Enquête. La tentation du christ
(AFP)
Malgré le harcèlement policier et les menaces de mort, des milliers de Marocains se sont convertis au christianisme. Aujourdhui lEtat réagit violemment pour contrer la menace.
"Quelle est ta religion ? Depuis quelques jours, cette question lancinante tombe comme un couperet sur les enfants de lorphelinat dOugmas, près dAzrou. Posée par des gendarmes inquisiteurs, devenus depuis peu garants de lappartenance à la oumma islamique, la question effraye les gamins recueillis par linstitution tenue par des
chrétiens. Ils sinquiètent pour leurs parents adoptifs dune autre confession. Si les gendarmes flairent une once de chrétienté chez ces gosses, dont la moyenne dâge est de 12 ans, une accusation de prosélytisme sabattra sur les familles en charge de lorphelinat. Et dans la foulée, elles risquent dêtre expulsées manu militari.
Les enfants savent à quoi sen tenir, le précédent nest pas très loin, à quelques encablures. Le 8 mars, 16 éducateurs chrétiens du Village de lespérance de Aïn Leuh ont été expulsés. Le ministère de lIntérieur sest appuyé sur larticle 220 du Code pénal, qui condamne quiconque emploie des moyens de séduction dans le but débranler la foi d'un musulman (
) en utilisant à ces fins des orphelinats. La loi prévoit six mois à trois ans de prison pour le délit de prosélytisme - autre que musulman, cela va sans dire. Sauf que la procédure légale na pas été respectée. Il ny a eu aucun procès, pas de plaidoyer de la défense, ni éléments à charge de lEtat.
La peur au ventre, les enfants dOugmas subissent, depuis, des interrogatoires quasi quotidiens des autorités, qui vont jusquà sinviter dans leur école à Azrou. Lun des enfants confie que ses camarades de classe se gaussent déjà de sa chrétienté supposée. Les enfants ne sont ni chrétiens, ni musulmans. Ce sont juste des enfants, se défend lun des employés de lorphelinat.
Jésus non grata
Cet argument ne risque pas de convaincre les gendarmes. Le temps est à lorage pour les missionnaires chrétiens, comme le prouve la multiplication des expulsions détrangers accusés d ébranler la foi des musulmans. Trois dentre eux ont été priés de plier bagage rien que pour le mois de mars. Avant cela, en février, à Amizmiz près de Marrakech, une soixantaine de gendarmes ont encerclé une maison où sétaient réunis 19 Marocains en compagnie dun Américain qui aurait essayé de les convertir. Les autorités ont expulsé le missionnaire et retenu les autres protagonistes en garde à vue plus de 14 heures. Longtemps accepté pour ne pas nuire à limage de tolérance du Maroc, le prosélytisme chrétien est désormais non grata. Pourquoi un tel durcissement ? Cest une conséquence de la reprise en main du champ religieux impulsée par Mohammed VI, explique le politologue Mohamed Darif. Contrer lislam radical passe par la lutte contre le prosélytisme chrétien. Il sagit de couper lherbe sous le pied des islamistes qui critiquent le laisser-faire de lEtat vis-à-vis des missionnaires évangéliques.
Le roi a donné le la, tout le monde lui a emboîté le pas. Fidèle au nouveau credo officiel, le directeur de Dar Al Hadith Al Hassania, Ahmed Khamlichi, a listé dans un discours doctobre 2008 les ennemis de lislam modéré, à la sauce marocaine, voulu par le Commandeur des croyants. On y retrouve les chiites, les salafistes, les athées et, last bust not least, les chrétiens évangéliques. Il sagit dorénavant de garantir la sécurité spirituelle des Marocains. Cette expression à connotation religieuse, jargon du ministère des Affaires islamiques, est désormais reprise par le ministère de lIntérieur pour justifier les expulsions de chrétiens.
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