Il y a deux siècles, colons, administrations et richesses de Mazagan (El Jadida) avaient été transférés par les portugais à Mazagào, au Brésil. Depuis, la ville antique est une ville en ruine. Et sa cité portugaise, une relique vouée à l'abandon.
Mazagمo, la ville qui traversa l'Atlantique : du Maroc à l'Amazonie. Laurent Vidal* na pas terminé de signer son dernier ouvrage que la cité portugaise dEl Jadida est devenue subitement la coqueluche de plusieurs centres de recherche scientifique. Le tout couronné par une émission de France Culture animée par Arlette Farge, professeur au CNRS et Jean Hébrard, de lEHESS, et diffusée le 12 Septembre 2005.
Dans son essai, Vidal a repéré une situation pour le moins particulièrement rare, celle dune ville transportée corps et biens au Brésil. Après avoir enquêté dans les fonds d'archives les plus diverses au Maroc, au Portugal et au Brésil, ce spécialiste de lancienne colonie lusophone, nous conte une épopée extraordinaire.
Lhistoire remonte à 1514 : le trône portugais en guerre contre les maures, installe un comptoir important à Mazagào, entre Azzemour et El Oualidia. La cité portugaise a été construite probablement sur l'emplacement d'un ancien comptoir phénicien fondé au milieu du 5e siècle avant Jésus-Christ et connu sous le nom de Portus Rusibis rappelle un professeur dhistoire. Baptisée Mazagan, cette nouvelle ville (doù son appellation ultérieure : El Jadida) devint très vite un port commercial de première importance grâce à lexportation des produits agricoles de la région des Doukkala. Durant deux siècles, les différents monarques qui se sont succédé au Maroc ont tenté de libérer la ville.
Un siècle après, le comptoir agonise, faute dintérêt de la part de la métropole portugaise engagée dans la conquête de lAmérique. Harcelés par les attaques des autochtones, les portugais se plaignent sans arrêt à la Couronne. Une situation qui va devenir intenable avec le siège de 1769, car les 2000 Portugais réfugiés derrière la forteresse, affamés, assoiffés, ne peuvent plus tenir face aux 120 000 soldats arabes et berbères qui se sont installés au pied des remparts.
Cest à ce moment là que la décision de déplacer les occupants portugais de la ville de Mazagào, ainsi que les richesses quils y ont accumulées, est prise par Joseph Ier Emmanuel dit Joseph le Réformateur. Comme, de l'autre côté de l'Atlantique, le Portugal a commencé la colonisation de l'Amazonie, la destination de ses protégés est toute trouvée. La Nova Mazagào, sur le fleuve Amazone, est appelée à devenir la nouvelle perle de l'Empire. Lauteur raconte que ce déplacement des populations correspond à une véritable odyssée. Avec lembraquement des familles, les Portugais emportent notamment les objets de culte et les livres de ladministration.
Le 11 mars 1669, les 2092 habitants qui constituent la présence portugaise dans la région sont embarqués pour un périple qui va durer près de deux ans. Pragmatique, ladministration centrale brûle tout ce qui peut lêtre et jette les canons à la mer. Le déménagement se fait en deux phases avec une escale de six mois à Lisbonne. ہ Belem, cest une nouvelle escale de plusieurs années qui attend des voyageurs particulièrement fatigués. Ils fondent alors Nova Mazagمo, sur lembouchure du grand fleuve. Aujourdhui encore, chaque année, au Brésil, les descendants des Mazaganistes célèbrent, lors de la Sao Tiago (Saint Jacques), les luttes de leurs ancêtres chrétiens contre les Maures. La présence portugaise aura perduré jusqu'en 1769 quand la ville a été libérée par le Sultan marocain Sidi Mohamed Ben Abdellah.
à El Jadida les maures daujourdhui ne sont pas très au courant de louvrage de Vidal. Pour Azzedine Karra, le directeur du Centre du Patrimoine Maroco-Lusitanien, situé à El Jadida, ce qui est plus intéressant pour la partie marocaine, ce sont les départs des Marocains vers Lisbonne et il cite le travail effectué par Ahmed Bouchareb sur le déplacement en 1521, dune communauté importante de Doukkalis vers le Portugal : Fuyant une famine terrible, des douars entiers de la région avaient accepté de traverser lAtlantique pour sinstaller et vivre au Portugal.
Une présence marocaine confirmée dailleurs par Mustapha Machiche Alami qui tente par de nombreux voyages au Portugal de renouer le contact avec cette communauté et dinstaller un pont culturel entre les deux pays. Il rappelle, quant à lui, une particularité de la colonisation portugaise : Contrairement aux autres Européens, ils nhésitaient pas à se mêler à la population locale et à contracter des alliances par mariage.
Aujourdhui, entre Mazagan, ville du souvenir et Mazagào, la brésilienne, les ponts sont coupés. Seule relique de ces temps ancestraux, la cité portugaise dEl Jadida a été, le 30 juin 2004, consacrée patrimoine mondial de lhumanité lors de la 28ème session de lUNESCO, tenue à Suzhou en Chine. Un an plus tard, le site respire labandon. Joyau de la cité, la citerne portugaise est le seul bâtiment encore intact...
telquel