@misszara88 @Marok19
Je n'ai pas encore de contribution pertinente à apporter à ce fil en matière de soufisme...
Par contre j'ai lu votre échange sur les larmes et les rires et j'ai eu envie de me confier... Alors je vous raconte un peu ma vie ici...
Quand j'étais enfant et que j'allais voir ma famille tous les étés, on était une bande de cousins qui jouions ensemble. Et quand les plus âgés refusaient que je joue avec eux parce que j'étais trop jeune, j'allais bouder auprès d'un de mes cousins germains et il me disait "tu pleures cousine ? allez c'est pas grave viens on fait la course des voitures sur mon PC" et on y passait un long moment. Il me parlait de la voisine dont il était amoureux, me demandait à quoi ressemblait la France, si les kilos de gel qu'il avait tartiné sur son crâne avaient bien fait tenir sa mèche en l'air, me refilait la nourriture qu'il ne voulait pas manger sans vexer ma tante, me faisait écouter son dernier tube préféré, m'a raconté le jour où on lui a donné le nom de sa maladie et qu'on lui a dit qu'il ne marcherai plus jamais (et qu'il ne vivrait pas bien vieux)...
Aussi loin que je m'en souvienne je l'ai toujours vu en fauteuil roulant, et je l'ai vu perdre de plus en plus en mobilité au fil des étés... et puis un soir, j'avais fait mon entrée en 6ème il y a peu, on a reçu un coup de téléphone de l'étranger nous annonçant qu'il était décédé à l'hopital. Il avait 17 ans, et j'ai commencé à pleurer instantanément, et de longues heures par jour/nuit pendant des semaines, avec ma soeur, et ma mère qui venait de perdre son neveu (je savais que c'était une angoisse sans nom pour elle, à chaque fois qu'on allait rentrer en France, elle le serrait plus longtemps dans ses bras que les autres et pleurait en lui disant qu'elle l'aimait et qu'il devait prendre soin de lui car elle reviendrait le voir l'été prochain). J'étais jeune, et perméable, et j'ai tout de suite compris combien cet événement était grave et irréversible, et mes larmes ont coulé, coulé, coulé, du fond du coeur, sans forcer et sans retenue, et rien ni personne n'a réussi à me faire rire ou penser à autre chose. Les souvenirs que je vous raconte là, je me les remémore régulièrement avant de dormir, et, presque 14 ans plus tard, je pleure parfois en me disant qu'il n'y en aura plus de nouveaux et qu'il manquera toujours un membre à la team.
Mais depuis, j'ai grandi, j'ai connu d'autres décès, et je n'ai pas réagi de la même façon.
Quand mes grands-pères sont décédés il y a quelques années, j'étais absente et amorphe, mais c'est tout. J'ai essayé de me forcer à pleurer parce que je me sentais mal à l'aise, j'avais l'impression que quelque chose était coincé et qu'il fallait l'évacuer, mais je n'ai pas pu, ou en tous cas pas sur le moment. J'avais l'impression de ne pas réaliser, je me répétais en boucle "c'est grave ce qu'il s'est passé" mais les émotions ne suivaient pas, j'arrivais même à rire avec mes amis, à sortir, comme si rien ne s'était passé. Il m'a fallu des mois et des visites chez mes grands-mères veuves pour prendre réellement conscience et enfin réussir à pleurer du fond du coeur. Mais ça a été beaucoup plus long, j'étais plus réactive, moins déconnectée quand j'étais enfant.
Quand mon oncle est décédé l'année dernière, cette fois-ci j'ai pleuré du fond du coeur, mais j'ai aussi eu des phases où je riais à toutes les tentatives de me consoler et de me faire rire de mes proches et amis, ça me touchait et me réconfortait de les avoir avec moi et compatissants, et je riais le plus sincèrement du monde à tout... juste avant de me remettre à pleurer, puis à rire, puis à pleurer.
Quitte à choisir, je préfère encore la dernière réaction. C'est pour moi, le plus juste milieu entre sensiblerie et insensibilité, entre trop grande perméabilité et hermétisme : j'absorbe, je comprends et je traite toutes les données, positives comme négatives. Et je me sens mieux comme ça.
Je m'excuse pour le pavé... j'avais envie de me confier