. En 1179, la pape l'autorise à prêcher dans les paroisses avec l'accord du curé. Le mouvement vaudois se répand. Vaudès revendique l'accès direct à la parole de Dieu, mais il se heurte au monopole de l’Église. Il est finalement jugé hérétique.

En 1215, lors du Concile de Latran, la doctrine du jugement dernier est précisée. Yahvé n'étant pas responsable du mal, ni de la tentation des hommes, c'est Satan qui en est responsable : « Le diable et les autres démons ont été créés bons de nature par Dieu, mais ils sont devenus mauvais par eux-mêmes. L'homme a péché par suggestion du diable ». La signification de l'Eucharistie est réaffirmée : il s'agit bien du corps et du sang du Christ. Des miracles eucharistiques avaient confirmé cette croyance ancestrale. Le pardon est obtenu par la confession qui remplace les rites de pénitence (jeûnes et pèlerinages). La confession a probablement favorisé l’essor des sciences par l'habitude de réfléchir sur soi-même.

En 1231, Grégoire IX fonde l'Inquisition. Il s'agit d'un tribunal de l'Église catholique romaine relevant du droit canon. C'est initialement un tribunal de discipline ecclésiale mais qui sert rapidement à lutter contre les hérétiques : Vaudois, Cathares, Patarins. L’Église ne dispose d'aucun pouvoir, elle n'usera que de celui que lui prêtent les institutions laïques « des princes et des gouvernants » (« Hérésie et inquisition dans le midi de la France », Biget, Ed. Picard. 2007). L’Église encourage la conversion et préconise les prières et les pèlerinages en vue du pardon. Ni la torture ni les condamnations à mort ne sont la règle. Dans une société qui pratique la torture couramment, l’Église n'emploiera la torture que dans moins de 10% des procès, envers ceux qui refusent de se repentir, et elle en délègue l'usage aux laïcs. Tous les débats sont notés. L'état de droit s'instaure. C'est de l'inquisition que date la classification en index.

En Italie et en France, des villes se rebellent contre les juges. En 1242, l'inquisiteur Arnaud est massacré au château d'Avignonet.

L'inquisition est dévoyée par sa récupération par le pouvoir temporel. Les seigneurs s'associeront aux clercs pour réprimer l'hérésie cathare qui prêche la dissolution du système féodal. En 1314, Philippe le Bel aura recours à l'Inquisition contre les Templiers pour s'approprier leurs biens. À partir de 1478, Isabelle la Catholique l'importera en Espagne, pour recréer l'unité du pays autour de la foi chrétienne. Le Portugal fera de même en 1531. Les Rois nomment le grand Inquisiteur qui ne dépend plus du pape. Au XVe siècle, le dominicain Torquemada incarne l'horreur de l'Inquisition : 2000 condamnations à mort sur 100 000 jugements. Il dirigeait alors l'Inquisition sous les seuls ordres du roi.

La mauvaise réputation de l'Inquisition sera définitivement construite par la IIIe république en France. Son anticléricalisme réinventera l'histoire pour gommer la modération habituelle de l'Inquisition de l’Église, modération relative, certes, mais réelle, comparée à celle de la justice laïque.
 
PESTE, GUERRE, FAMINE : ACTIONS DU DIABLE OU MISÈRE DU TEMPS ?

L'islam croit Allah Tout Puissant. Rien sur terre, ni le bien ni le mal, ne peut survenir sans Son accord, d'où le fatalisme musulman.

Le christianisme pense différemment : Dieu est innocent du mal.
Dès le Moyen-âge, des chrétiens cherchent la responsabilité des calamités ailleurs que dans le surnaturel. Ainsi, Jean de Sassenage explique-t-il une inondation qui ravage Grenoble en 1219, par la « rupture du barrage qui retenait le lac de l'Oisans », même s'il en rend également responsable « notre adversaire le diable ». Le mont Granier s'effondre en 1248 en Savoie. Un chroniqueur anglais, Mathieu Paris, recherche les causes de l'éboulement dans les notions physiques d'Aristote, tout en supposant qu'il s'agit de la juste punition de Dieu. L'homme est responsable de la terre : il va donc essayer de la comprendre.

De 1348-1350, la peste noire décime un quart de la population en Europe. La météorologie est très mauvaise,
les années froides succèdent aux années pluvieuses. La famine fait des ravages en Europe. Les malheurs du temps contribuent à accréditer l'idée que des démons manipulent les hommes. Cela créera les conditions de la chasse aux sorcières qui débutera quelques siècles plus tard. Il est difficile de résister à la superstition quand le malheur frappe.
Entre 1337 et 1453, la Guerre de 100 ans dévaste la France, la famine sévit. Libre de tout fatalisme, Jeanne d'Arc* (1412-1431), la fille de Donrémy, va devenir chef d'armée. La jeune fille, inspirée par les voix de l’archange Saint Michel, de Sainte Catherine et de Sainte Marguerite, convainc le roi qu’il est légitime. Elle se voit confier une escouade de ravitaillement. À sa tête, le 8 mai 1429, elle libère Orléans assiégée par les Anglais. Le verrou anglais est levé, le roi Charles VII peut aller se faire sacrer à Reims. Jeanne continue alors le combat sans l'accord du roi. Alors qu'elle se bat à Compiègne, elle est arrêtée par les Bourguignons et est vendue aux anglais. Elle est condamnée à mort pour hérésie et brûlée à Rouen le 30 mai 1431. Son procès en hérésie, entaché d'erreurs, sera cassé dès 1456 par le pape Calixte III. Elle sera canonisée en 1920.

Jeanne, chef de guerre, est une figure emblématique de la place qui était laissée aux femmes au Moyen-âge. Selon l'adage féodal, la femme est « Nec domina, nec ancilla, sed socia », « Ni maîtresse, ni servante mais compagne ». Ayant le droit de gérer ses biens en particulier après son veuvage, maîtresse de son douaire, régente de royaume ou de seigneurie, chef d'entreprise en particulier si elle est célibataire, la femme possède une personnalité juridique et peut témoigner en justice. La Renaissance entérinera un recul de la condition féminine en retirant aux femmes leur personnalité juridique, jusqu'au code Napoléon qui en fera une éternelle mineure*. L'oppression de la femme n'est pas un fruit du christianisme, mais la conséquence du retour d'un certain paganisme à la Renaissance.

Homme et femme sont créés ensembles à l’image de Dieu, égaux dans la mariage et responsables de la terre (Genèse 1-27-31).
Vont-ils succomber à la superstition en rendant Dieu ou le diable responsables de tout, ou au contraire rechercher, par leur propres ressources, à comprendre les forces de la nature ?


* : « 150 idée reçues sur l'histoire ». Historia, Pocket, 2010.
 
XIIe/ XIIIe SIÈCLE : LES PRÉMICES DES SCIENCES EXACTES APPARAISSENT EN TERRE CHRÉTIENNE.

Les copistes ont multiplié les ouvrages grecs enfin correctement traduits.

En Europe, l'observation et l'expérience :
Robert Grosseteste (1168-1253), physicien, chancelier de l'université d'Oxford et évêque de Lincoln,
met en place le concept de sciences expérimentales : l'observation doit servir à découvrir et comprendre les lois de la nature.

Vincent de Beauvais (1190-1264), un dominicain français, écrit la « Bibliothèque de l'Univers, ou Miroir général », où il regroupe tout le savoir humain en partant de la Genèse mais en l'expliquant à partir des écrits grecs et arabes.

En 1267, Roger Bacon, un franciscain anglais, philosophe, mathématicien, physicien, médecin et naturaliste, publie à la demande du pape Clément IV, son « Opus majus ad clementem Papam ». S'y mêlent les exigences des mathématiques et de l’expérimentation à son désir de confirmer la foi chrétienne par la raison. Pour lui, « aucun discours ne peut donner la certitude, tout repose sur l'expérience ».

En 1245, l'Église fonde le Studium generale à la cour pontificale en Italie. Les clercs et les laïcs y étudient le droit, la médecine, les mathématiques, l'optique, astronomie et la philosophie. Le pape Jean XXI signe « de oculo », un traité d'optique.

Les apports musulmans venant de l'Espagne reconquise :
En 1252, Alphonse X, surnommé le Sage,
devient roi de Castille et de Léon. Il s'installe à Tolède et fonde à Murcie une « medersa » (université), commune aux trois monothéismes. Elle va transmettre à la chrétienté les découvertes musulmanes. Les mathématiques arabes (le calcul décimal, les équations de l'algèbre, la trigonométrie. « L’Algèbre » d’al-Khayyâm ne sera accessible qu'en 1851), la physique arabe (la pesanteur, le centre de gravité, la théorie des leviers) et l'astronomie arabe (l'astrolabe) arrivent en occident. Dès la fin du XIIe siècle, les traités d'optique d'Alhacen avaient été traduits en latin.

Ces découvertes musulmanes sont importantes, mais gardent plusieurs spécificités :
- Les musulmans ne font preuve d'aucune curiosité pour les découvertes non musulmanes faites après la naissance de l'islam et ils ne gardent des textes grecs que ce qui est conforme au Coran.
- Dépositaires de la science grecque depuis des siècles, les musulmans n'ont pas mis en place les sciences exactes, incapables qu'ils étaient de concevoir une vérité démontrée par la raison pure et indépendamment de leur texte saint.
- Les savants musulmans ne fondent jamais d'école de pensée, ils restent isolés. Chaque nouvelle génération se forme d'abord par l'étude coranique, et oublie les acquis scientifiques de ses prédécesseurs. Ni Rhazes en médecine, ni Averroès en philosophie, ni Alhacen en optique, n'auront de successeurs.

La synthèse entre philosophie et foi chrétienne. Albert le Grand (1200-1280) est un dominicain allemand, physicien et botaniste. En 1270, il publie une encyclopédie naturaliste inspirée du « De animalibus » d'Aristote, mais basée sur l'observation. Il remarque déjà que les livres d'Aristote contiennent des erreurs. Il travaille à partir des textes grec, des textes latins de Sénèque ou de ceux des arabes (Al Kindi, Averroès, Alhazan), pour élaborer une synthèse entre philosophie et foi chrétienne.
 
SAINT-THOMAS D'AQUIN (1225-1274) ET LA NAISSANCE DE LA SCOLASTIQUE.

Thomas d'Aquin a été l'élève d'Albert le Grand
qui a enseigné la théologie pendant 3 ans à l'université de Paris. Les universités forment un réseau par lequel se transmet le savoir, créant des courants de pensée. L'imprimerie, encore à venir, renforcera encore ce travail collectif.

De 1269 à 1274, Thomas d'Aquin rédige « La somme théologique » où il tente de réconcilier raison et théologie. Pour lui la foi n'a rien à craindre de la raison et il travaille sur la logique d'Aristote à la recherche de la vérité qu'il pense pouvoir trouver par une autre voie que par la voie de la théologie. L'analyse de son œuvre montre qu'il se sert des traductions d'Aristote faites par Jacques de Venise au Mont-Saint-Michel. Néanmoins il connaît les travaux de Maïmonide et d'Averroès, qui ont cherché, avant lui, à démonter les vérités théologiques par la raison pure et non par la récitation des textes saints. Moins de 50 ans après sa mort, en 1323, Thomas d'Aquin est canonisé après avoir suscité une courte polémique. Les Juifs mettront des siècles a accepter le génie de Maïmonide qui, le premier, avait affirmé qu'il fallait rechercher le contenu allégorique de la Bible, quand la science avait contredit le sens littéral du texte. Averroès, qui avait juste souhaité confirmer par la raison le Coran, à la lettre près, a été persécuté par ses frères musulmans et n'a porté aucun fruit en terre d'islam.

Aristote transmet les outils intellectuels de l'objectivité, sa rationalité portera les prémices de la scienc exacte en occident. Néanmoins, les positions d'Aristote ne peuvent pas être reprises totalement par Thomas d'Aquin. En effet :
- La notion judéo-chrétienne de Création s'oppose à l'éternité de la matière d'Aristote,
- La Providence divine s'oppose à l'indifférence de Dieu, supposée par Aristote. Dieu a créé des hommes libres, mais Sa Puissance s'exprime par des actes bienveillants, en particulier en réponse à la prière des hommes. « Tout concours au bien de celui qui aime Dieu » (Romains 8-28).
- L'immortalité des âmes s'oppose à la perte de l’âme individuelle de l'homme lors de sa mort, supposée par Aristote.

Albert le Grand avait remarqué les erreurs scientifiques d'Aristote, Thomas d'Aquin pointe ses incompatibilités avec la foi chrétienne. La vérité persiste à fuir les chrétiens. Aucun texte, même sacré, ne peut la contenir ; aucune science, même grecque, ne peut la définir. La Vérité est le Christ, proche et inatteignable à la fois.

Saint Thomas d'Aquin sera à l'origine de la scolastique, une école de pensée qui tend à sacraliser la position d'Aristote et des grecs antiques.
Initialement porteuse d'innovation, la science grecque trouvera ses limites. Les humanistes, formés à la scolastique, critiqueront rapidement son conformisme. Rabelais (1490-1553) en fera une critique d'autant plus percutante qu'elle est pleine d'humour. Son géant Gargantua est éduqué par les scolastiques qui lui enseignent à réciter par cœur les textes des Anciens. Son père Grangousier remarque qu'il n'en devient pas plus intelligent et le rend à sa libre éducation. Il lui laisse la possibilité de réaliser lui même ses expériences, même si celles-ci consistent à choisir le « torche-*** » le plus duveteux parmi les oiseaux.

La liberté de pensée est en route, légère comme l'insolence, porteuse de pluralité et de vérité.
 
LA CONTRIBUTION DE L'ARTISANAT AU DÉVELOPPEMENT SCIENTIFIQUE. MESURER LE TEMPS.

La science est impossible sans mesure du temps.

L’horloge à eau (la clepsydre) et le cadran solaire ont été inventés dans l'antiquité. Au XIIIe siècle, l'artisanat apportera un progrès décisif en inventant le balancier mu par des poids.

La première trace d'une horloge à balancier se trouve dans l'inventaire du roi Philippe le Bel (1268-1314) : « Un Reloge d’Argent tout entièrement sans fer à deux contrepoids d’argent emplis de plomb qui fut au Roy Philippe le Bel ».
Les clochers des églises s'ornent d'horloges. Le gros horloge de Rouen est en place dès la fin du XIVe siècle. Mais rapidement, les particuliers en possèdent. En 1484, un astronome nommé Waltherus en aurait utilisé une pour ses observations.
En terre d'islam, la connaissance du temps est essentielle à la pratique de la foi. Le munajjim, à la fois astrologue et astronome détermine quand lancer une nouvelle entreprise ou le moment précis des 5 prières quotidiennes. Malgré ce besoin religieux, les musulmans ne feront que perfectionner la clepsydre.
En 1560, Ogier Ghiselin de Busbecq est ambassadeur du Saint Empire Romain germanique auprès du Sultan à Istamboul. Il écrit : « Aucune nation s’est montrée moins hostile à adopter les inventions utiles des autres ; par exemple, ils se sont appropriés les gros et les petites canons.... Ils n’ont cependant, jamais pu se résoudre ... à installer des horloges publiques.... Ils pensent que l’installation d’horloges publiques diminuerait l’autorité de leurs muezzins et de leurs vieux rites. ».

En occident, le mécanisme des horloges se perfectionne sans cesse. Au XVIe siècle, le ressort permet de miniaturiser les horloges. Puis en 1657, Christian Huygens, mathématicien, astronome et physicien néerlandais, applique aux horloges la théorie du pendule oscillant de Galilée. Il parvient à régulariser le mouvement du balancier.

Au au XVIIIe siècle, les ottomans s’intéressent aux horloges. Cadeaux diplomatiques ou importations, les horloges se répandent, au point que les inventaires des successions montrent que les particuliers aisés possédaient souvent plusieurs horloges. Mais, les traités commerciaux stipulent qu'un horloger capable de l’entretenir doit les accompagner. De 1630 à 1700, la guilde des horlogers à Istanbul est constituée uniquement d’émigrés européens.

Le calendrier musulman, lunaire, est impropre à tout usage autre que religieux. En Égypte, l'usage du calendrier solaire persiste après la conquête musulmane. En 1790, l'empire ottoman établit son année financière, « maliye », à partir d'une synthèse des mois byzantins et du comput musulman. En Iran, l’année musulmane est associée au anciens mois solaires perses. Tous ces calendriers sont décalés les uns par rapport aux autres : finalement le calendrier grégorien chrétien s’imposera.

Le passage du temps reste une interrogation théologique et philosophique pour les savants musulmans et ils n'ont pas cherché à le mesurer. S. 45-23 : « Les incroyants disent : « Il n’y a point d’autre vie que la vie actuelle. Nous mourons et nous vivons, le temps seul nous anéantit. » Ils ne savent rien ; ils ne forment que des suppositions. ».

La mesure exacte du temps est le préalable indispensable à la science moderne. Les musulmans en sont restés à sa perception mystique.
 
L’IMPRIMERIE.

Au XIe siècle, les chinois
inventent les caractères mobiles en terre cuite, donc à usage unique. Les Coréens réalisent les premiers caractères mobiles en métal en 1234. En 1403, le roi coréen Htai-Tjong favorisera la diffusion des livres pour « répandre la connaissance des lois et des livres de façon à remplir la raison et à rendre droit le cœur des hommes. ».

Rapportée par Marco Polo, la connaissance de l’imprimerie ne suscite pas grand intérêt.
En 1452, Gutenberg (1400-1468) réinvente ou adapte la découverte asiatique. Il met au point des caractères mobiles en plomb, une encre adaptée et la presse à imprimer. Le premier livre imprimé est la Bible, tirée à 180 exemplaires, dont 48 nous sont parvenus. Marque d'une exceptionnelle diffusion, une Bible issue de ce premier tirage se trouve au Japon.
Gutenberg est associé à un financier retord, Fust, qui lui a prêté de l’argent moyennant un intérêt à 6%, garanti sur son matériel d’imprimerie. Dès l’origine, les découvertes avancent main dans la main avec le capitalisme. Gutenberg sera ruiné dans l’affaire et ne devra sa survie économique qu’à la protection de l’Archevêque de Mayence Adolphe II de Nassau. Les institutions ont également un rôle de Mécène à remplir.
L’Europe compte 100 millions d'habitants. Avant la fin du XVe siècle, 35 000 ouvrages différents seront imprimés pour un total de 20 millions d'exemplaires ! L'imprimerie va favoriser la diffusion des connaissances de la Renaissance. Associée à l’existence des universités indépendantes des pouvoirs temporels et spirituels, l'imprimerie favorisera la diffusion des connaissance et le travail d'équipe. Mais l'imprimerie va aussi favoriser la diffusion d’erreurs. Les imprimeurs ont besoin de manuscrits à imprimer et ils puisent dans le fond des manuscrits du Moyen-âge et en diffusent les erreurs.

L’Église entre modernité et archaïsme.
En 1451, la pape Nicolas V crée la Bibliothèque Vaticane,
pour conserver le savoir de l'humanité depuis l'antiquité, y compris le savoir profane. Les premiers livres imprimées y trouveront leur place
De 1431 à 1449, le Concile de Bâle s’interroge sur l'action du diable. La sorcellerie existe-t-elle vraiment ? Les religieux ne sont pas d'accord, la sorcellerie est attribuée par certains à la superstition du peuple et à son inculture. Favorisé par la découverte de l'imprimerie, un ouvrage va structurer, décrire et normaliser la chasse aux sorcières. En 1486, le « Malleus maleficarum » (le Marteau des sorcières) aura une désastreuse diffusion.


L'islam refuse l'imprimerie. En 1551, Nicolas de Nicolay remarque qu'à Istanbul, seuls les caractères latins et hébraïques sont imprimés, « mais en turc ni en arabe leur est permis d’imprimer ».
En 1560, Ogier Ghiselin de Busbecq, ambassadeur du Saint Empire auprès du Sultan, en donne l'explication : « aucune nation s’est montrée moins hostile à adopter les inventions utiles des autres ; par exemple, ils se sont appropriés les gros et les petits canons et bien d’autres de nos découvertes. Ils n’ont cependant, jamais pu se résoudre à imprimer des livres... Ils soutiennent que leurs Écritures, c'est-à-dire leurs livres sacrés, une fois imprimés, perdraient leur caractère sacré ».

L'imprimerie n'est qu'un outil. Elle diffuse les erreurs autant que les exactitudes. L'islam se tient prudemment à l’écart de ses excès mais se prive également de ses avantages.
 
OULOUG BEG, LE SYMBOLE DES SCIENCES MUSULMANES OU COMMENT L'ISLAM N'A PAS SU FRANCHIR LE CAP DES SCIENCES EXACTES.

Ouloug Beg (1394-1449) est le petit fils de Tamerlan. Il devient gouverneur de Samarcande pendant le règne de son père et s'adonne aux sciences.

Il fait bâtir deux medersa, instituts d'éducation où les sciences sont enseignées dans l'optique musulmane. La structure de l'enseignement repose sur l'apprentissage du Coran et de la Tradition, préalable à tout autre apprentissage. Une medersa est inaugurée à Boukahra en 1417 et une autre à Samarcande. En 1429, il fait bâtir, à Samarcande, un observatoire astronomique gigantesque, dont l'arc d'observation faisait 40 m de diamètre.
Ouloug beg travaille à l’observation des étoiles avec une équipe de 70 mathématiciens et astronomes. Il publie les « Tables sultaniennes » (zij-e soltâni en persan). Leur précision ne fut dépassée que deux siècles plus tard en occident.

Ouloug Beg a-t-il réellement exprimé cette maxime : « Tout passe, les empires passent, même les religions passent, seule la science demeure. » ?
Son fils ainé, Abd ul-Latif, sous l'influence des soufis, s'oppose violemment à lui. Il reproche à son père son peu de foi : il a osé discuter de l'existence de Dieu avec ses étudiants. Abd ul-Latif lui tend un piège en 1439 et le fait assassiner.
L’observatoire sera rasé jusqu'au sol, seules ses fondations resteront enfouies dans le sol. En 1908, elles sont découvertes par l'archéologue russe Vladimir Viatkine. Son rayon faisait 40 m, sur un quart de cercle. Astrolabe géant, il mesurait les angles entre les étoiles.

Son collaborateur, Ali Quchtchi s'enfuit avec une copie des Tables sultaniennes qui, en passant par Tabriz et Istanbul, gagnent l'Europe.

Ce fut la dernière participation de la science musulmane à la grande aventure des sciences humaines. À l'aube de la Renaissance en occident, au moment où la logique scientifique s'apprêtait à s'affranchir définitivement des vérités spirituelles détaillées dans la Bible, pour trouver en elles-mêmes, par le calcul et l’expérience, leur propres démonstrations, Ouloug beg, le scientifique, était assassiné par des religieux.

La médersa d'Ouloug Beg continua à fonctionner jusqu'au XVIIe siècle, mais plus personne n'observa les étoiles. Ouloug Beg reste le symbole de l'évolution que la science musulmane n'a pas su suivre : s'affranchir de la vision globalisante de son texte saint, le Coran.

En 1577, Taqi al-Din (1526-1585), convainc le Sultan Murad III de construire un grand observatoire à Galata, un quartier d’Istanbul. Quelques années après, le grand mufti conseille au Sultan de le faire détruire et obtient gain de cause.
Au Danemark, son contemporain, Tycho Brahe (1546-1601), pouvait, lui, financé par son Souverain, observer le ciel sans limite.


Une page se tourne.
Les sciences arabes poursuivront leur route, basée sur apprentissage préalable du Coran et de la Tradition. Aucune découverte ne pouvant contredire le Coran, ni trouver sa démonstration dans un langage étranger au livre saint, les musulmans ne feront plus aucune découverte.
Favorisée par le bouillonnement des connaissances répandues anarchiquement par l'imprimerie, l'excellence scientifique appartient à l'occident chrétien.
 
LA NAVIGATION.

Dans l'Antiquité, les navires tenaient avec des cordages. Cela ne permettait pas la navigation en haute mer.
Les Égyptiens, les premiers, construisent des bateaux avec des tenons et des mortaises en bois. Les plus anciens, datés du XVIIIe siècle avant JC, ont été découverts à Mersa Gawaris sur les bords de la mer rouge (fouillés en 2005) et à Aïn Soukhna (fouillés en 2001).

Les musulmans craindront toujours les expéditions maritimes. Ils sont nomades de tradition et resteront des terriens.
Le Calife Omar 1er (581-644) interdit l’expédition de Chypre sur les conseils de son général car « la mer est une vastitude, sur laquelle les plus grands bateaux ne sont que grains de poussière… Il faut peu s’y fier et grandement la craindre. ».
Pour reprendre Alexandrie aux Byzantins en 655, les arabes construisent une flotte. Ils attachent leurs vaisseaux ensemble et combattent dessus comme on combat sur terre. La conquête musulmane d'Alexandrie marque le déclin de la ville portuaire : le phare tombe en ruine et la ville se dépeuple.

La navigation se développe en occident chrétien.
De 1031 à 1250, la république maritime d’Amalfi, en Italie, commerce par bateaux avec le bassin méditerranéen, créant des routes commerciales entre l'empire musulman et les royaumes chrétiens.
Gènes et Venise se disputent la suprématie maritime en méditerranée. En 1380, Venise bat Gênes à la bataille de Chiogga. Venise va commercer à son tour avec tout le bassin méditerranéen, tant avec l'empire byzantin qu'avec les états musulmans. La république de Venise pratique le trafic d'esclaves européens, en particulier slavons, vers le Dâr al-Islâm.

Une exception dans le Dâr al-Islâm, le navigateur musulman Ibn Majid.
En 1490, il écrit le « Kitab al Fawa’id » où il fait l'inventaire des connaissances nautiques en mer rouge et dans l’Océan Indien. Il servira de guide à Vasco de Gama dans son premier voyage vers l’Inde. Alcoolique, il est rejeté par les siens.

Au XVe siècle, les techniques de navigation devaient aux musulmans l’invention de la voile dite « latine » plus performante pour remonter au vent, le gouvernail arrière et la navigation astronomique. Mais :
- Les musulmans craignent d’employer des clous métalliques
, en raison d'une légende qui prétendait que des pierres magnétiques au fond des mers attiraient les clous. Les planches étaient donc fixées avec de la corde, comme dans l’antiquité. Cela interdisait la navigation au long cours.
- Le Coran signale l’existence de deux mers, « deux ondes » : S. 27- 61 ; S. 55-19-21, S. 25-53 et S. 35-12. Au moyen-âge, cela a été compris comme l'existence de deux mers. Les arabes connaissaient la mer méditerranée et l’Océan Indien. Ils n’ont pas cru bon de chercher ailleurs. Aujourd'hui, ces versets sont compris comme l’existence de deux types d’eau : l'eau douce et l'eau salée.
- La peur des êtres fantastiques. Le Coran dit que Ya’jouj et les Ma’jouj (Gog et Magog) ont été retenus aux limites de la terre par un mur protecteur (S. 18-93-97) et les contes des mille et une nuit racontent que des « griffons » ou des « rocs » empêchent le passage au sud de Madagascar.

Entre les peurs ancestrales, le conservatisme technologique et la lecture littérale du Coran, les arabes n’ont pas découvert l’Amérique…

« Les découvreurs », Boorstin, Lafont, 1983.
 
XVe SIÈCLE : PRISE DE CONSTANTINOPLE PAR LES TURCS, RECONQUISTA ESPAGNOLE ET DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE.

En 1453, le sultan ottoman Mehmet II
met le siège devant Constantinople. Le 29 mai, la ville est prise. Les canons ottomans ont été réglés par des artilleurs chrétiens. Œuvres d'arts, manuscrits, édifices remarquables sont détruits. Les archives générales de l'état sont jetés à la mer : cadastres, échanges commerciaux, traités. Une autre civilisation s'installe à Constantinople qui fera disparaître toutes les traces de l'empire byzantin pourtant millénaire. Quelques églises, dont Saint-Sophie, subsisteront. Elles seront transformées en Mosquée, ce qui en garantit la conservation.

En 1492, la défaite des musulmans en Espagne est définitive. Les musulmans et les juifs ont le choix entre la conversion au christianisme ou le départ. Torquemada est issu d'une famille de « Converso » qui préféra devenir chrétienne plutôt que de s'expatrier.
En 1492, le sultan Beyazid invite les juifs chassés d’Espagne à l’installer dans l’empire Ottoman. Il leur offre la protection de la dhimma. L'arrivée des juifs est l'occasion d'un transfert de technologie : artillerie, médecine, communication (théâtre et imprimerie). Le théâtre, d'origine païenne et grecque, avait disparu avec la conquête arabe, il est réintroduit au XVe siècle par les Juifs d’Espagne. L’Orta oyunu, l'improvisation tenant de la commedia dell’arte, se développe dans l’empire ottoman. L'art militaire des chrétiens (artillerie, arquebuses, poudre à canon, boulets) a toujours été, lui, accepté sans difficulté par les docteurs de l'islam qui considèrent qu'il est licite de se servir des armes de l'adversaire pour protéger l'islam. Mais, dans un domaine bien particulier et sans en prévoir les conséquences, les ottomans vont refuser le transfert de technologie : l'imprimerie est vécue comme une profanation de l’Écriture sainte du Coran. Elle fait aussi concurrence aux calligraphes. Seuls les caractères latins et hébraïques peuvent donc être imprimés. « Mais en turc ni en arabe, il ne leur est permis d’imprimer » écrit le voyageur Nicolas de Nicolay en 1551.

Christophe Colomb sait que la terre est ronde et il cherche à rejoindre par l'ouest la Chine et le Japon, le pays inconnu dont avait parlé Marco Polo. Le 3 août 1492, Christophe Colomb quitte l'Espagne après avoir obtenu le soutien des Rois très catholiques. Le même jour, les derniers juifs et les derniers musulmans, réfractaires à la conversion au christianisme devaient avoir quitté l'Espagne sous peine de mort.
Le 12 octobre 1492, Christophe Colomb et ses hommes prennent pied en Amérique. Christophe Colomb ne comprendra jamais vraiment qu'il n'est pas arrivé en Asie. Mais grâce à l'imprimerie, sa découverte sera connue de toute l'Europe. Dès le printemps 1493, sa lettre « De insulis inuentis » connaît trois éditions à Rome, six à Paris, à Bâle et à Anvers. L’Angleterre en prend connaissance en 1496 et la lettre est publiée en Allemand en 1497.
Le 4 mai 1493, le pape Alexandre VI décide de partager des terres découvertes entre l'Espagne et le Portugal selon un méridien fixé à 270 lieues par les souverains. Le Brésil est donc portugais, le reste de l'Amérique du sud espagnol.

L’Église catholique est bornée au sud par l'islam, à l'est par l'orthodoxie et bientôt, au nord, par le protestantisme. Elle va s'investir dans l'évangélisation du nouveau monde.
 
LA DHIMMA DEPUIS 1000 ANS.

Quand le Dâr al-Islâm est en expansion, la dhimma permet aux juifs et aux chrétiens de vivre en payant la capitation et en restant humbles. Ses revers militaires vont diminuer sa tolérance.

En 1066, à Grenade, au début de la Reconquista, des émeutes anti-juives sont déclenchées par Abu Ishaq.
Il écrit un poème contre le vizir juif et contre ses proches : « Ne croyez-vous pas que c’est trahir la foi que de les tuer. Ce serait trahir la foi que de les laisser continuer. Ils ont rompu notre convention, comment pourrait-on vous tenir coupables contre de tels violateurs ? Comment peuvent-ils se prévaloir d’un pacte quand nous sommes obscurs et eux bien en vue. Maintenant, c’est nous les humbles à côté d’eux, comme si nous avions tort et eux raison ! » (Lewis, « An Anti-Jewish Ode », dans Salo Wittmayer Baron Jubilee Volume,Jérusalem, 1975). Ce massacre de juifs est resté unique dans l’Espagne musulmane, qui, globalement, a respecté la dhimma. L'islam tolère les autres monothéistes s'ils restent humbles.

Au Maghreb, au XIIe siècle, le berbère Tumart fonde la dynastie almohade
qui règne de l'Atlas jusqu’à l’Espagne musulmane. Il est proclamé Mahdi en 1121. Il souhaite remettre les musulmans dans la « voie droite ». De son règne, date la disparition des chrétiens du Maghreb : ils eurent le choix entre la conversion, l’exil ou la mort. Des juifs fuient le Maghreb.

Sous la dynastie ottomane, l'empire s’étend plus difficilement, il devient moins tolérant :

- Mehmed II le conquérant (mort en 1481) protège les artisans juifs et chrétiens. Il les intègre à la cour et dans l’administration. Giacomo de Gaète, son médecin juif, devient son vizir : Yakub Pacha. Il doit néanmoins se convertir à l'islam.

- Beyazid, son fils (1481-1512) renvoie les dhimmis et fait fermer les synagogues ouvertes depuis la conquête de Constantinople en 1453. Mais, fidèle à la dhimma qui donne une place légitime aux juifs et accueille en 1492 les juifs chassés d’Espagne.

- Ebussuud Efendi, juriste turc, définit le crime de Saab, d'insulte envers l'islam. Ce n’est pas l’affirmation « de ce qui constitue l'incroyance ». Un chrétien qui dit que Mohamed n’est pas prophète, ne commet pas de saab.

- En 1577, Murad III (1574-1595) renforce la dhimma. Il fait fermer les lieux de cultes et exige que les dhimmi portent des vêtements spécifiques (interdiction du turban et des sandales). En 1758, Mustaga III fera exécuter un juif et un Arménien vêtus comme des musulmans.

Les chiites sont plus sévères. Les expulsions, les massacres et les conversions forcées sont très fréquentes jusqu’au XIXe siècle en Iran. Seul Abbas 1er (1587-1629) fait exception. Il autorise juifs et arméniens à s'installer librement à Ispahan, sa capitale. La fin de son règne voit le retour à l’intolérance. En 1656, les non musulmans sont expulsés à moins qu'ils ne se convertissent. En 1658, le décret d'intolérance est aboli et les dhimmis peuvent retrouver leur religion d'origine à condition qu’ils payent les arriérés de capitation.

Pour les musulmans, la naissance de monothéismes postérieurs à Mahomet a été un problème insoluble, puisque le Coran n'en parle pas. L'islam y sera confronté au XVIe siècle avec les sikhs et au XIXe siècle avec le Bahaïsme et l'Ahmadisme. Les musulmans les traitent en apostats quand ils ne peuvent plus les percevoir comme musulmans.

Islam, Lewis, Gallimard.
 
AU XVIe SIÈCLE, UN AUTRE MONOTHÉISME : LE SIKHISME.

Le Gurû Nanak (1469-1539) est son fondateur.
En 1604, son livre saint est écrit par le cinquième gurû, Arjun. En 1699, le dixième gurû Gobind Singh introduit une cérémonie d'initiation particulière, le Khālsā, qui n'est pas obligatoire chez les sikhs. Elle conduit certains à suivre la règle des « 5k » : porter des cheveux longs ornés d'un peigne, un poignard recourbé, un bracelet de fer et un caleçon court : objets symboliques de leur unité.

Nanak est né dans le village de Nankana Sahib, près de Lahore, dans l'actuel Pakistan. Ses parents sont des hindous d'une caste marchande.
Très jeune, il vit des expériences de fusion avec « l'Essence de toute chose ». Puis, il voyage en Inde, au Tibet, en Perse, en Afghanistan, en Arabie, et jusqu'à la Mecque où il réside avec un ami d'enfance d'origine musulmane. Il s'installe dans le village de Kartarpur où il enseigne sans relâche. Il dénonce toutes les discriminations, entre castes, entre religions, entre sexes : « Il n'y a ni hindou et ni musulman. ». À ceux qui l'interrogent sur ce qu'ils sont, il répond : « Vous êtes des disciples ». Le mot Sikh, disciple, est né.

Guru Nanak récuse prêcher un syncrétisme entre hindouisme et soufisme. En effet, il prêche des concepts universels, comme la bonté, l'honnêteté, le respect des autres et la vénération du nom de dieu. Personne ne peut s'approprier ce qui appartient à tous. Quoique souvent inclus dans l'islam, en particulier par les musulmans, le sikhisme affirme son autonomie.

Nanak croit en l'illusion du monde physique, la mâyâ :
les objets sont bien réels, ils sont l'expression de la vérité de Dieu, mais ils dressent « un mur d'erreurs » autour de ceux qui ne vivent que de désirs matériels. Il croit en la transmigration des âmes et au Karma, comme les hindous, mais il refuse le système des castes. Se libérer du cycle des réincarnations réclame une vie en Dieu, libérée du matérialisme (sans viande, ni alcool, ni tabac, ni jeux de hasard). Accumuler le Karma libérateur demande de ne penser qu'à Dieu et de réciter sans fin Son Nom pour échapper au cycle des réincarnations. Le paradis et l'enfer n'existent que sur terre, le salut est dans la dissolution, la fusion, en Dieu. Les Sikhs refusent l'idée du péché originel. La vie émane d'une Source pure, le Dieu de Vérité demeure en elle.

Un seul Dieu, Absolu, Infini, l'Éternel, Créateur et Destructeur, sans inimitié, sans haine, Immanent et Transcendant, Guru Suprême, « Le Nom Vrai », (Sat nam) s'oppose au polythéisme hindou.

Chaque sikh peut atteindre le salut en pratiquant la fraternité dans un emploi classique. Une pratique sainte ne demande pas le retrait du monde, ni la pratique de la pauvreté, ni celle du pacifisme systématique : « Lorsque tous les autres recours ont été épuisés, alors il est parfaitement juste de tirer l'épée. » (Guru Gobind Singh).
Le lieu de culte est un temple ouvert à tous. On se déchausse et on se couvre la tête pour y entrer. On y est nourri gratuitement.

Entre la désintégration de l'empire Mogol musulman et l’invasion afghane, au milieu d'épouvantables persécutions de la part des musulmans, les Sikhs créent un empire qui dure jusqu’à l'invasion anglaise en 1849.
Quoique minoritaires, 2% de la population indienne, soit 20 millions, ils forment une élite pleine d'esprit d'entreprise.

Source : Wikipedia.
 
L'ESCLAVAGE À LA RENAISSANCE.

Le christianisme,
par la parole du Christ, restaure l’égalité des hommes mais les chrétiens tarderont à l'appliquer.
Le Coran rend l'esclavage légitime, mais les penseurs musulmans ont néanmoins éprouvé le besoin d'affirmer l'infériorité des noirs pour justifier leur réduction en esclavage.
Ibn Khaldun (1332-1406) écrit dans les « Les Prolégomènes », vol 1, 1862, p 309 : « Il est vrai que la plupart des nègres s’habituent facilement à la servitude, cette disposition résulte, ainsi que nous l’avons dit ailleurs, d’une infériorité d’organisation qui les rapproche des animaux bruts.».
Au XVIIe siècle, le juriste Ahmad Baba de Tombouctou (1556-1627) critique la servitude des noirs et doute de la malédiction qui les frappe : « Même si on admet que Cham est l’ancêtre des Noirs, Dieu est bien trop miséricordieux pour punir des millions d’êtres pour le péché d’un seul. ».

Les européens vont pratiquer la même reconstruction intellectuelle : pour s'autoriser l'esclavage des noirs, ils vont prétendre qu'ils sont inférieurs.
Initialement, il s'agit de protéger les indiens d'Amérique contre l'esclavage. Le dominicain Bartolomé de Las Casas, après une grâce divine, comprend son erreur et libère tous ses esclaves indiens. En 1542, il écrit « la Destruction des Indes » à l'empereur Charles Quint. Il y dénonce l’esclavage imposé aux indiens par les Conquistadors. Il affirme qu'ils ont une âme et doivent être traités avec respect. Charles Quint va interdire l'esclavage des indiens le temps que les théologiens tranchent au sujet de leur humanité. Il s'agit de la fameuse Controverse de Valladolid qui se réunit entre 1550 et 1551, mais qui n'apporte aucune certitude. Las Casas y expose ses thèses mais les représentants des Conquistador également. Les intérêts économiques vont primer sur la spiritualité. Le doute en faveur de l'humanité des indiens conduira à s'orienter vers l’esclavage des noirs. Dès 1454, le pape Nicolas V avait autorisé le roi du Portugal à pratiquer la traite des esclaves noirs.
Au Paraguay, les Jésuites s'opposent aux colons en fondant des « réductions » où les indiens peuvent vivre libres, à l’abri de l'esclavage. Le film « Mission », Palme d'Or en 1984, relate cet épisode.

L'esclavage a été une pratique universelle. On estime que le Dâr al-Islâm a réduit en esclavage un million d'européens et entre 12 et 18 millions d'Africains pendant les 14 siècles de son histoire. Ces esclaves ont laissé peu de traces au Maghreb, puisqu'ils étaient castrés. Cela permet à certains musulmans du XXIe siècle de dire que l'esclavage n'a été qu'une déviance du christianisme. De leur côté, les européens ont réduit en esclavage entre 12 et 20 millions d'Africains entre les XV et XIXe siècle. Ils les ont déshumanisés pour rendre leur réduction en esclavage compatible avec leur foi chrétienne, mais ils ne les ont pas castrés. Le présence de noirs en Amérique préserve donc la preuve de l'esclavage de leurs ancêtres.

Cependant, la lutte contre l’esclavage sera exclusivement chrétienne. En France, la révolution française abolit l'esclavage le 4 février 1794 sous la Convention. Bonaparte le rétablit en 1802, avant que Victor Schoelcher soit à l'origine de son interdiction définitive le 27 avril 1848. Au XIXe siècle, l'Angleterre militera de toute sa puissance politique et militaire pour que l'esclavage soit aboli.
 
XVIe SIÈCLE : LE BOUILLONNEMENT RELIGIEUX ET SCIENTIFIQUE DE LA RENAISSANCE. L'ÂGE D'OR DE L'HUMANISME ENGENDRE LUTHER.

En 1506, le pape Jules II commande la reconstruction de Saint Pierre de Rome.
L'antique Basilique est rasée et la nouvelle rebâtie, centrée sur la crypte où est enterré Saint Pierre. Raphaël, Michel-Ange, Bramante, Maderno, le Bernin, les génies de la Renaissance, y travaillent. En 1564, Michel-Ange fait construite la coupole de 42 m de diamètre qui culmine à 136 mètres. Les musées du Vatican sont créés, regroupant les œuvres d'art des antiquités grecque, romaine et égyptienne. Humanistes, les papes de la Renaissance sont ouverts aux richesses culturelles du passé et aux sciences du présent.

Des indulgences financent les travaux. Elles promettent un allègement du purgatoire en échange d'un don. En 1517, scandalisé par la vente des indulgences, Martin Luther (1483-1546) publie ses 95 thèses, donnant le coup d'envoi de la réforme protestante. Luther traduit la Bible en allemand et en pratique une lecture littérale. Il ne reconnaît que l'autorité de la Bible et non celle de l’Église. En particulier, dans l’obtention du pardon : le salut s'obtient par la grâce de Dieu et la foi. Il récuse les indulgences et le Purgatoire prêchés par l’Église. Il est excommunié en 1521. Il encourage la chasse aux sorcières au nom du verset de l'Exode 22-17 « tu n'accepteras pas de laisser vivre une sorcière» et devient violemment antisémite devant le refus des Juifs de se convertir au christianisme qu'il prêche (« Les Juifs et leurs mensonges »).

En quelques années, les idées protestantes se répandent, divisant la chrétienté et conduisant rapidement à des conflits armés. En 1527, les luthériens allemands pillent Rome. Le chantier de Saint-Pierre de Rome s'arrête pour 10 ans.

En 1540, Ignace de Loyola crée l'Ordre des Jésuites, pour répondre au protestantisme. Les jésuites font directement vœux d'obéissance au pape. Ils basent leur mission d'évangélisation sur l’intelligence. Pendant des siècles, le mathématicien de la cour impériale de Chine sera Jésuite.
En 1543, les portugais découvrent le Japon par hasard. Six ans plus tard, le jésuite François-Xavier y arrive et évangélise par la seule puissance de son verbe. Au début du XVIIe siècle, il y a 300 000 chrétiens au Japon. L'arrivée de missionnaires protestants y importe les querelles européennes. Le pouvoir central japonais en prend ombrage et une répression impitoyable s'abat sur les japonais évangélisés. En 1637, le massacre de 37 000 chrétiens à Shimabara, sonne le glas de l'évangélisation au Japon. Le christianisme entre dans la clandestinité et se marginalise.

En 1542, le pape crée le Saint-Office, l'Inquisition prend le visage d'une institution chargée de lutter contre les hérésies et les libres-penseurs. Les punitions infligées demeurent pour l'essentiel des actes de piété comme des pèlerinages, mais des condamnations à mort sont parfois prononcées, comme celle de Giordano Bruno en 1600, accusé d'hérésie et d'athéisme.

À l'occasion du concile de Trente (de 1545 à 1562) le calendrier Julien, datant du premier siècle avant JC, est rectifié. En 1600 ans, ses erreurs accumulées font que l'équinoxe de printemps se situe le 10 mars. Cela sera corrigé avec l'aide d'astronomes et de mathématiciens. L'exactitude du calendrier grégorien explique qu'il sera adopté par tous y compris en terre d'islam.
 
COPERNIC (1473-1543)

Copernic est allemand.
Protégé par un oncle évêque, il obtient un bénéfice de chanoine en Pologne et part étudier en Italie jusqu'à l'âge de 33 ans. En humaniste, il étudie la médecine, le droit, la philosophie et les mathématiques. Deux courants s'affrontent alors dans l'université. Les scolastiques pensent les cieux immobiles, comme l'enseigne Aristote. Ils sont les héritiers de saint Thomas d'Aquin. Les humanistes, eux, aspirent à de nouvelles traductions plus exactes tant de la Bible que des textes antiques. L'intuition d'Aristarque qui avait placé le soleil au centre de l'univers était déjà connue.

L'idée de l’héliocentrisme devient la passion secrète du chanoine Copernic. Copernic observe peu le ciel lui-même, mais il se fie aux traductions des observations arabes qui sont souvent inexactes. Le système antique de Ptolémée imaginait une multitude de sphères portant chaque planète, afin d'expliquer les mouvements en apparence irréguliers des corps mobiles. Copernic remarque que le système de Ptolémée ne fonctionne pas puisque les planètes s'y meuvent à des vitesses irrégulières, ce qui lui semble impossible. Parfois, Mars donne l'impression de faire demi-tour. Quand, par rapport à la terre, Mars passe derrière le soleil, on a l'illusion que Mars recule. Copernic comprend que Mars fait le tour du soleil à une vitesse différente que la vitesse de rotation de la terre autour du soleil. Animé de cette idée géniale, il tente de l'exprimer dans le langage des Anciens. Il conçoit un système incompréhensible à base de rotation de sphères multiples qu'il est incapable de prouver et qui est de toute façon erroné, puisqu'il pense que l'orbite des planètes est circulaire. Il faudra attendre Kepler pour que la solution jaillisse.

Entre 1511 et 1513, Copernic fait circuler auprès de ses amis le « Commentariolus » qui contient l'essentiel de sa théorie. Les corps célestes ne tournent pas tous autour du même centre. La terre n'est pas le centre de l'univers mais simplement le centre de l'orbite lunaire. Le soleil est le centre du système planétaire donc de l'univers. La distance de la terre aux étoiles fixes est si grande que la distance de la terre au soleil en devient négligeable. La régression apparente des planètes (le fait qu'elles semblent faire demi-tour) provient du fait qu'elles tournent autour du soleil, comme la terre, mais à des vitesses différentes.
Copernic craint le conservatisme des scolastiques de l'Université et refuse de faire publier ses travaux, mais son intuition se répand. En 1533, Widmanstad, le secrétaire du pape Léon X, la présente dans les jardins du Vatican et, en 1536, le cardinal Schœnberg incite Copernic à publier ses travaux. Copernic n'acceptera que quelques mois avant sa mort qu'un jeune disciple, Rhéticus, se charge de cette publication sous le nom de « Révolutions », livre illisible qui ne sera jamais épuisé. Luther, au nom d'une lecture littérale de la Bible, avait déjà depuis longtemps qualifié Copernic d'« imbécile qui va contre l'écriture sainte. ».

En 1578, 35 ans après la mort de Copernic, une tour astronomique est construite au Vatican sous le pape Grégoire XIII. Elle est confiée à un jésuite allemand, Clavius, un mathématicien de renom.
Ce n'est que 73 ans après la mort de Copernic que l’Église mettra son ouvrage à l'index au moment du conflit avec Galilée.

A. Kœstler, les Somnambules , Calmann-Lévy.
 
AU XVIe SIÈCLE, L'EMPIRE OTTOMAN EST À SON APOGÉE. MAIS LES EUROPÉENS REMPORTENT LEURS PREMIÈRES VICTOIRES.

L'empire ottoman refuse les progrès chrétiens :
En 1517, le premier grand cartographe turc, Piri Reis,
présente une mappemonde au Sultan où figure l’Amérique. La carte restera enfermée à Topkapi où elle sera redécouverte en 1929 par un chercheur allemand après la chute du sultanat. C'est la carte la plus ancienne conservée de nos jours qui indique l'Amérique. Elle a effectivement été précieusement conservée puisqu'elle est restée inemployée. Pour les docteurs de la loi musulmans, le seul apport légitime de la chrétienté au Dâr al-Islâm est son armement puisqu'il est utile à défendre l'islam. Il faudra encore des siècles pour que l'empire ottoman imagine que quelque chose de bien puisse naître hors de la terre de l'islam.
Les juifs ont trouvé refuge dans l'empire ottoman après la reconquête de l'Espagne, ils y ont apporté l'artisanat européen, l'horlogerie et l'imprimerie. Mais ils ne feront aucune découverte une fois installés dans leur nouvelle patrie.
Au XVIe siècle, la classe moyenne européenne émerge grâce à l'éducation, à l'imprimerie et aux nouvelles techniques agricoles qui permettent l'augmentation des rendements : le moulin, la culture du coton ou de la canne à sucre. Dans le même temps, les terres musulmanes voient décliner l’irrigation à la suite aux destructions mongoles. Cela entraîne une perte de rendement. Le refus de l’imprimerie interdit la propagation de nouvelles techniques. Les routes sont mal entretenues au point que l'usage de la roue se perd dans certaines provinces. Les chariots ne peuvent plus circuler, ce qui nuit aux échanges.

Mais territorialement, l'empire ottoman est à son apogée.
De 1501 à 1524, le shah Isma ‘il Safavi entre en guerre avec la pacha ottoman Sélim le cruel (1512-1520). Il fonde la dynastie chiite d'Iran.
En 1526, Soliman le Magnifique (1520-1566) emporte la victoire de Mahacs en Hongrie et étend son empire en Europe.
Si une dynastie arabe autonome gouverne le Maroc ; et la dynastie Safavides l'Iran, Irak est rattaché à l’Empire Ottoman en 1534,. L'empire ottoman est à son apogée territorialement.
En 1529, les troupes ottomanes subissent un premier échec lors du siège devant Vienne en Autriche...

Deux victoires aideront les chrétiens à retrouver confiance face à la puissance militaire de l'empire ottoman :

- En 1565, les ottomans envoient 40 000 soldats reprendre l’île de Malte tenue par les 592 chevaliers de l'Ordre de Saint-Jean. Aidés de 9000 maltais et de renforts siciliens, les chevaliers repoussent les ottomans. 313 chevaliers, 9000 civils maltais et 12000 ottomans y laissent la vie. Malte reste chrétienne.
- En 1571, les ottomans essaient de conquérir Chypre et la Crête. Les vénitiens, soutenus par les espagnols, les repoussent à la Victoire navale de Lépante. Pour les ottomans, il s'agit d'un simple revers. Pour les chrétiens, l'empire ottoman a cessé d'être invincible.

En 1606, par le traité de paix de Zsitvatorok, le sultan reconnaît le titre de « padishah » à l’empereur Habsbourg. Pour la première fois, le sultan donne à un souverain chrétien un titre qui fait de lui un égal.
Personne ne perçoit encore que les progrès scientifiques et techniques sont maintenant depuis longtemps réalisés en terre chrétienne et qu'ils alimenteront durablement sa suprématie militaire, territoriale et financière.
 
KEPLER (1571-1630).
Kepler est un luthérien mystique.
Il met son génie mathématique et sa curiosité astronomique au service de sa foi. Ses découvertes seront soutenues par des intuitions spirituelles. Il a la conviction surnaturelle que les orbites des 6 planètes sont inscrites dans les 5 solides parfaits définis par Platon (un solide parfait est un volume ayant toutes ces faces identiques). Il ne croit pas que puissent exister plus 7 corps célestes mobiles... Les sciences exactes, structurées indépendamment de la foi, ne sont pas encore définies et la vie spirituelle de Kepler nourrit sa créativité. Il demande à Dieu de le guider en particulier si l'hypothèse héliocentrique de Copernic est vraie. Il écrit un ouvrage en 1597, le « Mystère Cosmique », où il soutient l'hypothèse de Copernic. Il demande à Galilée ce qu'il en pense. Celui-ci répondra (sa lettre a été conservée) que lui-même croit que la terre tourne autour du soleil, mais que par crainte de heurter les préjugés des universitaires, il refuse de défendre publiquement cette théorie, y compris de l'enseigner comme une hypothèse.
Kepler ne se contente pas de mysticisme, il observe la réalité.
Il part travailler au Danemark avec Tycho Brahe. Kepler s'approprie les observations du vieil astronome sans scrupule particulier. Kepler n'a aucune notion de propriété intellectuelle. Il livrera toujours ses découvertes sans retenue et attendra d'autrui la même générosité. Au milieu d'erreurs de calcul, d'intuitions mystiques et de publications astrologiques, Kepler découvre ce que l'on appellera les trois lois de Kepler. En 1609, dans Astronomia Nova, il écrit :

- La première loi : Les planètes décrivent des trajectoires elliptiques dont le soleil est un foyer. La Terre, elle-même, est une planète qui tourne autour du soleil. L'héliocentrisme de Copernic vient d'être corrigé, l'orbite des planètes est elliptique et non circulaire.
- La deuxième loi : Les planètes tournent autour du soleil avec une vitesse de rotation variable. Quand la planète s'éloigne du soleil sa vitesse décroit, quand son orbite elliptique la rapproche du soleil, elle accélère.
- En 1618, Kepler publie sa troisième loi qui explique qu'il existe un rapport constant entre la masse d'une planète et la force que le soleil exerce sur elle : le concept de gravitation n'est pas encore théorisé mais ses prémisses viennent d'être posées.
Ces lois sont peu diffusées et restent théoriques, enfouies au milieu des multiples écrits du fantasque Kepler. Elles attendent leur confirmation par l'observation. Les travaux de Copernic datait alors de 75 ans, mais il ne les avait pas confirmé ni par l'observation ni par le calcul.
Kepler est enthousiasmé par l'usage que Galilée fait du télescope. Jusque là les observations du ciel se faisaient à l’œil nu. Ouloug Beg ou Ticho Brahé observaient le ciel sans télescope. En 1610, Kepler apprend que Galilée a découvert quatre satellites autour de Jupiter. Il lui écrit spontanément et généreusement une lettre de soutien : « Conversation avec le messager des étoiles ». Malgré ses demandes répétées, Galilée ne lui enverra jamais la lunette. Il utilisera celle d'un prince autrichien.
Kepler continue ses recherches en publiant un ouvrage d'optique en 1611 : Dioptricae où il démontre 141 théorèmes sur les lentilles du télescope.

les Somnambules , Kœstler, Calmann-Lévy.
 
GALILÉE (1564-1642).

Galilée enseigne à Padoue de 1592 à 1610. Il travaille sur le pendule et la chute des corps et définit les premières lois mécaniques.
Il invente le précurseur de la règle à calcul et fabrique des outils de précision (compas, sextant). En 1597, dans une lettre à Kepler, il dit soutenir le système de Copernic mais refuser de l'enseigner par crainte des scolastiques. Il ne craint pas l’Église mais bien l'archaïsme des savants. En 1606, il écrit d'ailleurs une lettre publique où il réfute l’héliocentrisme.

En 1609, les hollandais découvrent la lunette. Galilée l'améliore, en en fabriquant une qui grossit 30 fois. En 1610, il a l'idée de pointer sa lunette vers les étoiles. Il découvre alors une multitudes d'étoiles fixes inconnues et surtout 4 nouveaux corps mobiles, les 4 satellites de Jupiter. Son raisonnement est simple : si Jupiter a des satellites comme la terre a la lune, la terre a donc le même statut que Jupiter et tourne autour du soleil. Il publie ses conclusions dans « Le messager des étoiles ».
Invité à Rome en 1611, Galilée connaît le triomphe, il est reçu par le pape Paul V. Les Jésuites lui font les honneurs du Collège de Rome et confirment ses observations de Jupiter auprès de leur supérieur, le Cardinal Bellarmin. Lors d'un banquet réunissant religieux et scientifiques, la lunette de Galilée est baptisée télescope.

Galilée confond théologie et sciences.

Cependant les Jésuites ont perçu la faiblesse des arguments de Galilée qui n'a pas prouvé que la terre tourne autour du soleil. En 1616, l’Église, par l'intermédiaire du Cardinal Bellarmin, supérieur des jésuites et inquisiteur, interdit à Galilée d'enseigner l'héliocentrisme : il doit être présenté comme une hypothèse tant qu'il n'a pas été démontré.
En 1623, Urbain VIII devient pape, c'est un scientifique acquis au système de Copernic et un ami de Galilée. Galilée est incapable de démontrer son hypothèse mathématiquement, d'autant qu'il récuse les lois de Kepler. Il voudrait donc que l’Église confirme l’héliocentrisme : cela aurait pour lui valeur de preuve. En 1632, il présente les différentes hypothèses dans le « Dialogo ». Mais Galilée va faire preuve d’insolence. Alors que l’héliocentrisme est défendu par un savant, toujours sans preuve, l'opinion de l’Église est présentée par un personnage surnommé Simplicio. Simplicio est sot et ses convictions sont présentées de façon grotesque.
L’Église prend mouche et convoque Galilée. Le 22 juin 1633, se passe alors la célèbre scène, où, menacé de torture, formule rituelle juridique que personne n'avait l'intention d'appliquer, Galilée doit se rétracter et réfuter Copernic. C'est le pape Urbain VIII, l'ami de Galilée, qui lui indique ainsi les limites de la libre pensée et du respect dû à l’Église. Le « Dialogo » est interdit et Galilée maintenu en résidence forcée dans sa maison.
Mais, il demeure que Galilée a voulu démontrer une hypothèse scientifique, non par le calcul, mais par l'affirmation péremptoire de l’Église. L' Église s'est dérobée à cette logique contestable avec le moyen qui était alors le sien : l'Inquisition.

Néanmoins, dès la fin du XVIIe siècle, à la cour de Pékin, les jésuites enseigneront librement l'héliocentrisme avec l'accord de l’Église. En 1992, Jean-Paul II reconnaîtra l'erreur de l’Église et souhaitera qu' « Il n'y ait plus jamais un autre cas Galilée ».

Kœstler, les Somnambules , Calmann-Lévy.
 
NEWTON (1642-1727) OU LE TRIOMPHE DES SCIENCES EXACTES. LA SCIENCE EST UN TRAVAIL D’ÉQUIPE, ENCOURAGÉE PAR L’ÉTAT POUR ASSURER SA CROISSANCE.

Isaac Newton est un génie anglais, mais il n'a pas travaillé seul.
Par ailleurs, quoique croyant, il n'appuie ses démonstrations que sur les seules mathématiques. De lui, date la naissance symbolique des sciences exactes, affranchies des présupposés de la foi.

Les précurseurs de Newton :
- L'allemand Kepler
établit mathématiquement les lois sur le mouvement des corps célestes : les orbites des planètes sont elliptiques.
- L'italien Galilée établit les lois physiques sur le mouvement des corps terrestres : son génie est mécanique. Ni en mathématiques, ni astronomie, il n’excelle. Selon lui, les planètes se déplaceraient sur des cercles, par la simple inertie du mouvement, car le cercle est censé être parfait donc éternel.
- L'anglais William Gilbert (1544-1603) fait une découverte originale : la terre est un aimant. Le magnétisme est la première force invisible mise en évidence : il agit à distance en attirant la limaille de fer.
- Le français René Descartes (1596-1650) pense que l'inertie du mouvement maintient les corps en ligne, même si son mouvement initial est circulaire : il prend la tangente.

Magnétisme, inertie : comment expliquer le déplacement des planètes ?

En 1666, Newton a 24 ans quand il découvre la solution : la gravitation universelle.
L'attraction d'un corps est proportionnelle à sa masse et diminue selon le carré de la distance. La force de gravité qui émane du soleil, attire la terre. La force centrifuge, engendrée par la rotation de la terre, l'éloigne et équilibre alors la force de gravité. Newton écrit ses lois en langage mathématique.

En 1662, la Royal Society est fondée par l'allemand Henry Oldenburg (1617-1677) en Angleterre, avec le soutien du roi Charles II. Un « parlement de savants » se réunit pour partager ses découvertes. Oldenburg édite des lettres régulièrement pour informer la communauté internationale des dernières découvertes, ce qui établit l’antériorité des découvertes et préserve la propriété intellectuelle. Entre ses mains, les Transaction philosophiques paraissent pour la première fois le 6 mars 1665 en Angleterre. Deux mois plus tard à Paris, le Journal des sçavants voit le jour.

En 1704, l’Angleterre propose une énorme prime (l'équivalent de 2 millions d'euros) à celui qui parviendra à calculer la longitude. Cela impose la mise au point d'une horloge précise qui ne soit pas déréglée par le roulis du bateau. John Harrison y parviendra en 1736 en exploitant les découvertes de Galilée en dynamique.
La marine anglaise possède enfin les outils de navigation qui lui permettront de régner sur les mers pendant 2 siècles, de se bâtir un immense empire colonial et d'exporter sa langue dans le monde entier.

Les sciences exactes sont installées, avec leur fonctionnement en réseau d'universités, de sociétés savantes et de publications. L'état encourage et finance la recherche, ce qui assure par la technologie, son expansion économique et militaire.

Il était effectivement profitable d'étudier Aristote et d'observer les étoiles !
Une vérité non définie, non enclose dans un livre, a permis aux chrétiens d'élaborer les science exactes. Ils apprennent les sciences l'un des autres et progressent collectivement sans passer par la théologie
 
LA SORCELLERIE.

L'imprimerie favorise la chasse aux sorcières.

En 1326, dans la bulle Super illius specula, le pape Jean XXII (1316-1334) lutte contre les hérésies et voit surtout la sorcellerie comme une superstition populaire. Peu de clercs alors croient en la possession démoniaque.
En 1484, une bulle du pape Innocent VIII encourage la lutte contre la sorcellerie. Elle est reprise en entête du Malleus maleficarum (le Marteau des sorcières) publiée en 1486 par deux inquisiteurs Henri Institoris et Jacques Spenger.
Le livre est imprimé en petit in-octavio, format de poche, rare à cette époque et facile à transporter. Il est déjà publié à 20 000 exemplaires en 1520 et il connaîtra 20 nouvelles éditions jusqu'en 1669. La norme des procédés judiciaires y est résumée, y compris la torture. Les clercs, associés aux laïcs puisqu'un religieux ne saurait maltraiter autrui, y apprennent facilement leur rôle d'inquisiteur. La croyance en l’existence de la sorcellerie va être entretenue par les aveux obtenus facilement par la torture.

Au maximum 50 000 bûchers seront allumés en Europe sur 3 siècles, en particulier dans les pays secoués par les guerres entre catholiques et protestants. Le Saint Empire Romain germanique détient un triste record, avec plus de 10 000 bûchers. La Pologne en a presque autant. En s’éloignant de l'empire germanique, la chasse aux sorcières décroît. Il n'y en a quasiment pas au Portugal, ni en Italie. En Espagne, seuls quelques diocèses du nord la pratiquent. L'Angleterre exécute 500 sorcières entre 1570 et 1670 et la France un peu plus d'un millier. Les protestants brûlent autant que les catholiques. Seuls les orthodoxes ne se fourvoient pas.

Religieux et scientifiques vont douter de la possession.

En 1657, le pape Alexandre VII attire l'attention sur les excès des procès en sorcellerie. Depuis longtemps, des voix protestantes comme catholiques s'étaient élevées contre l'usage de la torture :
- Érasme en 1511, dans l'« Éloge de la folie », dénonce la croyance en la possession démoniaque comme une superstition. Lucifer, prince du mensonge, est plus apte à tromper qu'à posséder.
- le médecin du Prince de Clève, Wier, attribue, en 1563, ces manifestations à la maladie mentale et précise que la folie peut être obtenue par la torture.
- un prêtre luthérien Jodocus Hockeren en 1569,
- un médecin allemand Johann Ewich en 1584,
- un astronome calviniste Hermann Witekind en 1597,
- un humaniste anglais Reginald Scot en 1584 : « Les sorcières sont de pauvres femmes égarées et rejetées mais nullement possédées »,
- les jésuites autrichiens Adam Tanner et Paul Laymann ou allemand Fridrich von Spee.
- l'inquisiteur Salazar en 1610 : « Il n'existait ni sorcières ni ensorcelés jusqu'à ce qu'on commence à en parler et à écrire à leur sujet ».

En 1634, le médecin Marc Duncan dans son « Discours de la possession des religieuses de Loudun », attribue le comportement des religieuses à l'autosuggestion et à l'ennui. Louis XIV qui souhaite étouffer l'affaire des poisons qui touche son entourage, contribue à faire disparaître les procès en sorcellerie. Les magistrats hésitent à condamner. En France, en 1665, Colbert réforme le droit de la chasse au sorcière : la rumeur n'est plus suffisante.
Néanmoins en 1692, s'ouvre le procès des sorcières de Salem dans le Massachusetts.

Les cahiers de science et vie, n° 105, juin-juillet 2008.
 
AU XVIIe SIÈCLE, LA CHRÉTIENTÉ EST TOURNÉE VERS LES CIVILISATIONS ÉTRANGÈRES. L'ISLAM EST REFERMÉ SUR SA SUPPOSÉE SUPÉRIORITÉ.

L'ouverture envers les autres cultures.

En 1658, le pape décide de nommer des vicaires apostoliques qui partiront au Canada, en Inde et au Vietnam. Tous les missionnaires dépendront d'eux, même les jésuites. Le pape délègue son pouvoir. Ils pourront ordonner prêtres des hommes issus des peuples colonisés. L’Église n'est pas raciste.
Au XVIIe siècle, une chaire d’arabe est créé par Jacob Golius en Hollande, une par Edward Pococke en Angleterre et une par Barthélemy d’Herbelot à Paris. Herbelot rédige le « Dictionnaire alphabétique de la civilisation orientale ». L'humanisme s'intéresse à tout, y compris aux lointaines civilisations, même sans nécessité politique ou commerciale.

Le début de la liberté religieuse en Europe.
En 1689, John Locke, le philosophe anglais, écrit les « Lettres sur la Tolérance. » : « Ni les païens, ni les mahométans, ni les juifs ne devraient être privés des droits civils et exclus de la société en raison de leur religion. ». Le christianisme a persécuté l'hérésie en son sein et maltraité ponctuellement les juifs. La Reconquista a conduit à interdire l'islam en Espagne, même si cet interdit n'a pas été systématique comme le montre la reconquête de la Sicile ou le recul de l'empire ottoman en Europe centrale. Les musulmans y étaient restés libres de leur foi. À partir de XVIIe siècle, la tolérance limitée de la dhimma sera supplantée par l'ouverture chrétienne.

L'instruction, y compris des filles, se généralise en Europe.
En 1698, Louis XIV demande aux évêques de créer une école par paroisse.
Les frères des écoles chrétiennes de Jean Batiste de la Salle s’y emploient. Les manufactures royales forment à l’« enseignement technique ». Les filles sont concernées par l’instruction publique, même si elles sont moins scolarisées que les garçons. L’éducation des filles a débuté progressivement au XIIIe siècle avec l'apparition des « petites écoles » en marge des universités. Certaines femmes remarquables ont laissé la trace de leur science : Dhuoda, Hildegarde von bingen, Héloïse, Christine de Pisan ou Catherine de Sienne.

L'empire ottoman est toujours convaincu de sa supériorité : rien de bon ne peut naître hors du Dâr al-Islâm.
En 1665, Kâtip Celebi est le premier géographe ottoman à décrire l’Europe.
Il est conscient de la pluralité des dynasties chrétiennes et de leur expansion vers le nouveau monde. Il souhaite mettre en garde les musulmans contre les erreurs colportées dans l’empire ottoman sur la supposée infériorité des chrétiens. Son ouvrage n'a aucun succès en terre ottomane et disparaîtra. Il sera retrouvé en Lituanie. Seule l'Europe chrétienne s’intéresse à ce que peut dire un savant musulman non conformiste.
L'empire ottoman semble toujours triomphant aux musulmans. Il nomme des Pachas turcs à Belgrade et Budapest. Les barbaresques maghrébins piratent en méditerranée et en atlantique jusqu’à Angleterre. En 1627, ils rapportent même une cargaison d’esclaves islandais en Afrique du Nord.

Mais, en 1683, les ottomans subissent un second échec devant Vienne. C'est le début du reflux de l’empire Ottoman en Europe. Pour la première fois, en 1699, le sultan signe un traité de paix en position de faiblesse.
 
XVIIIe SIÈCLE : L'EMPIRE OTTOMAN RECULE. LA SCIENCE ET L’ÉGLISE EN EUROPE S'AFFRONTENT.

En 1704, le pape décide que le culte des ancêtres en Chine est incompatible avec le christianisme. Sa décision marque l'arrêt de l'évangélisation en Chine.

En 1718, le traité de Passarowitz entérine la défaite de l'empire ottoman face à Venise et à l’Autriche. Le Dâr al-Islâm perd des territoires en Europe.

Le sultan Mehmet II lance l'ère des Tulipes (1718-1730). En 1729, au milieu du raffinement de Toktapi, il crée un scriptorium impérial réunissant calligraphes, enlumineurs et relieurs. La première imprimerie de l’empire est fondée par Ibrahim Muteferrika, un hongrois converti à l'islam. Elle disparaît à sa mort. Néanmoins, à la fin du XVIIIe siècle, les imprimeries se seront multipliées à Istanbul, 400 ans après leur invention en Europe.
En 1730, les Perses battent les ottomans. L’Iran étant un pays encore plus archaïque que l’empire ottoman, les réformateurs y sont discrédités : l'ère des Tulipes est close. Néanmoins, en 1734, le comte français de Bonneval fonde l'école de mathématiques d’Istanbul pour former les artilleurs des forces armées ottomanes. Il se convertit à l’islam.

L’Europe continue son chemin.
Au milieu du XVIII e siècle, le pape Benoît XIV donne l'imprimatur aux œuvres de Galilée. Il fait de Rome une capitale scientifique. Le couvent français de la Trinité du Mont à Rome abrite les meilleurs mathématiciens en calcul intégral ou en physique.
En 1748, avec le soutien financier d'une femme, Montesquieu fait imprimer à Genève « l'Esprit des lois ». Malgré sa légitimation de l'aristocratie, il annonce la séparation des pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire des démocraties, il sera l'inspirateur de la constitution américaine de 1787. Il est mis à l'index par l’Église en 1750.

En 1749, Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, meurt en couches. Mathématicienne d’exception, elle avait posé les bases mathématiques qui permettront à Einstein d'établir son E= mc2.

En 1751, le premier tome de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert est publié. Pour eux, c'est l'homme qui est au centre de l'univers, et non plus Dieu. Le discours de l'encyclopédie se veut objectif, basé sur l'observation, et non le présupposé religieux, la morale ou les superstitions. L'encyclopédie totalisera 35 volumes et symbolisera la séparation entre religion et science.

Voltaire se fait le chantre de la liberté d'expression. Néanmoins, sa perception de l'éducation du peuple est réactionnaire. Il écrit à la Chalotais : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs. Moi qui cultive la terre, je vous présente requête pour avoir des manœuvres, et non des clercs tonsurés ». Rousseau, que l'on présente de nos jours comme la référence de l'éducation idéale, écrit : « Le pauvre n’a pas besoin d’instruction. ». La position de l’Église est autre. Les ordres religieux enseignants se sont multipliés au cours des siècles, dominicain, oratoriens, jésuites, frères des écoles chrétiennes. Les filles également sont éduquées par l’Église, ainsi que les enfants pauvres.

En 1783, les Russes annexent la Crimée. Le Dâr al-Islâm recule.

L’Europe présente un visage contrasté, l’Église incarne autant l'ouverture que le repliement. Les penseurs qui seront à l'origine de la démocratie mais aussi de l'anticléricalisme, font preuve d'un étonnant mépris des pauvres.
 
DÉBUT DU CHAPITRE : « POLITIQUE, LIBERTÉ ET DÉMOCRATIE ».


RAPPEL DU SOMMAIRE.

LA CRÉATION :

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ABRAHAM ET LES PATRIARCHES :
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L'EXODE ET L'INSTALLATION DES HÉBREUX EN CANAAN :
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LA ROYAUTÉ HÉBRAÏQUE : DAVID, SALOMON .... :
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LA CROYANCE EN UN DIEU DES COMBATS :
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LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST, HUMANITÉ, DIVINITÉ :
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LE CHRIST ET LA LOI : IL L'ACCOMPLIT POUR LES JUIFS :
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LE CHRIST ET LA LOI : IL LA TRANSGRESSE AVEC LES DISCIPLES :
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LE CHRIST ET LA LOI : IL INSTAURE LA NOUVELLE ALLIANCE POUR L'HUMANITÉ :
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LES DÉBUTS DU CHRISTIANISME :
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LES RELIGIONS PRÉ-ISLAMIQUES :
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MAHOMET À LA MECQUE :
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MAHOMET À MÉDINE :
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DEUX CIVILISATIONS S’AFFRONTENT :
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DEUX VISIONS DE LA SCIENCE :
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POLITIQUE, LIBERTÉ ET DÉMOCRATIE.
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LES OTTOMANS S’INTÉRESSENT ENFIN À L'EUROPE : IL S'AGIT DE COMPRENDRE LES CAUSES DE LEUR DÉCLIN.

- La faiblesse des musulmans est-elle due à la suprématie technologique de l'Europe ?

À partir de 1721, les Ottomans envoient des ambassadeurs à Paris, en Prusse et à Vienne qui décrivent les progrès technologiques (routes, ponts, canaux manufactures, observatoires) des pays européens. Ces ambassadeurs perçoivent que la faiblesse des ottomans est due à la technologie des européens, et non à la faiblesse spirituelle des musulmans, comme le pensent les docteurs de la Loi.
La modernisation de l'empire ottoman est freinée par les religieux depuis 4 siècles : rien ne peut être supérieur à l’islam. Le seul apport infidèle toléré est la technologie militaire car destinée à défendre l’islam. Le transfert technologique militaire de l’occident chrétien vers l’Islam a débuté dès Saladin.

La compréhension du travail législatif est plus difficile : Mirza Abou Talib Khan se rend à Londres en 1799. Né en Inde, musulman, il essaie de décrire les institutions anglaises : il compare le parlement à un affrontement de perroquets, et explique les débats contradictoires de l'Assemblée en constatant que les anglais n'ont pas la chance d'avoir adhéré à l'islam : ils sont donc dépourvus de la direction claire donnée par la charia, loi parfaite d'Allah, et sont contraints de chercher leurs lois par eux-mêmes.
Au même moment, les européens envoient des jeunes hommes étudier le persan, le turc et l’arabe dans l’empire ottoman : ce sont les « jeunes de langues », les précurseurs de la philologie.

La place des femmes est totalement incomprise.
En 1796, Seyyid Ali Efendi, le premier ambassadeur ottoman en France, est chargé d’acquérir « les langues, les connaissances et les sciences utiles aux serviteurs de l’empire ». Il écrit « En France, les femmes ont un statut plus élevé que les hommes, elles font donc ce qu'elles veulent et vont partout où cela leur chante. Les seigneurs les plus honorables font montre d'un respect et d'une courtoisie sans limite envers les femmes les plus humbles. ».
En 1766, l'ambassadeur marocain en Espagne[/b] se montre surpris de voir comment les hommes traitent leurs femmes, leurs sœurs ou leurs filles. Il note que celles-ci peuvent se déplacer seules dans la ville et parler librement à d'autres hommes sans encourir de reproches. Il accuse le manque de virilité des chrétiens.

La faiblesse du Dâr al-Islâm est-elle dû à la perte de sa rigueur doctrinale ?
Ibn Abd al-Wahhab ( 1703-1792) est né à Ryad en Arabie. Il n'a aucune connaissance de l'Europe. Il propose une autre voie pour régler les retards et les problèmes arabo-musulmans. Il s'agit de revenir aux fondamentaux coraniques et de vivre comme au temps de Mahomet. C'est de cette époque que naît le mythe de l'âge d'or de l’oumma de Mahomet. Le wahhabisme naîtra de ces réflexions. La lecture littérale du Coran est préconisée, alors que l'interprétation avait prévalu dans le sunnisme. Les chefs de la tribu des Saoud, convertis au wahhabisme depuis le XVIIIe siècle, prendront le pouvoir à la Mecque et à Médine dans les années 1920 et fonderont l'Arabie saoudite. La manne pétrolière leur donnera les moyens de promouvoir leur vision de l’islam.

Ce grand débat sur les origines du déclin du Dâr al-Islâm n'est toujours pas clôt.
 
1798, LA RUPTURE : LES TERRES MUSULMANES SONT ENVAHIES EN LEUR CŒUR PAR DES PAYS CHRÉTIENS.

En 1798, la France s’empare facilement de l’Égypte.
Il s'agissait pour la France révolutionnaire de conquérir des territoires pour rivaliser avec la Grande-Bretagne.

De nouvelles valeurs sont importées dans le Dâr al-Islâm :
- Bonaparte annonce qu’il est venu au nom de la République française « fondée sur la liberté et l’égalité ».
- Bonaparte émancipe les coptes et les non musulmans en abolissant la dhimma. L'égalité est proclamée.
- La France s’intéresse à une autre culture, sans qu’elle ait de lien ou de dépendance historique. Il s'agit d'une curiosité universelle typique de l'humanisme, mais tout à fait étranger au Dâr al-Islâm. Bonaparte est venu avec des savants. Les plans des monuments antiques sont relevés. La découverte de la pierre de Rosette puis sa copie permettront à Champollion de redécouvrir le sens des hiéroglyphes en 1822.

En 1801, les Anglais chassent les Français d’Égypte. La pierre de Rosette leur est laissée ; elle est conservée au British Museum. Le choc de l'invasion française avait été violent : c'est en son cœur et non sur ses frontières que l'empire ottoman avait été attaqué. Humiliation supplémentaire, c’est une nation chrétienne, le Royaume-Uni, qui chasse une autre nation chrétienne, la France.

Ces deux invasions étrangères ne sont pas les premières que subit le Dâr al-Islâm : les Seldjoukides, les Mongols, les Ottomans, l'ont envahi. Mais pour la première fois, les envahisseurs ne se convertissent pas à l'islam. Le Général français Jacques de Menou va effectivement devenir musulman en Égypte, mais son exemple n'est pas suivi.

La rivalité qui oppose le Royaume Britannique à la France se déploie dans tous les domaines sans se préoccuper de l'islam. Dans le domaine de l’égyptologie, Champollion devance le britannique Thomas Young. Dans le domaine militaire, l’Angleterre triomphe de Napoléon.

La science est occidentale. L'instruction de tous se développe avec les découvertes, cela conduit à la démocratie. Un homme instruit aspire à se gouverner seul. Dès 1679, les libertés individuelles ont été affirmées par l’Habeas Corpus : le Royaume-uni, le premier, limite le pouvoir de l'état. Le siècle des lumières en France revendique la liberté d'expression et la séparation des pouvoirs. En 1787, les États-Unis élaborent la première constitution. La révolution française, malgré son lot d'atrocités, abolit les privilèges.

L’Église catholique et les églises protestantes, dans leurs rivalités souvent armées, ont été les artisans de ces progrès. Au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières oublient les origines chrétiennes de la séparation des pouvoirs (Mt 22-21, Lc 20-25, Lc 12-13-15, Mt 7-1-5 ). Les progrès scientifiques ont été permis par la séparation entre universités et magistère de l’Église. La recherche de la vérité a été possible car elle n'était pas d'avance définie. Jean 14-6 : la Vérité est le Christ et non la Bible qui est lue symboliquement par les catholiques. Les Lumières oublient que l'égalité de tous est chrétienne (Galates 3-28) et que la liberté des hommes est établie dès la Genèse (Gn 1-26-27).

Le siècle des Lumières est précurseur de la déchristianisation de l'Europe en niant ce qu'il doit au christianisme.
 
REFORMER LE DÂR AL-ISLAM : LE MOUVEMENT NAHDA. L'ISLAM PEUT-IL SURVIVRE À SA DÉMOCRATISATION ?

Le Dâr al-Islâm doit être envahi pour qu'il se remette en question.

Initialement, la lutte contre l'envahisseur est militaire.
Mais, malgré des combats héroïques qui flattent la fierté musulmane, les armes donnent le pouvoir aux occidentaux :
- En Inde, les Naqchbandites d'inspiration soufie, luttent de 1826 à 1831 sous la direction de Sayyid Ahmed Brelwi. L'empire Mogol musulman puis les Cipayes sont définitivement battus par l'empire Britannique qui prend le pouvoir en 1858.
- Les Russes avancent vers les mers du sud et vers le Caucase, refoulant les populations tchétchènes musulmanes vers l'empire ottoman. Ils créent une diaspora qui reste de nos jours méconnue. De 1830 à 1859, Chamil (1797-1871) lutte en vain contre les russes dans le Daghestan et le Caucase.
- Les Français débarquent en Algérie en 1830. De 1832 à 1847, Abd el-Kader (1808-1883) les combat. En 1835, à Macta, il inflige une défaite aux français après avoir rallié les tribus berbères. Mais son héroïsme, son sens tactique et ses talents fédérateurs ne suffisent pas, il se soumet en 1847. Sa reddition marque le début de la colonisation française.

La suprématie des occidentaux est absolue. Le Dâr al-Islâm ne peut plus vivre dans le mythe de sa supériorité intrinsèque, ni dans l’assurance de la victoire par les armes promise par le Dieu des combats.

Mais, les musulmans vont refuser, a priori, de chercher les causes de leur déclin dans les différences entre le christianisme et l’islam. La conviction de la suprématie de l'islam ne peut être remise en question. Va alors commencer un cycle de réflexion qui n'est toujours pas clôt de nos jours.
Comment les musulmans peuvent-ils expliquer leur infériorité militaire, économique, scientifique, sans remettre en cause la suprématie de leur religion ?
Le terme nahda, éveil ou élan, désigne un effort de compréhension, d'adaptation, de réflexion dynamique qui est multiple. Dès le début du XIXe siècle, les musulmans vont rechercher dans leurs propres structures, comment lutter avec l'occident industrialisé. Il ne s'agit pas d'imiter les européens, ni de pratiquer le relativisme religieux, comme pourraient l’imaginer hâtivement des occidentaux déchristianisés. Mais, après analyse des institutions occidentales, il s'agit d'obtenir la victoire de l'islam par l'adaptation des pratiques musulmanes.

En 1835, le français Alexis de Tocqueville (1805-1855), dans « De la démocratie en Amérique» accomplit ce même travail d'analyse : « Mahomet a fait descendre du ciel et a placé dans le Coran, non seulement des doctrines religieuses, mais des maximes politiques, des lois civiles et criminelles, des théories scientifiques. L'Évangile ne parle, au contraire, que des rapports généraux des hommes avec Dieu et entre eux. Hors de là, il n'enseigne rien et n'oblige à rien croire. Cela seul, entre mille autres raisons, suffit pour montrer que la première de ces deux religions ne saurait dominer longtemps dans des temps de lumières et de démocratie, tandis que la seconde est destinée à régner dans ce siècle comme dans tous les autres. ».

Tocqueville analyse la fusion de tous les pouvoirs ordonnée par le Coran, comme un archaïsme incompatible avec la démocratie. L'islam survira-t-il à la démocratisation ? La démocratisation sera-t-elle possible dans le Dâr al-Islâm ?
 
L'ESCLAVAGE DES CHRÉTIENS PREND FIN !

Les ottomans cherchent les causes de leur déclin en refusant de les voir dans une suprématie du christianisme sur l’islam. La révolution française, violemment antichrétienne, est une révélation.
Les trois grandes inégalités du Coran, envers les non musulmans, les esclaves et les femmes, vont être remises en cause... mais finalement avec prudence.

Au XIXe siècle, l'esclavage des non musulmans est aboli dans l'empire ottoman :
- En 1826, le corps des Janissaires est supprimé par le sultan Mahmud II (1808-1839).
Dès le XIVe siècle, les ottomans avaient constitué une infanterie en imposant le recrutement de jeunes garçons issus des peuples conquis. Chaque année, de 2000 à 12 000 garçons étaient retirés à leurs parents pour être éduqués comme des turcs. Conduits à Istanbul, ils subissaient une conversion obligatoire à l'islam et une formation militaire. Les janissaires étaient donc des esclaves, même si leur esclavage, dans la logique ottomane, n'était pas infamant. Ils occupaient des fonctions prestigieuses dans les institutions ottomanes, au point que la majorité des vizirs étaient issus des janissaires.

- L'institution du devchirmé est complémentaire mais non superposable à celle des janissaires. Chaque année, des enfants chrétiens, âgés de 10 à 15 ans, étaient enlevés à leurs parents, sans espoir de retour. Le devchirmé est un « impôt sur le sang », prélevé par l'empire ottoman sur sa population chrétienne, dans les Balkans, en Géorgie, en Arménie et en Anatolie. Un fonctionnaire ottoman, entouré d'une escorte armée, parcourait les villages chrétiens et enlevait l’aîné des fils encore enfant et les plus belles jeunes filles destinées aux harems de riches turcs. Les garçons étaient islamisés d'autorité et éduqués. Les plus doués servaient dans l'administration ottomane. Il s'agissait pour les sultans de promouvoir des cadres qui n'appartenaient pas à des familles ottomanes rivales. Ainsi le prestigieux architecte Sinan au XVIe siècle était-il arménien. On estime entre 500 000 et 5 millions, le nombres d'enfants chrétiens ainsi enlevés à leurs parents sur 3 siècles. Ces rapts d'enfants, s'ils pouvaient conduire à la réussite sociale, constituaient un traumatisme, persistant encore de nos jours dans les mémoires des peuples chrétiens qui ont été dominés par les ottomans. Le devchirmé a été aboli au début du XVIIIe siècle.

- En 1830, un firman ottoman ordonne l’affranchissement des esclaves chrétiens.

En 1830, la France envahit l’Algérie pour mettre fin au pillage des barbaresques en méditerranée.
Depuis des siècles, les habitants du Maghreb organisaient des raids vers la Corse, la France, l'Espagne... Il s'agissait pour eux de djihad maritime. Dès le XIIe siècle, des ordres religieux avaient été fondés pour racheter ces chrétiens réduits en esclavage. On estime leur nombre entre 600 000 et 1 million entre 1550 et 1650. Au XIXe siècle, l'industrialisation progresse en Europe. On voyage pour le plaisir. Être réduit en esclavage au cours d'une croisière en méditerranée, est totalement anachronique. Les français débarquent en Algérie pour atteindre les pirates dans leurs bases et ils vont jusqu'à Tunis y fermer le marché aux esclaves. Il s'agit d'une opération de police militaire et non de colonisation. L’Algérie était alors peuplée de 600 000 habitants qui avaient renoncé à l'agriculture extensive de l'antiquité et vivaient de piraterie.
 
LE MOUVEMENT NAHDA : ÉDUQUER DES JEUNES HOMMES MUSULMANS AUX SCIENCES EUROPÉENNES.

En 1801, Muhammad Alî (1769-1948) arrive au pouvoir en Égypte après le départ de Bonaparte qu'il a combattu au nom de l'empire ottoman. Il est le premier promoteur de la Nahda.

En 1809, il envoie un égyptien étudier en Italie. Pour la première fois, un dirigeant musulman admet implicitement que la science du Territoire de la Guerre, le territoire non musulman, théoriquement destiné être vaincu par les armes, est supérieure à celle du Dâr al-Islâm. La science musulmane, basée sur l'apprentissage préalable du Coran, vient de démontrer son échec. Depuis toujours, les oulémas interdisent la recherche scientifique autonome. En 1000 ans, aucune découverte n'a été faite dans les medersa. S'il y en a eu, elles n'ont pas été transmises à la génération suivante. Elles ne donneront pas d'avantage de Prix Nobel, ni de médaille Fields dans les deux siècles suivants.

En 1826, Muhammad Ali envoie des jeunes hommes étudier à Paris. Ils sont accompagnés de Rifa'a Rafi al-Tahtawi (1801-1873), un jeune imam égyptien formé à l'université al Azhar du Caire. Ce dernier reste 5 ans à Paris.
À son retour, Tahtawi est chargé de l'instruction par Muhammad Alî. En 1834, il publie « Takhlîç al-ibrîz fî talkhîç Bârîs » (traduction française : L'Or de Paris, 1988). Il souhaite que le raisonnement logique soit intégré à la foi. Il raconte son voyage en France et décrit les mœurs, les institutions et les lois. Tahtawi est le premier intellectuel de la nahda. Ainsi, s'il se montre fasciné par la civilisation européenne, a-t-il d'abord le souci d'acclimater les éléments de modernisation qui sont compatibles avec l'islam. Le développement de l'instruction est sa première préoccupation. Il écrit dans un arabe simple pour être accessible à tous. En 1835, il fonde une école de traduction pour diffuser les ouvrages de sciences. En 1828, Muhammad Alî fonde le premier journal : al-Waqâ’i‘ al-Miçriyya, rédigé en arabe et en turc. Tahtawi en prend la direction et y diffuse les Tanzimat, les idées de réformes institutionnelles.

Dès la succession de Muhammad Alî, le khédive Abbas Ier s'oppose aux modernisations et il éloigne Tahtawi au Soudan de 1848 à 1854.

En 1827, le sultan ottoman Mahmud II envoie 150 étudiants turcs en Europe.

La réforme de l'enseignement dans le Dâr al-Islâm :
Réformer le rapport à la science demande de dissocier la vie intellectuelle de la vie religieuse. Il s'agit d'une réforme majeure et difficile pour les musulmans.
Pour des raisons évidentes, la médecine est la première science importée. En 1827, une école de médecine militaire est ouverte à Istanbul, et une autre en Égypte par Muhammad Ali la même année. En 1867, l’École civile de médecine ouvre à Istanbul. Deux facultés de médecine sont créées à Beyrouth dans un contexte chrétien : en 1867, une faculté protestante au sein du « Syrian Protestant College » et, en 1883, une faculté catholique à l’Université Saint-Joseph.
En 1903, la faculté de médecine de Damas est fondée.

L'examen de la carrière des premiers médecins ottomans est significative. Les premiers des promotions deviennent fonctionnaires ; seuls les derniers reçus exercent la médecine. La réussite sociale reste incarnée par la proximité du pouvoir : être militaire ou fonctionnaire reste la seule voie prestigieuse.

« Islam ». Lewis. Gallimard.
 
LA DHIMMA AU XIXe, XXe SIÈCLE.

En Égypte, Bonaparte émancipe les coptes et les juifs.
Cela choque Al-Djabarti, l'historien égyptien, un homme juste dans la logique musulmane. Il verra donc avec satisfaction le retour des ottomans qui rétablissent l'ordre de la dhimma.

En 1839, par le « Noble Rescrit du Berceau de la Rose », le sultan étend les « concessions impériales [en matière de fiscalité, de propriété, de recrutement, de droit] à tous ses sujets, quelle que soit leur religion ou leur secte. ». La suprématie des musulmans est remise en cause.

En 1856, l’empire ottoman abolit la dhimma. Chrétiens, juifs et musulmans, y sont donc théoriquement égaux.

Mais la conviction religieuse des musulmans de leur propre supériorité conduira, en fait, à supprimer la protection légale de la dhimma :

- En 1857, en Tunisie, un juif pauvre, Bafu Sfez, est exécuté pour avoir insulté l’islam en état d’ivresse.
- En 1860, des chrétiens sont massacrés au Mont-Liban.
- En 1909, le vice-consul Britannique à Mosul témoigne dans le rapport du 28 janvier : « Dix fois plus nombreux que les chrétiens et les juifs réunis, les musulmans se comportent avec eux comme un maître envers ses esclaves, les gratifiant de sa tolérance tant qu’ils restent à leur place, les châtiant sans pitié dès qu’ils font mine d’aspirer à l’égalité. Il n’est pas rare de voir dans la rue un chrétien céder humblement le passage à un enfant musulman. Il y a à peine quelques jours, nous avons nous-même été témoin de cette scène : deux juifs d’âge moyen et d’allure respectable se promenaient dans un parc. Passant par là, un jeune musulman qui ne devait pas avoir plus de huit ans ramassa une grosse pierre, puis une autre, et les lança dans leur direction avec la plus grande nonchalance, comme en d’autres lieux les petits garçons s’amusent à viser un chien ou un oiseau. Les juifs s’arrêtèrent, esquivèrent le tir, qui était bien ajusté, mais n’émirent pas la moindre protestation. » (H.E. Wilkie Yong, « Notes on the city of Mossul » jointes à la dépêche n°4, Mossul, le 28 janvier 1909, dans FO 195/2308 ; publiées dans Middle Eastern Studies, VII, 1971, pp. 229-235).
- En 1915, le sultan proclame de djihad contre les chrétiens. Les Jeunes-Turcs organisent le premier génocide du XXe siècle : celui des arméniens.
- Au XXe siècle, l’Ayatollah Khomeiny considère que « le corps tout entier de l’incroyant est impur : même ses cheveux, ses ongles et les humeurs de son corps sont impurs. ». « Quand un homme (ou une femme) se convertit à l’Islam, son corps, sa salive, ses secrétions nasales et sa sueur deviennent rituellement purs. Toutefois, les vêtements imprégnés de sueur avant la conversion demeurent impurs. ».

La dhimma était injuste, mais elle a permis aux dhimmis de survivre... avec des aléas, puisque les Almohades ont effectivement chassé les chrétiens du Maghreb. Si le siècle des Lumières, en Europe, a magnifié la tolérance musulmane, il l'a fait par rejet du christianisme : la dhimma était discriminatoire. Mais son abolition n'a rien arrangé, elle a conduit à la disparition des dhimmis.
De nos jours les communautés de chrétiens d'Orient sont en voie de disparition dans tous les pays où elles vivaient depuis 2000 ans : l'Irak, la Syrie, la Jordanie, la Turquie, l'Iran, le Liban et l'Égypte.

L'islam ne sait pas pratiquer la pluralité de la pensée en reconnaissant l’égalité de tous. Peut-il l'apprendre ?
 
LA NAHDA : CHERCHER UNE VOIE VERS LA DÉMOCRATIE DES INSTITUTIONS TOUT EN PRÉSERVANT L'ISLAM.

Rien n'est plus étranger à la pensée musulmane que la séparation des pouvoirs réclamée initialement par le Christ et théorisée par les philosophes des Lumières. Les mots citoyenneté, laïcité et constitution n'existent pas en arabe.
Ils seront créés au XXe siècle. L'idée de laïcité n'a aucun sens pour un musulman. Le pouvoir légitime est forcement l'union de l'autorité temporelle et spirituelle. L'égalité de tous, quelle que soit sa religion, son sexe, son statut social, est récusée par le Coran. La liberté du citoyen n'a pas de sens : l'homme est soumis à Allah ; il est Son esclave et ne peut réclamer être libre. Seule la différence entre l'homme libre et l'esclave est comprise.

La seule vertu exigée d'un bon souverain musulman est le sens de la justice. Le peuple a le droit de se révolter et a même le devoir de le faire si le souverain est injuste, c'est à dire s'il ne se soumet pas à la charia. S. 18-28 : « N’obéis pas à celui dont Nous avons rendu le cœur inattentif à Notre Rappel, et qui poursuit sa passion, et qui est outrancier en son commandement. ». Mais, face à l'injustice du pouvoir, seule la violence est possible, aucune institution n'existe qui permette une alternance.
L'islam contient, néanmoins, des éléments modérateurs :
- Le pouvoir du souverain musulman est limité, puisqu'il ne peut pas légiférer. Seule s'impose la charia, la loi intemporelle de d'Allah.
- L’autocratisme du sultan est également limité par les corps intermédiaires des oulémas et des notables que le sultan consulte pour obtenir un consensus. Le pouvoir des Janissaires, groupe armé autonome au sein de l'empire ottoman, va bientôt disparaître.

Après l'analyse de la civilisation occidentale, la Nahda va importer le principe de raison et celui de participation au pouvoir, c'est-à-dire les prémisses de la démocratie, en s'appuyant sur des éléments islamiques.
Jamal Al-Din Afghani (1838-1897), son élève égyptien Muhammad Abduh et le syrien Abd al-Rahman al-Kawakibi développent les trois concepts politiques de la nahda :

- L'unité, « Tawhid », doit être rétablie dans toutes ses composantes : l'unité politique de l’oumma mais aussi l'unité religieuse, pour revenir à l'islam des origines, supposé sans division.
- L'interprétation, « Ijtihad » des textes saints doit être possible. L'imitation, la « Taqlid », règne depuis 1000 ans. Il s'agit de réinterpréter l'islam au regard de la modernité.
- La consultation, la « Shura » (le mot existe dans des hadith), conduit au consensus, « l'ijma ». La sunna vient de donner la clé de la consultation populaire nécessaire à la démocratie.

Des réformes institutionnelles s'amorcent :
-En 1861, en Tunisie, une constitution est élaborée, inspirée du droit français, qui permet une séparation des pouvoirs comprenant un « grand conseil » de 60 membres autour du bey de Tunis. En 1864, le protectorat français fait disparaître le « grand conseil ».
-En 1866, le Khédive d’Égypte met en place une « assemblée consultative ».
-De 1839 à 1876, les sultans ottomans réforment leurs institutions par les Tanzimat (la réorganisation en turc). Puis en 1876, la première constitution ottomane est édictée. Elle est suivie de l'élection du premier Parlement ottoman.

La Nahda hésite entre le désir de réforme et la redécouverte d’un passé médiéval idéalisé.
 
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