« Mithly », la voix du gay Maroc
AMILHAU, Amélie
jeudi 15 avril 2010, 10:40
C'est à Rabat, dans la plus totale clandestinité, que « Mithly » a été imprimé en cachette des fous de dieu. Le magazine est une bouffée d'oxygène pour une communauté gay toujours discriminée et criminalisée. Pour les islamistes, l'homosexualité est « contre l'avenir de l'humanité ».
Pour des raisons de sécurité, « Mithly » est diffusé sous le manteau Cest principalement via internet que les lecteurs peuvent le découvrir © DR
CASABLANCA
DE NOTRE CORRESPONDANTE
Une révolution, un immense pas en avant : les superlatifs ne manquent pas dans la communauté homosexuelle marocaine pour qualifier la sortie du premier magazine gay du monde arabe Mithly (« homo »). Ces 19 pages entièrement consacrées à ce sujet ultra-tabou au Maroc créent beaucoup d'espoir. « Jusqu'à aujourd'hui, tout ce qu'on pouvait lire sur nous dans les journaux marocains était profondément injurieux. On nous présentait comme des pervers, des dangers pour la société marocaine. Avec Mithly, on a voulu donner notre version des choses », explique Mourad, l'un des auteurs de cet ovni journalistique.
La volonté est là de faire entendre la voix des gays. Mais pas question pour Mourad ni pour les autres auteurs, de donner leurs véritables identités. La revue a été écrite dans la clandestinité. Les 200 exemplaires ont été imprimés en cachette et diffusés sous le manteau. C'est principalement via le site
www.mithly.net que les lecteurs peuvent découvrir le magazine. « C'était impossible de faire autrement. Un tel magazine peut nous attirer des problèmes non seulement avec les autorités mais aussi avec les extrémistes. Un fou de Dieu peut venir me tuer dans la rue parce qu'il croit que ça va lui faire gagner une place au paradis », s'inquiète Mourad. Pas d'appel au meurtre pour l'instant mais déjà une condamnation claire des islamistes. Le journal Attajdid, proche du Parti justice et développement (parti islamiste représenté au parlement) a immédiatement répondu par article interposé pour dénoncer la nouvelle parution. Et quelques jours plus tard, confortablement installé dans son bureau de Rabat, Mustapha Khalfi, le directeur de publication d'Attajdid persiste et signe. « Les autorités doivent interdire cette publication qui porte atteinte aux valeurs islamiques de la société marocaine », plaide-t-il calmement en expliquant que « l'homosexualité est
contre l'avenir de l'humanité ».
Le pouvoir marocain n'a pas réagi pour l'instant. Mais les papas de Mithly savent que tout article trop subversif pourrait leur couper les ailes. Il faut dire que l'homosexualité est considérée ici comme un délit qui peut coûter de six mois à trois ans de prison. Et que la société marocaine peut devenir très agressive avec ceux qui tentent de sortir un peu de la clandestinité.
Silhouette élancée et petite voix craintive, Amine, un étudiant de 23 ans, frissonne encore au souvenir de son coming-out forcé : « Un ami à mes parents m'a vu avec un de mes copains. Il leur a dit et en a parlé à tout le quartier. Ma famille, très pratiquante, m'a renvoyé de la maison. Dans la rue, tout le monde me montrait du doigt, m'insultait. Ma vie est du jour au lendemain devenu un enfer. » Pour retrouver un semblant de tranquillité, Amine n'a pas eu d'autres choix : il est retourné chez lui, une jeune demoiselle à son bras. Et se retrouve aujourd'hui devant une impasse : « Je peux soit me marier avec une femme que je n'aime pas et que je ne rendrais jamais heureuse. Soit courir le risque de perdre ma famille, être mis au ban de la société et ne jamais trouver de travail. »
Malgré ces idées noires, Amine esquisse un sourire dans sa petite chambre louée à la journée pour s'offrir quelques heures d'intimité avec Karim, son petit ami depuis un an et demi. « L'existence de ce magazine montre que les choses commencent un tout petit peu à bouger. Qui sait, on arrivera peut-être un jour à vivre notre amour au grand jour et faire admettre aux gens qu'on est des êtres humains comme les autres », souffle-t-il, rêveur. Avant de signifier d'un geste de la main qu'il n'y croit en fait pas tant que ça.
Par crainte des représailles, toutes les personnes qui ont témoigné pour cet article nous ont demandé de cacher leur identité.
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