mis en ligne le jeudi 8 janvier 2009
par David Chemla
8 janvier 2009
Israël devait-il se lancer dans cette guerre ? La situation dans les villes du Sud du pays était impossible à supporter depuis que le Hamas avait mis fin à la trêve. Je ne crois pas que la France aurait laissé les villes alsaciennes bombardées depuis l’Allemagne ou les Etats-Unis celles du Texas à partir du Mexique. Face à l’opinion israélienne, surtout à quelques semaines des élections, le gouvernement israélien se devait de réagir. C’est pour cette raison qu’un large consensus a accompagné le déclenchement de cette guerre, d’autant plus qu’elle était soutenue tacitement par les pays arabes pro-occidentaux, au premier plan desquels se trouve l’Egypte, intéressée à un affaiblissement du Hamas qui est, ne l’oublions pas, l’allié des Frères musulmans ennemis du régime de Moubarak. Ce consensus a commencé à se fracturer depuis le déclenchement de l’opération terrestre. Un débat a même divisé, au début du conflit, le camp de la paix, partagé entre la nécessité de réagir aux bombardements des villes du Sud et la crainte de voir Israël tomber dans un piège analogue à celui de 2006 au Liban, où une relative victoire militaire s’était vite transformée en une défaite politique et médiatique. Dans les guerres asymétriques, comme celle menée par les Palestiniens, la guerre des images est plus importante que celle qui se déroule sur le terrain. Et, quelle que soit la suite des événements, Israël a d’ores et déjà perdu cette guerre. Le blocus imposé aux journalistes étrangers pour entrer dans Gaza laisse aux seuls journalistes locaux la possibilité de travailler sur place. C’est ainsi que se mêlent parfois aux images de la guerre actuelle, comme l’a reconnu la rédaction de France 2, des images tournées en 2005 où, suite à un "accident de travail palestinien", une explosion avait causé la mort de civils.
Quatre épisodes dramatiques, survenus les 5 et 6 janvier, illustrent les conditions dans lesquelles se déroule la guerre à Gaza et ses limites, empêchant probablement les dirigeants israéliens d’atteindre les objectifs politiques et militaires qu’ils se s’étaient fixés.
Le premier événement, le plus marquant de cette journée, largement repris par les médias, est la mort d’une quarantaine de civils palestiniens suite au tir d‘un tank israélien en réponse, selon Tsahal, à des tirs de mortier du Hamas provenant d’une école de l’ONU où s’étaient réfugiés des civils. Le second est survenu lorsqu’un Palestinien, bardé d’une ceinture d’explosifs, s’est jeté sur un soldat l’enfermant dans une étreinte mortelle. Le troisième est la mort, suite à des "tirs amis", de 4 soldats israéliens au cours des combats. Enfin le dernier, se terminant lui heureusement sans victime, s’est produit quand, après avoir passé la nuit avec son unité dans une école abandonnée, un soldat a découvert que le bâtiment était entièrement miné et que par miracle aucun des soldats présents n’avait actionné la charge de dynamite.
Ces quatre exemples, aux conséquences dramatiques différentes, sont la preuve qu’il ne s’agit pas de blâmer l’armée dans le déroulement de cette opération, mais plutôt l’échelon politique qui lui a confié cette mission. Aux dires des commentateurs militaires israéliens eux-mêmes, tels qu’ils sont rapportés dans les médias, l’ordre de priorité que se sont donné les militaires est le suivant :
Protéger en priorité les soldats sur le terrain. L’expérience de la guerre de 2006 a en effet montré que le soutien de la population israélienne à la politique de son gouvernement est inversement proportionnelle au nombre des victimes civiles et militaires occasionnées par le conflit. Au-delà d’un certain seuil, l’opinion risque de basculer, empêchant l’armée d’atteindre ses objectifs.
Limiter, voire si possible arrêter, les tirs sur les villes israéliennes en détruisant les stocks des missiles rassemblés par le Hamas ces dernières années, éradiquant ainsi sa force de frappe.
Et seulement en troisième position, éviter les pertes civiles palestiniennes. Cette troisième priorité était potentiellement en contradiction avec la première, comme l’a montré le bombardement de l’école de l’ONU.
Je doute qu’une autre armée aurait eu un ordre de priorités différent. Le problème réside dans l’équation impossible qui lui est posée par l’échelon politique. Face à une organisation préparée à mener une guerre au sein de sa propre population civile qu’elle prend volontairement en otage, il est impossible de mener une guerre propre. Les stratèges militaires avaient d’ailleurs intégré ces paramètres avant de déclencher ce conflit. Ils estimaient, aux dires mêmes des commentateurs militaires, à plusieurs centaines le nombre des victimes civiles palestiniennes potentielles. Ce qui pose problème dans une telle statistique, ce n’est pas en soi qu’elle existe, mais qu’elle n’ait pas constitué un frein suffisant pour repousser la décision de se lancer dans cette opération. A combien doit se monter le nombre des victimes civiles pour forcer les dirigeants israéliens à chercher une autre façon de régler ce conflit ? Ne comprennent-ils pas que la colère et la haine suscitées par les images de ces victimes civiles, dans le monde et en particulier dans le monde musulman, sont davantage porteuses de menaces pour la sécurité à long terme d’Israël que tous les missiles du Hamas réunis ?
Il est urgent aujourd’hui d’arrêter au plus vite cette guerre. Ses conséquences sont catastrophiques au regard des intérêts vitaux des Israéliens et des Palestiniens, en quête d’une solution politique au conflit. Même si ses infrastructures sont détruites et sa direction politique affaiblie, aux yeux de l’opinion palestinienne, le Hamas risque de sortir renforcé de ce conflit. Le témoignage publié dans le Figaro du 6 janvier de Qadura Fares [1], que j’avais interviewé pour Bâtisseurs de paix [2], montre bien le dilemme posé aux leaders du Fatah qui, bien que s’opposant à l’idéologie du Hamas, doivent durcir aujourd’hui leur ton pour ne pas perdre ce qui leur reste de crédit dans les territoires palestiniens occupés. Il est dans l’intérêt stratégique des Israéliens de renforcer la position de l’Autorité palestinienne et de son dirigeant Mahmoud Abbas qui, en leur offrant une solution politique véritable et applicable, est leur seul partenaire crédible.
Nous appuyons les efforts de la communauté internationale, et en particulier ceux menés par la France, pour imposer rapidement un cessez-le-feu et pour que celui-ci soit accompagné des mesures de contrôle destinées à empêcher la poursuite de la contrebande d’armes à la frontière égyptienne. Un tel cessez-le-feu ne pourra perdurer que si, via l’Egypte ou tout autre intermédiaire, des négociations sont menées avec le Hamas, qui conduisent dans un premier temps au retour de la trêve, puis à la fin du blocus de Gaza. C’est avec son ennemi d’aujourd’hui, le Hamas, qu’Israël doit négocier cette trêve afin de trouver une solution politique à un conflit dont tout le monde s’accorde pour reconnaître qu’il n’a pas de solution militaire. Et si le Hamas refuse alors de négocier, il en portera seul, aux yeux du monde et de son peuple, l’entière responsabilité.
Nous devons enfin tous veiller ici à ce que conflit ne soit pas à nouveau importé en France.
par David Chemla
8 janvier 2009
Israël devait-il se lancer dans cette guerre ? La situation dans les villes du Sud du pays était impossible à supporter depuis que le Hamas avait mis fin à la trêve. Je ne crois pas que la France aurait laissé les villes alsaciennes bombardées depuis l’Allemagne ou les Etats-Unis celles du Texas à partir du Mexique. Face à l’opinion israélienne, surtout à quelques semaines des élections, le gouvernement israélien se devait de réagir. C’est pour cette raison qu’un large consensus a accompagné le déclenchement de cette guerre, d’autant plus qu’elle était soutenue tacitement par les pays arabes pro-occidentaux, au premier plan desquels se trouve l’Egypte, intéressée à un affaiblissement du Hamas qui est, ne l’oublions pas, l’allié des Frères musulmans ennemis du régime de Moubarak. Ce consensus a commencé à se fracturer depuis le déclenchement de l’opération terrestre. Un débat a même divisé, au début du conflit, le camp de la paix, partagé entre la nécessité de réagir aux bombardements des villes du Sud et la crainte de voir Israël tomber dans un piège analogue à celui de 2006 au Liban, où une relative victoire militaire s’était vite transformée en une défaite politique et médiatique. Dans les guerres asymétriques, comme celle menée par les Palestiniens, la guerre des images est plus importante que celle qui se déroule sur le terrain. Et, quelle que soit la suite des événements, Israël a d’ores et déjà perdu cette guerre. Le blocus imposé aux journalistes étrangers pour entrer dans Gaza laisse aux seuls journalistes locaux la possibilité de travailler sur place. C’est ainsi que se mêlent parfois aux images de la guerre actuelle, comme l’a reconnu la rédaction de France 2, des images tournées en 2005 où, suite à un "accident de travail palestinien", une explosion avait causé la mort de civils.
Quatre épisodes dramatiques, survenus les 5 et 6 janvier, illustrent les conditions dans lesquelles se déroule la guerre à Gaza et ses limites, empêchant probablement les dirigeants israéliens d’atteindre les objectifs politiques et militaires qu’ils se s’étaient fixés.
Le premier événement, le plus marquant de cette journée, largement repris par les médias, est la mort d’une quarantaine de civils palestiniens suite au tir d‘un tank israélien en réponse, selon Tsahal, à des tirs de mortier du Hamas provenant d’une école de l’ONU où s’étaient réfugiés des civils. Le second est survenu lorsqu’un Palestinien, bardé d’une ceinture d’explosifs, s’est jeté sur un soldat l’enfermant dans une étreinte mortelle. Le troisième est la mort, suite à des "tirs amis", de 4 soldats israéliens au cours des combats. Enfin le dernier, se terminant lui heureusement sans victime, s’est produit quand, après avoir passé la nuit avec son unité dans une école abandonnée, un soldat a découvert que le bâtiment était entièrement miné et que par miracle aucun des soldats présents n’avait actionné la charge de dynamite.
Ces quatre exemples, aux conséquences dramatiques différentes, sont la preuve qu’il ne s’agit pas de blâmer l’armée dans le déroulement de cette opération, mais plutôt l’échelon politique qui lui a confié cette mission. Aux dires des commentateurs militaires israéliens eux-mêmes, tels qu’ils sont rapportés dans les médias, l’ordre de priorité que se sont donné les militaires est le suivant :
Protéger en priorité les soldats sur le terrain. L’expérience de la guerre de 2006 a en effet montré que le soutien de la population israélienne à la politique de son gouvernement est inversement proportionnelle au nombre des victimes civiles et militaires occasionnées par le conflit. Au-delà d’un certain seuil, l’opinion risque de basculer, empêchant l’armée d’atteindre ses objectifs.
Limiter, voire si possible arrêter, les tirs sur les villes israéliennes en détruisant les stocks des missiles rassemblés par le Hamas ces dernières années, éradiquant ainsi sa force de frappe.
Et seulement en troisième position, éviter les pertes civiles palestiniennes. Cette troisième priorité était potentiellement en contradiction avec la première, comme l’a montré le bombardement de l’école de l’ONU.
Je doute qu’une autre armée aurait eu un ordre de priorités différent. Le problème réside dans l’équation impossible qui lui est posée par l’échelon politique. Face à une organisation préparée à mener une guerre au sein de sa propre population civile qu’elle prend volontairement en otage, il est impossible de mener une guerre propre. Les stratèges militaires avaient d’ailleurs intégré ces paramètres avant de déclencher ce conflit. Ils estimaient, aux dires mêmes des commentateurs militaires, à plusieurs centaines le nombre des victimes civiles palestiniennes potentielles. Ce qui pose problème dans une telle statistique, ce n’est pas en soi qu’elle existe, mais qu’elle n’ait pas constitué un frein suffisant pour repousser la décision de se lancer dans cette opération. A combien doit se monter le nombre des victimes civiles pour forcer les dirigeants israéliens à chercher une autre façon de régler ce conflit ? Ne comprennent-ils pas que la colère et la haine suscitées par les images de ces victimes civiles, dans le monde et en particulier dans le monde musulman, sont davantage porteuses de menaces pour la sécurité à long terme d’Israël que tous les missiles du Hamas réunis ?
Il est urgent aujourd’hui d’arrêter au plus vite cette guerre. Ses conséquences sont catastrophiques au regard des intérêts vitaux des Israéliens et des Palestiniens, en quête d’une solution politique au conflit. Même si ses infrastructures sont détruites et sa direction politique affaiblie, aux yeux de l’opinion palestinienne, le Hamas risque de sortir renforcé de ce conflit. Le témoignage publié dans le Figaro du 6 janvier de Qadura Fares [1], que j’avais interviewé pour Bâtisseurs de paix [2], montre bien le dilemme posé aux leaders du Fatah qui, bien que s’opposant à l’idéologie du Hamas, doivent durcir aujourd’hui leur ton pour ne pas perdre ce qui leur reste de crédit dans les territoires palestiniens occupés. Il est dans l’intérêt stratégique des Israéliens de renforcer la position de l’Autorité palestinienne et de son dirigeant Mahmoud Abbas qui, en leur offrant une solution politique véritable et applicable, est leur seul partenaire crédible.
Nous appuyons les efforts de la communauté internationale, et en particulier ceux menés par la France, pour imposer rapidement un cessez-le-feu et pour que celui-ci soit accompagné des mesures de contrôle destinées à empêcher la poursuite de la contrebande d’armes à la frontière égyptienne. Un tel cessez-le-feu ne pourra perdurer que si, via l’Egypte ou tout autre intermédiaire, des négociations sont menées avec le Hamas, qui conduisent dans un premier temps au retour de la trêve, puis à la fin du blocus de Gaza. C’est avec son ennemi d’aujourd’hui, le Hamas, qu’Israël doit négocier cette trêve afin de trouver une solution politique à un conflit dont tout le monde s’accorde pour reconnaître qu’il n’a pas de solution militaire. Et si le Hamas refuse alors de négocier, il en portera seul, aux yeux du monde et de son peuple, l’entière responsabilité.
Nous devons enfin tous veiller ici à ce que conflit ne soit pas à nouveau importé en France.