L’auteur est une femme. Elle est sociologue, professeur à l’université de Rabat, membre du Conseil d’université des Nations unies et consultante pour l’Unesco. Fatima Mernissi réalise dans cet ouvrage un travail d’expertise pour traquer le faux en hadith comme l’on fait des fkih à partir du IXe siècle. Elle a analysé méthodiquement une somme d’archives colossale et s’aventure ainsi dans un domaine considéré comme le monopole exclusif des hommes. C’est une cure de jouvence pour ceux qui veulent connaître ce qui fonde le destin de l’Islam et certaines orientations qui contrarient les ouvertures sur le futur...
Le Faux en Hadiths
Tous les hadiths qui constituent la tradition (sunna) ne sont pas authentiques. Un très grand nombre a été le fait d’une volonté délibérée de travestir la pensée du Prophète pour tirer certains avantages personnels. On sait combien cette vérité est difficile à admettre et à quel point elle ébranle nos certitudes. C’est que les musulmans d’aujourd’hui ont une opinion idyllique des temps héroïques de l’Islam naissant. al-Boukhârî mort en l’an 870 de J.-C., a bien pressenti l’ampleur du phénomène. Il a répertorié 600 000 hadiths en usage à son époque collectée auprès de 1080 personnes. De ce gigantesque recueil, le savant n’en sélectionnera que 1,2%, soit 7275 qui seront consignés dans le volumineux Sahih El Bokhari (littéralement les Authentiques de al-Boukhârî). On ne saurait trop reconnaître le travail remarquable de cet homme pour avoir osé ce qu’aucun musulman contemporain n’aurait su faire par sentiment d’inquiétude devant ce qui est considéré comme sacré à tort ou à raison. Fatima Mernissi a eu une démarche scientifique fondée sur le doute en considérant que la mémoire humaine n’est pas infaillible. Elle s’est défendue de porter la moindre accusation aux nombreux personnages historiques qui ont eu recours à l’usage de faux pour régler leurs affaires personnelles. Dans ce terrain difficile, Fatima Mernissi a interrogé les textes sous l’éclairage des faits historiques. Elle revisite les positions de l’apôtre de Dieu sur l’égalité des sexes. Elle démontre comment sous les effets de conjonctures difficiles, il va subir de la part de son entourage une pression permanente dans le dessein de renoncer à ce principe égalitaire qui rompt avec le système tribal anti-islamique.
À quoi servent les faux Hadiths ?
Pour tenter une réponse à cette question, il faut rappeler l’âpreté des luttes pour la succession au pouvoir après la mort du Prophète et la légitimation de tout et rien par le texte sacré. Les souverains vont agir sur les champs de la mémoire en y faisant introduire des hadiths complaisants qui justifient une conduite particulière, notamment pour assujettir leurs administrés. Fatima Mernissi cite l’exemple d’un hadith misogyne « Lam yaflahou qawmoun in kana amirahoum imra’a », un peuple qui se fait conduire par une femme va à sa ruine. Fatima Mernissi remonte aux origines de l’auteur de ce soi-disant hadith, Abou Bakra (ne pas confondre avec le khalif), un notable de la ville de Bassora, ancien esclave libéré par le Prophète, il s’est installé en Irak. 25 ans après la mort du Prophète, il se souviendra de ce hadith à l’occasion de la guerre civile entre le khalife Ali et Aïcha. Abou Bakra va justifier son refus d’engagement auprès de Aïcha par ce hadith opportuniste qui lui permet de s’attirer les sympathies de Ali.
Et devant le hadith en question, il importe de savoir si une telle attitude envers les femmes est en conformité avec la pensée et la conduite habituelle du Prophète tel qu’il est décrit par ses biographes auteurs de la Sira Ennabaouiyya. L’auteur du Harem politique cite le cas d’Abu Houraïra, un disciple qui dit avoir collectionné et retenu de mémoire 5300 hadiths ! Conscient qu’une telle capacité de mémoire est humainement difficile à faire admettre, Abu Houraïra explique alors ses performances par des moyens dont il est le seul à avoir le secret. Il dit notamment que le Prophète qui lui aurait conseillé d’étendre son manteau à terre et ainsi il va contenir toutes les paroles qui risquent de s’envoler échappant à son écoute. Fatima Mernissi nous rappelle tout simplement que le Prophète n’aimait ni la magie ni les magiciens. Cette suggestion du manteau étalé à terre pour ramasser les paroles prophétiques serait donc une invention de Abou Houraïra. L’homme agaçait Aïcha Oum El Mouminine. L’épouse du Prophète disait de Abou Houraïra qu’il n’est pas doué pour l’écoute et lorsqu’il était sollicité, il était incapable de donner de bonnes réponses. Elle lui reprocha un jour de raconter des hadiths qu’il n’a jamais entendus. Piqué au vif, Abou Houraïra répondit à Aïcha de façon insolente, reniant le principe coranique du respect absolu et dévolu à l’égard des épouses du Prophète.
Est-il digne de foi ?
L’auteur met en parallèle les origines et le comportement de Abou Houraïra et le contenu des hadiths qu’il dit avoir entendu de la bouche du Prophète durant les trois ans qu’il fut en sa compagnie. Pour réussir à retenir 5300 hadiths, il aurait fallu que tous les jours il en consigne entre 5 et 6 hadiths et n’en oublie aucun... Il faut aussi envisager que le Prophète ne dût se consacrer qu’exclusivement à cette pratique de dire les choses à Abou Houraïra, laissant en second plan les affaires publiques où se mêlent le Sacré, le militaire et les nombreuses tractations avec les turbulents seigneurs des tribus arabes. Alors qui est cet homme qui fut, incontestablement, un disciple ? Yéménite d’origine, il s’appelait Abd Echams (serviteur du soleil). L’Astre solaire étant une ancienne divinité au Yémen, le Prophète attribue à cet homme le nom d’Abdallah avec un sobriquet de Abou Houraïra qui veut dire « l’homme à la petite chatte » pour avoir l’habitude de se montrer avec ce petit animal dans les bras. Ce côté délicat qui le mettait en compétition avec les femmes devait certainement trancher avec la rudesse des hommes de son époque. Le Harem politique est un ouvrage très accessible au grand public, qui a le mérite de réconcilier avec le sens critique qui prévalait au début de l’Islam et qui s’essouffle paradoxalement à l’ère moderne.