Dieudonné, le produit de nos errements.
Qu’est-ce qui fait le succès de Dieudonné ?
Car il faut parler de succès. Une de ses vidéos a dépassé les 2 millions de vues. Chaque fois que M’bala poste, il y a des dizaines de milliers de personnes qui regardent. En retour, ils se font prendre en photo faisant la quenelle, et postent le résultat sur le site de Dieudo qui les en félicite. Il y a donc un système qui fonctionne et s’amplifie. Si c’est le cas, c’est parce que Dieudonné fait mine de répondre à des questions ou à des préoccupations qui «tournent» dans le public. Il serait peut-être temps que nous en parlions…
Le sionisme
Mettons d’emblée les pieds dans le plat. Ce que dit Dieudonné sur le sionisme n’est pas entièrement faux. Il s’appuie sur un certain nombre de constats. Le premier, c’est qu’Israël utilise régulièrement la Shoah comme instrument politique. Tout récemment encore, le vice-ministre israélien des Affaires étrangères a comparé les frontières de 1967 à celles «d’Auschwitz». Peu d’intellectuels en vue s’élèvent contre cette utilisation régulièrement obscène du pire assassinat de masse que l’occident ait connu et produit à l’intérieur de ses frontières. De même, l’insistance de certaines organisations «juives» (notez les guillemets) en Europe à lier Israël à la Shoah, et à qualifier d’antisémites ceux qui critiquent légitimement ou non Israël, est vécue par un certain nombre de défenseurs de la cause palestinienne comme une agression permanente. À cela s’ajoute l’insistance des médias à confondre ces organisations pro-israéliennes et «la communauté juive». Or, les opinions qui vivent au sein de la «vraie» communauté juive, entendez les gens qui se reconnaissent ou sont désignés comme «juifs», sont extrêmement variées et vont d’un soutien total à un grand Israël, de la mer jusqu’au Jourdain, à l’opinion inverse, à savoir qu’il vaudrait mieux effacer Israël de la carte !
Ceci ne retire rien au droit d’Israël de traiter de la Shoah, de désigner des justes, d’entretenir la mémoire. Mais utiliser l’Holocauste à des fins politiques a un prix.
Ariel Sharon fut l’un des «accélérateurs» de ce phénomène. En brandissant l’antisémitisme à tout escient qui pût être utile à la cause politique israélienne, il a abusé d’un mot qui ne devait être galvaudé, faute de quoi le devoir de mémoire, ou plutôt l’impérative nécessité de mémoire, deviendrait de plus en plus difficile à gérer. Ce qui arrive aujourd’hui avec la quenelle n’est donc pas sans fondement. La diabolisation de la cause palestinienne par un État occupant ne pouvait à terme que radicaliser l’opinion, au détriment d’un débat serein.
Or, seul un tel débat est souhaitable chez nous. Il est en effet absurde que les populations juives et musulmanes se déchirent en Europe, c’est au contraire précisément le lieu neutre où elles doivent se rencontrer et échanger leurs points de vue sans violence et dans le respect mutuel. Mais en instrumentalisant le sionisme de certains Juifs d’Europe (où le sionisme est une opinion aussi légale que la cause palestinienne, nous ne sommes pas des belligérants), la droite Israélienne est quelquefois la pire ennemie des «communautés juives européennes» (toujours entre guillemets, c’est évidemment une vue de l’esprit), et c’est Dieudonné qui solde aujourd’hui l’addition.
Le problème, bien sûr, c’est que celui-ci utilise ces errements israéliens (sionistes, donc, à ses yeux) pour prétendre que tout est sionisme, que tout est la faute au sionisme, que le sionisme est devenu notre façon de penser ici en Europe et défendre Faurisson qui a prétendu que les chambres à gaz n’ont pas existé (1) ! Une dérive qui ressemble très fort à de l’antisémitisme, puisqu’il utilise le prétexte offert par Israël (et Israël n’est pas «les Juifs», loin de là) pour tout mettre sur le dos du «sionisme». Nous ne pouvons pas accepter cette dérive. Mais nous ne pouvons pas pour autant interdire Dieudonné, ou le harceler comme s'il était un criminel nazi (avis aux Klarsfeld dont j'admire le combat, mais qui se trompent aujourd'hui d'intensité). C’est par l’explication que nous devons la combattre, par le débat, et pas par la censure.
Si le message de Dieudonné rencontre un certain succès, c’est parce que nous nous sommes trop concentrés sur ses effets sans nous intéresser à ses causes.
Antisémitisme et islamophobie
La rage de certains intellectuels «juifs» ou pro-Israël (mais de bien d’autres aussi) à imposer un distinguo entre antisémitisme et islamophobie en passant par la négation du terme «islamophobe» lui-même est un autre facteur propice au développement de dieudonéseries. Même si l’antisémitisme est en recrudescence, particulièrement à l’est de l’Europe (je pense notamment au JOBBIK hongrois), les personnes identifiées comme juives (y compris celles qui, portant un nom juif, ne se revendiquent pas de «la communauté juive») ne subissent pas, aujourd’hui, une discrimination comparable à celle dont souffrent bien des musulmans d’Europe. La musulmanophobie est une réalité qui s’exprime ouvertement, et quotidiennement, de multiples manières. D’abord par les discours d’hommes politiques qui ne sont que rarement censurés.
Personne n’évoque l’interdiction envers Geert Wilders de diffuser sa haine de l’Islam aux Pays-Bas. Personne ne propose de museler le Vlaams Belang en Belgique, qui appelle à une guerre contre l’Islam. Personne ne cherche à interdire les discours virulents de partis d’extrême droite en France (dont, au passage, Dieudonné est devenu humainement proche, puisqu’il fréquente Alain Soral, Faurisson, Jean-Marie Le Pen). Mais Dieudonné, lui, devrait être interdit de représentations ? Ce faisant, Manuel Valls commet une erreur gravissime, en répondant à une accusation de discrimination par… la confirmation de cette discrimination.
Pour en revenir à la situation des musulmans en Europe, il est indispensable de revoir notre copie. En établissant une hiérarchie entre antisémitisme et islamophobie — niant l’usage du mot «islamophobe» lui-même, nous refusons aux musulmans discriminés l’expression même de leur souffrance. Même s’il est évident qu’être l’objet de discriminations n’est pas de la même nature qu’être l’objet d’un génocide, l’on doit comprendre que les musulmans qui vivent ce dédoublement de la valeur de l’oppression humaine sont susceptibles de le prendre pour une «oppression sioniste». Dieudonné met simplement des mots (mal) choisis sur des phénomènes qui touchent une masse de gens, et son succès n’a dès lors rien d’étonnant. Tant qu’on ne reconnaîtra pas l’islamophobie pour ce qu’elle est, une xénophobie de la même nature que l’antisémitisme, nous alimenterons son lectorat.............................
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